Du fantasmé au fabriqué : émission Cam Clash

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L’émission Cam Clash va plus loin que le fantasmé qui nous est proposé par notre société (1, 2).Elle nous montre des acteurs qui adoptent des comportements racistes, sexistes, antisémites dans la rue et au milieu d’une population qui n’est pas avertie de la mise en scène. Elle donne une réalité physique à ce qui n’en a pas.

Quand j’ai mis en place le concept du constaté au fantasmé, je n’imaginais pas qu’une telle émission puisse durer. J’étais persuadé que le mensonge était trop évident pour pouvoir s’imposer. Je me suis trompé. Si l’émission a été déprogrammée cet été à cause du manque d’audience, il a fallu tout de même 3 saisons pour que les producteurs y soient forcés. Cela n’empêche pas France 4 d’essayer de nous refourguer une intégrale cette semaine (3)et la chaîne youtube de scorer à plus de 60 000 abonnés tandis qu’elle a tout juste un an.

 

Passer le message pour savoir comment bien-penser

La machine à spectacle prend ses aises sur internet. Comme elle est en accusation sur ce nouveau support, elle ne peut traiter la réalité comme elle en a l’habitude. Pour progresser dans son auto-suggestion, elle diversifie ses méthodes de contrôle : censure des contenus vidéos dérangeants, promotion et récupération de stars inoffensives, et pour ce qui est de son idéologie à proprement parlé, elle tente désormais de la faire passer en fabriquant une sorte de réalité parallèle pour justifier la véracité de ses raisonnements.

 

Une télé-réalité de la bienpensance

Le plus étonnant dans cette histoire, c’est l’absence de maquillage auprès du télespectateur. Certes au début, l’émission a essuyé un flot de critiques car le jeu des acteurs était difficilement identifiable. Confondant mise en scène et réalité, les employés de la série étaient même interviewés à titre personnel (vidéo sur le harcèlement de rue par exemple). Mais les réalisateurs ne se sont pas démontés. Désormais, le téléspectateur est bien averti et le concept se rapproche de plus en plus de la téléréalité : des situations montées de toutes pièces provoquent des réactions attendues et scénarisées. Le côté artificiel affiché n’empêche pas les auteurs d’assumer leurs mensonges et leurs provocations.

 

Des Français plutôt gentils

Or, force est de constater que les incivilités dénoncées sont plus du fait des acteurs que de la population qui les entoure. Si l’émission avait voulu démontrer que les Français ne sont pas racistes, pas sexistes, ni antisémites, elle ne s’y serait pas prise mieux. Seulement, l’outrance des acteurs et leur talent laissent place à une impression de vrai.

Plus grave encore, les personnes victimes d’une telle mise en scène ne sont pas toutes averties de la manipulation dont elles ont fait l’objet. Certaines peuvent s’en retourner chez elles, en se disant que le monde est bien tel que les auteurs de la fictions l’ont décrit.

Enfin et le plus étonnant, l’absence de propos injurieux des gens en toutes circonstances. Mis dans leurs derniers retranchements, énervés, ils devraient dire bien des mots qui dépassent leur pensée. Loin de là, ils se contrôlent totalement. Ils ont intégré le surmoi social auquel l’émission participe et ne se permettent pas le moindre écart. Cela me fait penser aux récits de guerre civile, où des rescapés témoignent de la parfaite entente la veille entre communautés, comme en ex-Yougoslavie ou en Algérie par exemple (qui votait à gauche…). Cette population qui nous est montrée est effrayante de calme (4). Car malgré tous les moyens artificiels mis en œuvre, elle ne réagit absolument pas. Le totalitarisme démocratique a réussi. Chacun a intégré profondément une norme sociale de l’évitement. Trop heureux de pouvoir défendre de pauvres victimes, les passants sautent même sur l’occasion de se valoriser. Ils sont en attente d’une bonne action comme s’ils manquaient de reconnaissance dans leur quotidien.

 

L’autisme

En général, ils s’ignorent dans nos grandes villes mais sont solidaires dans leur imaginaire et prêts à défendre la veuve et l’orphelin à la moindre occasion comme le prouve la caméra cachée. Le plus inquiétant est qu’ils vivent pour eux, sans vraiment être au contact des différences des uns des autres. Ceci explique pourquoi quand ils sont en danger, leur réaction varie du tout au tout. Prévenants quand l’outrance sociale est évidente, ils fuient lorsqu’ils sont exposés à un risque physiquement comme nous le prouve de trop nombreux faits divers. En vérité ces deux comportements procèdent de la même logique : l’égoïsme. En apparence, notre population pacifiée a acquis un haut degré de civilisation, dans les faits, ce ne sont qu’apparences.

La multiplication d’émissions de téléréalité moralisantes comme Cam Clash, tentant de se réapproprier les codes des jeunes, ne risque pas de faire avancer le problème. Certes, elles permettent au système de croyance en place de poursuivre son travail de rééducation dans le sens qui l’arrange. Par contre, il n’est pas certain que ces jeunes sachent s’affronter à de vraies situations de violence le cas échéant, quand il ira de leur intérêt ou quand ces violences leur seront imposées. Au contraire, le mensonge et le côté factice de telles démarches risque bien de les laisser impuissants dans leur vie de tous les jours quand ils auront à faire face à la triste mais dure réalité.

 

Le constructivisme

Si ces émissions ont une utilité c’est donc de pointer du doigt des comportements définis comme inacceptables en invitant les téléspectateurs à ne plus réfléchir mais à s’offusquer. Cam clash et des productions de la sorte qui pourraient suivre, impriment dans les imaginaires des gens des situations pacifiques transformées en conflit. De simples altercations deviennent système d’oppression tel que le définissent les constructivistes. La drague lourde c’est de l’agression sexuelle. La discussion sur le communautarisme c’est du racisme. L’acte maladroit, inadapté, non contenu, l’opinion politique hors de la bien-pensance, sont dénoncés comme des incivilités voire des infractions à la loi. Le public est invité à trouver cela inacceptable et à intervenir comme à la télé, puisque l’injonction publique artificielle ne suffit pas toujours.

 

L’incitation à la haine.

Certains dénoncent l’émission comme incitative à la haine (5). Ce discours anti-raciste, anti-sexiste tendrait à faire croire au racisme et au sexisme généralisé en France. Pour peu qu’on stigmatise tous les comportements, toutes les pensées « déviantes », l’invitation à la culpabilité est effectivement générale et donne l’impression d’être partout, surtout en nos fors intérieurs. Sans lui donner d’espérance de pardon, elle plonge tout à chacun un sentiment de remords éternels dont il ne peut se sortir. Difficile d’imaginer plus grande violence.

Plus encore, la nature de la mise en scène appelle à un auto-contrôle généralisé. Psychologiquement la scénarisation d’un bourreau, d’une victime, d’un sauveur est assimilable à un mode immature de gestion des conflits humains (6) qui perpétue la violence.camclash2bis camclash1bis Le désir de gommer toute dysfonctionnalité dans l’espace collectif est inatteignable. Le conflit fait partie de la vie. L’intervention de personnages caricaturaux dans l’espace public propage l’idée simplificatrice de solutions toutes prêtes pour les problèmes que nous connaissons. Cela ne sera jamais le cas. Les adultes responsables arrivent à se parler sans la médiatisation d’un tiers représentant de l’Etat, en tout cas, ils doivent pouvoir y arriver. La judiciarisation de notre société est corrélative d’une immaturité grandissante dans nos rapports sociaux dont la partie émergée de l’iceberg se voit dans des émissions comme Cam Clash.

 

La mise en scène fait catharsis auprès d’un public avide de voir la violence tant fantasmée. Elle alimente l’imaginaire d’un conflit malsain. Elle donne autant de repères à un probable sauveur qu’à un agresseur en germe. Elle généralise l’idée d’agression présente et fait du cadre social un lieu vécu comme potentiellement dangereux. Elle est le propre d’une vision du monde infantile et régressive. Elle gène un esprit sain sans qu’il ne sache dire pourquoi.

 

 

 

1 « Du constaté au fantasmé : cadre théorique », Aimeles du 07/07/2013.

2 « Du constaté au fantasmé : exemple pratique, les résultats truqués des violences faites aux femmes», Aimeles du 04/07/2013.

3 Vidéo : que se passe-t-il quand on parle de « race blanche » dans le métro parisien ?, Sud Ouest du 12/12/2015.

4 « L’espèce protégée Charliemouton », Aimeles du 12/12/2015.

5 « Quand la propagande pollue les caméras cachées », ER du 13/12/2015.

6 « Le trio infernal bourreau victime sauveur », Psycho textes.

5 réponses à “Du fantasmé au fabriqué : émission Cam Clash”


  1. Avatar de Léonidas Durandal

    (Vidéo) "JE DETRUIS des BOUFFONS de KONBINI" Infâme du 16/01/2023.


    1. Avatar de Léonidas Durandal

      M Cyrus,

      Ca, c’est de l’intégration !

      M.D


  2. Avatar de Hansel
    Hansel

    Caméra cachée. Des boulangères donnent un quart de baguette en moins aux clients hommes car elles gangent 25% en moins qu’eux:

    https://twitter.com/PsykoSauce/status/1198267666294824960


  3. Avatar de Léonidas Durandal

    « HandsAway, l’appli citoyenne contre les agressions sexistes », Figaro du 07/12/2016.

    Notions de harcèlement et d’agression sont joyeusement mélangées. Mise en place d’une milice qui heureusement sera inefficace. Evacuation des vraies raisons des phénomènes de violence dans notre société. Une mesure uniquement de propagande.


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