Madame la responsable du recrutement,
Vous pourriez vous étonner qu’un mâle puisse proposer sa candidature à un poste de chargé d’égalité hommes-femmes au sein de votre grande entreprise, mais je vais vous démontrer par la présente lettre, les nombreux avantages d’un tel choix.
Tout d’abord, imaginez combien vous ne serez pas suspecte de discrimination !
Car ne nous voilons pas la face, si égalitarisme il doit y avoir, il se fera de par un nivellement vers le bas. En ces temps de crise, je n’imagine pas qu’une entreprise décide soudainement d’augmenter le salaire de tous ses employées femmes alors que précédemment, elle ne les jugeait pas assez rentables pour cela. Bien entendu, à cause de cette baisse du salaire des hommes, vous risquez de perdre vos meilleurs éléments mâles. Mais je saurai agir avec le plus de doigté possible pour ménager la chèvre de la compétence et le choux de la justice sociale.
Les hommes qui seront très essentiels à votre organisation, je maintiendrai leur salaire en augmentant celui de leurs consœurs moins efficientes. Et ceux qui auront probablement des difficultés à retrouver un travail, je baisserai leur salaire pour l’ajuster à celui des femmes moins rentables. Ainsi tous seront à égalité ! Croyez que cette dernière catégorie d’hommes entravés par leurs obligations est beaucoup plus nombreuse grâce à la crise que celle des hommes libres de tout engagement. Du coup, je pense même réussir à vous faire gagner de l’argent en abaissant la moyenne des salaires.
Deuxièmement et pour tout vous dire, je ne crois pas en la rentabilité comme principal objectif pour une entreprise. Je pense que les questions de justice sociale devraient prévaloir quitte à ce qu’elles fassent faire faillite à la dite entreprise si elle est incapable de remplir cette exigence égalitaire. L’entreprise doit être au service de grandes causes avant de penser à faire de l’argent. D’ailleurs, si elle favorise odieusement les hommes, n’est-ce pas à cause de la domination patriarcale de toujours, et non pour des questions de rentabilité ? C’est bien la preuve que les entreprises en occident n’ont jamais vraiment pensé à gagner de l’argent, mais qu’elles ont appliqué un machisme militant dans la gestion de leur personnel. Du coup, pourquoi nous intéresser à ces questions de choix individuel, de compétence, de performance et autres billevesées qui ne cachent qu’une volonté tyrannique des hommes d’opprimer les femmes en les faisant travailler pour beaucoup moins cher ?
Vous voyez, je n’ai aucune compassion spéciale pour mon sexe. En vérité, et pour vous faire toucher du doigt l’étendu de ma motivation, je ne crois absolument en rien de ce que je viens d’écrire. Rassurez-vous, je vous ai fait une petite blague dont j’espère, vous ne me tiendrez pas rigueur. Mais non, je ne suis pas un de ces fanatiques incapable de juger d’une situation de manière pragmatique et qui vote des lois au gouvernement. Je suis seulement quelqu’un d’intéressé pour qui compte l’argent qu’il ramènera à la fin du mois. Vous pouvez donc me faire une absolue confiance. J’ai besoin de ce travail et j’agirai sans l’ombre d’un remord, sans tenir compte d’une pseudo solidarité de sexe, ou autres questions parasitant une prise de décision efficace.
Au fond de vous, vous savez qu’il vous faut un homme si vous voulez que ce travail soit fait. Et s’il est amoral, vous aurez décroché la timbale.
En effet, si vous ne pouvez vous permettre de recruter un fanatique, vous ne pouvez pas plus prendre quelqu’un avec une conscience morale, car ce faisant, vous risqueriez de vous retrouver avec un hurluberlu qui vous opposera tout un tas de considérations philosophiques et pratiques, considérations qui entraveront de fait ce concept de domination patriarcale sous-tendu par la loi.
Vous pourriez également être tentée de recruter une femme à ce poste. Cependant, elle risquerait d’être jalouse de ses consœurs qui auront un salaire augmenté de manière arbitraire. Ou bien elle pourrait avoir de la commisération pour l’autre sexe à cause d’une attirance sexuée coupable.
Par contre, un homme tel que moi, hétérosexuel, sans morale, n’hésitera à favoriser des femmes pour s’attirer leurs bonnes grâces, voire plus. Il n’hésitera pas non plus à sanctionner un concurrent mâle qui pourrait lui faire de l’ombre dans l’entreprise, et qui pourrait même remettre en cause son poste si des quotas d’hommes et de femmes devaient s’appliquer dans votre structure à l’avenir.
C’est vrai. Vous êtes une femme. Je suis un homme, et vous pourriez penser que je suis pourvu de nombreux handicaps naturels. Par exemple, la solidarité féminine n’est pas de mes prérogatives. Mais que nenni ! J’ai bien conscience de mes défauts de mâle, et vous pouvez croire que je redoublerai de zèle pour vous prouver que je ne peux être suspect d’égalitarophobie.
D’ailleurs suis-je un homme ? Sachez bien que s’il le faut, je n’hésiterai pas à changer de sexe pour vous faire plaisir. Qualifiez moi de gender fluide si ça peut vous faire plaisir, mais embauchez-moi, et je saurai adopter l’attitude qui convient le mieux à l’exercice de mes responsabilités.
Si dans ce texte, je n’emploie pas d’écriture inclusive et autres niaiseries anglicistes, je ne le fais pas parce que je n’en suis pas capable. C’est plutôt parce que je veux vous rassurer. Je m’exprime bien en français. Surtout, je ne voudrais pas que vous me confondiez avec un de ces imbéciles qui croit vraiment qu’utiliser ce genre de langage apporte quoi que ce soit à ses compétences effectives. Pas d’hypocrisie entre nous. Ces occurrences grammaticales n’ont qu’un seul but : montrer que celui qui les utilise se veut quelqu’un de moderne prompt à se fondre dans le moule du parfait petit fonctionnaire. Par contre, nous savons tous, nous les personnes rentables en entreprise, combien ces usages de gauche marquent au fer rouge les nouveaux bas du front à bac +5 de notre société, et combien ce genre de croyances exotiques doit être réservé à des employés en charge de la propagande d’état. Les autres, ceux qui sont capables de gagner de l’argent, doivent savoir employer un langage correct, corrélé à leurs capacités en termes de performance, surtout pour la multinationale que vous représentez.
Cependant pour bien vous prouver que j’en suis capable, mon prochain paragraphe sera écrit en utilisant ce nouvel idiome. Je le ferai parce que je ne veux pas que vous croyiez qu’il y a une once d’esprit rebelle en moi, à remettre en cause les usages et les modes progressistes alors qu’il me faudra savoir donner le change. J’exécuterai ce qui me sera demandé, tel qu’il me le sera demandé pour ne pas faire craquer les croyances sociales qui nous lient tous les uns aux autres, aussi ridicules soient-elles, et ceci, sans l’ombre d’un parti pris sentimental qui viendrait entraver mes prises de décision.
Un goal manager doit savoir atteindre ses cost targets avec des reportings efficients. Je driverai la team pour lui faire scorer au top level selon les business units auxquels elle appartiendra. En lien avec le support manager, je serai la force de proposition que vous attendiez.
Et pour l’écriture inclusive.
Un.e manageur.euse doit savoir atteindre ses coût.e.s cibles avec des tableau.ales.x efficient.e.s. Je saurai guider l’équip.e pour lui faire gagner le maximum selon les unité.s de production auxquel.le.s il.elle sera rattaché.e. En lien avec le.la coordinateur.rice, je (en dehors de toute considération personnelle sur mon appartenance au sexe mâle bien évidemment) serai le.la fort.ce de proposition que vous attendiez.
Vous noterez l’excès de zèle qui est le mien en matière d’écriture inclusive. Qui sait si les revendications grammaticales des féministes ne s’étendront pas bientôt à tous les mots marqués du masculin ou du féminin. En effet pourquoi dire qu’un « tableau » est masculin. Je trouve cela personnellement discriminatoire et réactionnaire. J’ai donc anticipé sur ces justes demandes sociales qui ne manqueront pas de se faire jour dès que nos universitaires à gauche s’ennuieront (c’est vous dire si je suis de bonne volonté).
Bon, je ne me suis pas penché sur un globish qui serait inclusif, mais je suis certain que vous ne le retiendrez pas contre moi tant vous devez savoir combien notre recherche universitaire progresse à petits pas dans les sciences humaines en France. Il lui faudra de décennies pour envisager un tel cas pour une langue qui n’est déjà pas très sexuée (ceci expliquant peut-être cela). Je devrais être à la retraite d’ici là.
Voilà, il me semble que si vous étudiez objectivement ma candidature, vous ne manquerez pas de la retenir. Ma franchise ne devant pas avoir de précédents, vu le nombre de crétins produits par notre système scolaire qui se veut égalitaire, vous ne devriez pas recevoir beaucoup de lettres de postulants assez cyniques pour adhérer à une telle absurdité, et assez compétents pour la mettre en œuvre.
Veuillez agréer Madame l’immense responsable des ressources humaines, l’expression de ma considération plus que professionnelle.
Votre chômeur préféré, M Durandal
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