Je pense que ce film est assez significatif de tous les fantasmes plaqués sur les pères de notre époque par l’intelligentsia. Je tiens à souligner qu’il a été encensé par la critique de gauche parce qu’au vu de mon analyse, vous pourrez en douter. Captain Fantastic devrait être le parfait papa libéral communiste. Mais en creusant, l’arrière plan psychologique fait émerger des désirs non avoués chez nos gauchistes, des désirs presque réactionnaires, tout comme dans le film Mad Max Fury Road. Allez, je me jette.
Résumé
Captain fantastic et sa femme donnent à leurs enfants une éducation éthique basée sur la loi naturelle. Ils ont fini par fuir la civilisation. Ils vivent dans les bois à l’état sauvage mais très organisés. L’éducation que les enfants reçoivent est militaire. L’exigence de leur père au niveau des apprentissages est forte. Ainsi ont-ils acquis un niveau culturel que bien des enfants de nos écoles pourraient leur envier, si ces derniers avaient encore envie de se cultiver.
Mais nous allons voir par la suite que ce n’est pas forcément le cas. Les biens que la famille doivent se procurer dans le monde moderne, sont financés par la vente d’objets artisanaux qu’elle fabrique. Durant des années, ses membres ont été beaucoup plus insérés dans la société, mais une énième crise maniaque de la matriarche, les a pousser à s’exclure totalement du monde. Captain fantastic sait que ce n’est pas forcément une bonne solution, mais il agit ainsi parce qu’il croit pouvoir la guérir de sa bipolarité. Or loin de la guérir, la maladie va prendre le pas sur elle dans ce milieu, et elle va se suicider durant une de ses périodes dépressives, laissant mari et enfants dans la forêt. La mort de la mère va alors les pousser à revenir à la civilisation. Ce retour va leur permettre de se confronter aux réussites et aux échec de leur choix de vie, chacun avec son caractère.
Une mère malade et absente
La mère n’apparaît presque pas, seulement dans les rêves de son mari. Elle est morte. Elle a échoué à se guérir. Elle laisse derrière elle ses enfants dont elle ne peut plus s’occuper. Image de la femme moderne, atteinte, psychologiquement perturbée, bipolaire, elle a voulu s’extraire du monde pour vivre son idéal en suivant son mari. Comme dans Mad Max Fury Road, la working girl est loin. La femme conquiert son indépendance dans un rejet violent de la société, et par un retour à la nature auprès de son compagnon, non plus en crevant le plafond de verre. Elle est mère de famille nombreuse. Son passé, son éducation reçue d’un père ambitieux et riche, sont des entraves qu’elle a brisées. Et si elle n’apparaît presque pas tout le long du film, elle est l’axe autour duquel chacun va construire un questionnement. D’un certain point de vue, si elle meurt, si elle n’est pas un exemple d’insertion sociale, elle a tout de même réussit dans son rôle traditionnel : celui de transmettre une éducation à ses enfants, tout au moins, voilà comment les scénaristes (de gauche) la décrivent.
Sa soumission à son mari va connaître quelques accrocs à la fin de leur relation quand elle inscrira le plus vieux des enfants à l’université, ou quand elle se disputera avec son mari. Mais ces scènes ne sont pas filmées, et il n’est pas possible de savoir si c’est une remise en cause partielle des choix de l’homme ou bien le résultat de la maladie.
Captain fantastic, où comment l’homme retrouve une place dans la famille
Captain fantastic veut entraîner les siens dans son idéal qui n’est plus celui de la société. La mort de sa femme intervient comme un échec. Il l’avait emmenée vivre dans les bois en pensant que cela la guérirait. Loin d’avoir réussi, elle a fini par se suicider. Sa mort, celle de la mère des enfants, va donc perturber ce schéma éducatif parfait. Leur monde se délite, il perd de son sens. En allant à l’enterrement, lui et ses enfants, vont retrouver leur chemin. Tout en revenant à plus de raison, ils vont adhérer de nouveau à l’idéal de leur père.
Le père n’est plus celui qui ouvre au monde, mais qui en extrait les enfants. Autant dire, que ce choix assumé valide un retrait civilisationnel. Ayant échoué à construire en société une vie qui lui apparaîtrait positive, il en revient à l’état de chef de clan au milieu de sa tribu. Car le monde est vu comme un cloaque pour cet homme et la mère de ses enfants. La libération sexuelle, le consumérisme, la modernité, la démocratie, l’indépendance des femmes, tout cela a échoué. Seule reste la volonté d’un retour à un paradis perdu animiste. Captain fantastic c’est « l’Emile ou de l’éducation » de JJ Rousseau, l’idée de Dieu en moins. L’éducateur doit accomplir sa mission en confrontant les enfants à la cruauté de la nature. Le père est celui qui leur apprend à se nourrir, et à échapper aux prédateurs. Cette médiation avec les éléments naturels est censée élever les petits humains, et leur redonner des bases saines de vie en collectivité. A mon avis, cette démarche qui ignore le pouvoir et la spécificité de l’âme humaine tente d’échapper au cynisme en sombrant dans la naïveté.
Où est la civilisation ?
Le moment qui est peut-être le plus intéressant du film survient lors de la confrontation avec la famille de la sœur de Captain fantastic. Ces citoyens modèles de la classe moyenne vivant dans une maison phoenix avec deux enfants va mettre en relief les différences de choix éducatif entre une famille lambda de notre civilisation et une autre qui a choisi de retourner à la nature. Ce faisant, les scénaristes choisissent de décrire l’intégré moyen comme un dégénéré cynique prompt à donner des leçons aux autres qui ne vivent pas comme lui, ceux-là le dépassant pourtant de loin. Cette réalité n’est pas inventée. Le réalisateur illustre crûment certaines de nos connaissances qui ont perdu pieds dans la modernité, dont les enfants n’ont aucune éducation, et agissent par intérêt. Mais voilà aussi où le film pèche. Il était facile de se comparer à un monde de gauche qui a échoué tout en se revendiquant soi-même de gauche. La confrontation avec un milieu religieux catholique n’aurait pas montré un tel décalage. Et la famille de Captain fantastic aurait peut-être même apparu à la remorque de certaines d’entre elles, au moins humainement. Or les scénaristes voulaient promouvoir leur conception du monde sans se préoccuper de vérité. Dans leur film, ils ont donc choisi de défendre l’idée que l’humanité c’était la vérité de la science, conception matérialiste et étrange des rapports humains, surtout quand on prône un retour à un communisme primitif.
Pour les auteurs, la religion idéale, est celle que l’on se construit. Celle de la mère, c’est le Bouddhisme auquel le père ne souscrit même pas. Lui, il veut que les choses soient dites, sans tabou, car le tabou, ça fait mal aux enfants. A mon avis, cela se discute. Quand il s’agit de complexes, je veux bien accorder à Captain fantastic que ceux-là soient des gènes à l’épanouissement comme cela est montré dans les séquences avec sa soeur. Cependant, nous n’avons pas réponse à tout. Les explications matérialistes suffisent dans le film. Elles ne suffisent pas toujours dans la vraie vie, les enfants ayant l’art de poser des questions aux adultes capables de les déstabiliser. Si la science ne peut répondre à tout les questionnements, les enfants ont aussi de la pudeur. En cela, les exposer à des paroles ou à des corps d’adultes relève d’une forme de maltraitance défendue par le film. Les leçons des années 70 n’ont pas été intégrées par les auteurs qui en reviennent donc toujours aux mêmes erreurs. La gauche qui a désenchanté le monde, voire qui a traumatisé des générations d’enfants, persiste encore dans ses efforts scientistes qui ne mènent nulle part. Avant il fallait créer une nouvelle société du jouir sans entrave à plusieurs partenaires et en détruisant la famille. Désormais, il faudrait refonder famille traditionnelle et savoir s’exclure de la société. Contre le cynisme d’une modernité qu’ils ont créée, les girouettes progressistes jouent la carte de la pureté.
L’éducation des enfants
Voilà où le film est le plus caricatural. Education égalitaire entre filles et garçons, scientisme, communisme, rejet du Christianisme, Bouddhisme de bon aloi. Il est pourtant marrant de constater comment cette famille mime certains catholiques sceptiques face au monde moderne et qui par exemple, ont choisi d’instruire leurs enfants à la maison, bien avant les gauchistes.
D’ailleurs pour se sortir du pétrin avec un policier sourcilleux, ils jouent la comédie d’une de ces communautés de croyants à merveille, si bien que l’homme de loi s’y fait prendre. En vérité, la différence n’est pas si grande dans la forme, et cela dit quelque chose du fond.
Si les principes transmis aux enfants se veulent vrais, ils se révèlent beaucoup plus superficiels que ceux de notre Eglise. Par exemple, cette famille fête la naissance de Noam Chomsky, comme si c’était Noël, et pense là combler le besoin de spiritualité de l’humain…
Ils ont beau juger que celui-là soit un bienfaiteur de l’humanité, je ne vois pas qu’il ait donné sa vie pour le monde. Ou bien qu’il n’ait pas commis de nombreux péchés au vu de ce qu’il a écrit. A un moment du film, les enfants font même remarquer le ridicule de la situation au père. Or celui-là préfère cette fête matérialiste aux simulacres de fête chrétiennes telles qu’elles sont pratiquées dans notre société. Ca, je peux le comprendre. Mais si le monde est laid par la faute de ceux qui dévoient la religion, il l’est tout autant par la faute de ceux qui n’endossent pas leur croix. Or pour Captain fantastic, le monde est binaire, et il est du bon côté. Il faut accepter sa médiocrité ou la rejeter. Jamais il n’imagine devoir se sacrifier pour cette société. Juste vivre le plus loin possible du mal et être heureux.
Seulement, il est difficile de tenir sur une telle ligne idéologique à ce point caricaturale. Et les enfants vont s’apercevoir d’une partie du mensonge en se confrontant à d’autres. Le retour à la société, va signer la fin de certaines illusions chez eux. Ils ont appris dans les livres, mais en vérité, ils ne savent rien. L’aîné va décider de partir au hasard pour un grand voyage à la fin du film afin de pallier ses carences. Le père croit lui avoir appris le principal en l’instruisant. Ce n’était pas le cas.
Un autre garçon va vouloir connaître ses grands-parents pourtant rejetés par sa mère. Tous en vérité, sont des handicapés. Ils ne savent rien des relations sociales et du coeur humain.
Ainsi, le film défend l’idée qu’il faudrait partir de la science et que le reste viendra plus tard. Je suis très sceptique face à cette conception de la vie. Les rapports humains s’apprennent en immersion, en étant guidés par son père et sa mère. Commencer à les apprendre à 16 ans, c’est tout bonnement du suicide. Dans la vraie vie, jamais ces enfants ne rattraperont leur retard. Cependant, il est aussi vrai que notre société est devenue toxique, pour les enfants, pour les adultes, pour les gens de bonne volonté. Alors comment faire ? A part l’idée de sacrifice christique, je ne vois pas bien de solution à ce dilemme, ce que justement le film refuse violemment.
La place de l’individualisme
Captain fantastic est un retour forcené à l’individualisme sous forme tribal. La religion chrétienne qui est pourtant l’essence du collectif aux USA, ne fait plus sens dans le film. Chacun peut se construire sa croyance. Là encore la modernité est adoubée en faisant mine d’être contestée. Car qu’y-a-t-il de plus moderne que ce choix religieux à la carte, qui a détruit toute forme de spiritualité profonde chez nous ? Les membres de cette famille doivent apprendre à être autonomes au milieu de la forêt. Ils retrouvent quelques rites de sociétés traditionnelles, le rite initiatique des jeunes adultes par exemple, mais tout cela reste bien pauvre. Cette idéologie du retour aux sources cache mal une forme régressive de choix de vie. Souvent le gauchiste dit s’interroger. Il devrait le faire un peu plus sur la religion chrétienne quand on voit la pauvreté du résultat de ses constructions déjà entreprises cent fois dans l’histoire de l’humanité.
Le film se termine par une séquence pleine de silence et qui fait du bien. Personne n’apprend rien dans le brouhaha. Il y a quelques leçons de bon sens dans Captain fantastic. Le bruit du monde moderne tue l’humanité. C’est vrai. Captain fantastic est revenu dans une maison en dur avec sa famille. Les enfants vont désormais à l’école et font leurs devoirs autour de la table. Ce serait parfait s’il ne nous était pas donné en exemple, un monde d’autistes où le rapport aux autres ne peut se faire qu’à travers les livres. Si Captain fantastic revenait un jour dans le monde, et voudrait agir pour le mieux, il s’apercevrait bien vite qu’il a besoin de Captain Jésus pour survivre. Cette histoire là n’est pas racontée. Au contraire, le film tourne autour de l’idée de rejet et de régression positive. Avant de rejeter, il faudrait comprendre. Quant à régresser, je ne vois pas bien ce que cela pourra nous apporter.
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