Je m’intéresserai aux épisodes 4-5-6 de la trilogie Star wars, les épisodes précédents étant à vue plus politique que psychologique, et les épisodes suivants produits par Disney prenant le chemin d’une faillite divertissante.
Un père vu par le fils
George Lucas a mis en image Star Wars pour raconter une belle histoire aux enfants. Ses emprunts à Joseph Campbell et à d’autres analystes de contes, ne peuvent masquer son histoire personnelle qui est d’ailleurs la partie la plus intéressante de sa production. Star Wars, le vrai, c’est l’histoire d’un père vu par son fils, et plus encore, d’un père emblématique de cette époque. A l’inverse d’Angel, Dark Vador, le père de Luke Skywalker n’est pas encore tout à fait déchu.
Nous sommes à la fin des années 70, la paternité a du plomb dans l’aile, mais les mères abusives ont encore un peu de respect pour le géniteur de leurs enfants, et à travers leur regard, ces derniers restent impressionnés par la figure paternelle. Le nom même de « Skywalker », littéralement « le marcheur du ciel » évoque un lien entre ciel et terre, ou la volonté d’un enfant qui voudrait grandir et s’affranchir des contraintes naturelles pour s’élever spirituellement.
Avant ou après l’oedipe.
Il est étonnant de constater comme le combat de ce « marcheur du ciel » tourne autour d’une image lunaire. J’ai déjà abordé dans un autre article combien la lune est un symbole pré-oedipien. Mais le « marcheur du ciel » évoque plutôt un personnage qui aurait dépassé ce stade. Quand Luke Skywalker cherche à détruire l’étoile noire puis l’étoile de la mort de son père, il s’attaque d’ailleurs à un astre qui ne lui appartient pas. Il est donc un enfant qui affronte le monde, non pas pour grandir, mais pour sauver son père, et se sauver à travers lui. En filigrane, le père de George Lucas qui n’a pas fait son oedipe, doit être sauvé par son fils qui est sensé le faire à travers lui. Le vrai drame est là. «Luke » c’est « Lucas », littéralement en Anglais « comme Luke », “as Luke”.
Le père de cette époque a déjà été corrompu par sa propre mère. Il s’attache à construire son étoile noire, absorbé par le travail et incapable de s’ouvrir au monde sans vouloir le tyranniser. Il est un enfant avide et soumis à l’empereur, au système dirait les autres, ou encore peut-être à un père corrompu lui même par quelque emprise toute féminine. Car si les enfants et les plus grands se sont reconnus dans cette intrigue, il faut bien comprendre la vraie raison. Non pas ses effets spéciaux, sa musique, ou son exotisme, même s’ils y ont contribué. Mais parce qu’elle était le marqueur d’une généalogie dans laquelle tous se reconnaissaient, celle des trente glorieuses où les pères avaient tout investi dans le travail, promus par des mères vénales qui voulaient s’enrichir tout en conservant le contrôle sentimental sur leur enfant. En réaction, à la deuxième génération, les fils perdus tel George Lucas, se sont essayés à remonter le temps. Ils sont alors allés à la découverte de cet inconnu encore reconnu socialement à cette époque, nommé “père”. Ils ont produit des films en conséquence.
Progression du père dans le regard du fils
Dans Star Wars, éduqué par son oncle et sa tante, Luke Skywalker voit son père de manière lointaine et vague. Il serait mort. En somme, il n’existe pas, comme à cette époque de la vie où l’enfant est en fusion avec sa propre mère. Ce jeune agriculteur rêve d’aventure guerrière au milieu de son désert. Il n’est pas fait pour les travaux de ferme et les événements vont le précipiter vers « l’alliance », un groupe de rebelles à l’empereur et qui luttent pour la liberté dans l’univers. L’affreux dictateur de la série est secondé par Dark Vador, Anakin Skywalker de son vrai nom, qui gère les unités opérationnelles de l’armée. Notre jeune aventurier part donc en guerre contre son père sans le savoir.
Connu pour être puissant et sans pitié, Dark Vador se cache derrière un masque qui le rend d’autant plus impénétrable. Ainsi dans cette première partie, le père est un inconnu, fort, haut placé socialement et impénétrable, tel que peut le fantasmer n’importe quel enfant. A cela, il faut rajouter qu’il est le tenant d’une ancienne religion puissante, mais qui n’a plus d’adeptes tel qu’à pu l’être le père luthérien de George Lucas. C’est un homme du passé, voire dépassé et isolé. En bon chef d’entreprise matérialiste et individualiste (le père de George Lucas est entrepreneur), il apparaît sans pitié pour ses subordonnés qu’il n’hésite pas à étrangler (dans le film).
Dans l’épisode 4, père et fils ne vont pas se rencontrer si ce n’est par l’intermédiaire de la figure tutélaire du moine. Ce guide spirituel (Obi Wan Kenobi) meurt sous les coups de sabre de Dark Vador, mais pour mieux aider Luke en ne faisant plus qu’un avec « la force », énergie naturelle mystique d’influence bouddhiste et qui ressemble à s’y méprendre à notre conception catholique de l’Esprit Saint. A ce stade, le fils n’est encore qu’un puceau incapable de se défendre, mais qui va tout de même sauver sa sœur, en ne sachant pas qui elle est. Tous les membres de cette famille semblent être des inconnus les uns pour les autres.
Je n’aborderai pas ici la thématique incestueuse bien éloignée de nos préoccupations, seulement pour souligner que père et fille sont en affrontement direct, beaucoup plus que le garçon ne l’est lui-même avec cet homme qu’il voit de loin dans cet épisode.
Le père de George Lucas est donc en conflit avec sa fille, ou tout au moins avec la représentation féminine de la famille, ou ce qu’il en reste, puisque la mère est morte. Cette dernière est-elle écrasée par la prestance sociale de son homme, sa fille endosse-t-elle le rôle féminin pour les besoins du scénario, je ne connais pas assez bien la biographie de George Lucas pour pouvoir répondre. Cependant, ils sont en conflit, et le fils est là pour compter les perles. C’est une combattante tout comme le sera une des filles de George Lucas qui se battait en MMA en 2013.
Tous, ils veulent sauver l’univers du dictateur sans savoir à qui ils s’affrontent, sans connaître leur père en fait. Les relations entre eux ont été coupées, soit que leur mère ait fait écran, soit que leur père ne se soit jamais occupé d’eux, soit encore les deux possibilités réunies. Cette situation ressemble à celle de nombreux couples divorcés, ou alors de couples où homme et femmes n’entretiennent plus aucun échange. George Lucas lui-même divorcera assez tôt de sa femme en 1983, reproduisant ainsi une sorte de schéma familial. A la fin de l’épisode 4, Luke détruit l’étoile noire de papa, il ne reprendra donc pas l’entreprise familiale à son compte (une papeterie) et fera son propre chemin pour découvrir la force.
Dans l’épisode V, père et fils se rencontrent sur un pied d’inégalité
Avant de rencontrer son père, il va falloir que Luke soit initié. Or il ne se laisse pas assez de temps pour le faire. Il n’est pas préparé à lui répondre. Son père va donc se jouer de lui comme d’un débutant en l’attirant dans un traquenard. L’empereur a senti la présence du fils et veut le convertir au côté obscur de la force par l’intermédiaire de son serviteur. Sinon il devra mourir. Symboliquement, il s’agit ici pour le jeune George d’adhérer aux conceptions de son père sur la vie, le monde, les relations humaines, tout sacrifier à son travail. Luke Skywalker aura à choisir et nous en arrivons à cette scène mémorable de combat entre lui et Dark Vador.
Star Wars V – scène mythique “Je suis ton Père” par hitekfr
Bien entendu il est battu, et son père lui coupe la main. Beaucoup de gens ont glosé sur ce geste dans une conception freudienne de la relation père-fils comme d’un interdit masturbatoire. Plus généralement, celui qui coupe la main empêche, limite par la punition, éduque. Le fils est mis en face de la réalité : il ne vaut pas son père. Il n’est pas assez fort. Mais comme dans toute éducation, cette limite va l’appeler à faire des efforts pour se surpasser. Or Dark Vador ne veut pas attendre. Il choisit ce moment précis pour lui révéler sa filiation. Il veut l’attraper dans un instant de faiblesse. L’ordre des Siths auquel il appartient agit toujours ainsi : par trahison et par séduction. S’il accepte de le rejoindre, ensemble, ils se débarrasseront de l’empereur et gouverneront la galaxie. D’ailleurs l’empereur a prévu que Luke serait son remplaçant. La proposition est alléchante, mais faisant face à son père, le fils refuse de devenir un homme machine à son image. L’ombre qu’est devenue son père lui fait horreur, celle d’un luthérien peut-être trop rigide. Il se jette dans le vide plutôt que de le suivre. Il sera récupéré par ses amis. Ainsi se matérialisera pour George Lucas son choix de faire du cinéma, contre l’avis de son père, pour devenir plus tard reconnu et célèbre. Tout comme dans l’épisode 6.
L’épisode 6 : le père se rallie au fils
Cet épisode va se rejouer comme le IV à la différence près que la victoire de l’alliance sur l’empire sera anecdotique. La postérité conservera plutôt la scène de fin du film en forme de huis clos entre le père, le fils et l’empereur. Le fils va-t-il accepter de basculer du côté obscur de la force ? Telle est la question. Il se livre de lui-même, menotté, et Dark Vador le mène à l’empereur.
Mais Luke ne veut pas affronter son père. Il sait que l’ennemi, c’est le grand capital, bon disons plutôt le système, ou sa vision personnifiée par une autorité périmée en l’image de ce dieu tyrannique nommé Palpatine. Or Dark Vador s’interpose entre lui et l’empereur qui est aux anges. Son plan se déroule sans accroc. Le père et le fils vont pouvoir s’autodétruire sous ses yeux et le vainqueur restera à son service. Car si le père est plus fort, cela ne changera rien à l’histoire. Mais si le fils est plus fort, il ne pourra se remettre d’avoir tué son père. Il devra alors rejoindre l’empereur pour donner sens à son geste, le tuer et prolonger la domination des Siths sur la galaxie. Or si Luke prend le dessus sur Dark Vador, il refuse pourtant de le tuer. Palpatine décide alors de s’en débarrasser. Il est indigne de devenir un Sith, il doit être éliminé. Mais c’est sans compter sur l’instinct paternel de Dark Vador qui rejaillit à ce moment là. Entre son père et son fils, Dark Vador choisit de sauver son fils. La prophétie se réalise, mais de manière indirecte. L’empereur a bien été tué par Luke Skywalker, mais parce que son père voulait le protéger. Or Dark Vador tuant son propre père (symbolique), il se renie au point de devoir mourir. Avant cela, il voudra voir enfin son fils les yeux dans les yeux, non plus derrière un masque.
Symboliquement, il le considérera comme une personne particulière. Le père aura reconnu le fils, le fils se sera fait reconnaître du père. A l’image d’un Christ, le père se sera sacrifié pour la postérité. Et comme Dark Vador redevenu Anakin Skywalker le dira à Luke « Tu m’as sauvé » même si l’inverse est aussi vrai.
Epilogue
Le fils, en refusant de porter atteinte au père, a grandi, contrairement à l’idéologie freudienne qui veut que nous devions tuer symboliquement notre père pour évoluer. Ce père en mourant donne raison à sa fille qui croyait qu’il y avait encore du bon en lui. Son fils le sauve, sa fille a vu juste. Ils reforment famille dans la mort comme il est dévolu de l’obtenir aux croyants parfois désabusés de notre époque.
Dark Vador aujourd’hui
Ce père fort du passé revient à l’image d’un fantôme dans notre imaginaire et notamment dans nos publicités. Le personnage a été repris par tout un tas de marques pour le pire et le meilleur.
Le pire
LA POSTE – STAR WARS un colis pour M. Vador par krakenmagique
Le meilleur :
Pub Volkswagen Dark Vador The Force Star Wars… par coupsdepub
Dark Vador fait vendre. Il s’est vendu. Pour ainsi dire, il n’en reste rien qu’un souhait, comme une attente de père, une nostalgie d’un monde meilleur. Et pourtant, il reste le méchant de la série Star Wars. Alors comment expliquer un tel décalage ?
Je pense que tout enfant rêve d’avoir un père puissant, et qu’il le préfère fort et injuste, à faible.
la fureur de vivre 2 par rebk73
Et puis Dark Vador souligne à quel point le rôle de père est ingrat. Faire valoir de la mère, il doit être grand en se sachant faible, servir la société et être possiblement méprisé par ses proches, autre tout en inspirant par son exemple. Or aujourd’hui que la paternité n’est plus grand-chose, il manque à notre monde. Les hommes de notre société rêvent secrètement de redevenir des pères à l’image de Dark Vador, et les enfants rêvent aussi d’avoir de tels pères quand bien même celui-ci serait méchant. C’est dire à quel point nous avons régressé. L’image du père bienveillant, du patriarche a disparu dans les années 60. Reste l’image imparfaite et régressive d’un père autoritaire qui pourrait mettre fin à la toute puissance maternelle et aux caprices enfantins. En attendant, les pères féminisés sont légion. Ils font ce qui leur est demandé jusqu’au divorce qui ne manque pas d’arriver. La civilisation redevient une gynarchie juste avant de sombrer pour longtemps. Elle rêve de Dark Vador et vit avec Papa poule à la maison.
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