Vous voyez le politiquement correct actuel, ça veut manger bio comme autrefois, ça veut vivre avec la force de la spiritualité d’avant, être en communion générale, aider son prochain, ambiance mystique garantie dans l’appartement, et nature qui va avec, comme avant, ça veut croire en « ses » valeurs de toujours, désormais en « son » drapeau qu’on lui aurait volé alors qu’il l’a abandonné comme le reste après l’avoir imposé dans la terreur et le sang, ça veut se croire dépositaire de la culture des cathédrales, de la musique traditionnelle, du bon terroir qui sent le fumé, de l’école et donc de la transmission, cela vous en fait des caisses en termes de morale, tolérance et tout le toutim. En somme, ça rêve d’être français, alors que ça ne l’a jamais été. Cela a le goût de la culture et de la tradition, l’apparence de la vérité, l’odeur de la félicité, mais ce ne sont que diableries médiocres qui nous invitent toujours plus à accepter des changements négatifs mais qui seraient inévitables. Bien entendu, cette hypocrisie n’est pas un mouvement qui ne concerne que notre pays. Tout l’Occident se laisse aller de la sorte parce que le reniement est général quand la dégénérescence culturelle l’est. En ce sens, la série TV « Downton Abbey » est emblématique de cet esprit majoritaire progressiste qui n’assume pas son fond d’extrémiste réactionnaire. Entendons-nous bien, je pense qu’il est bon d’être réactionnaire, mais pas de cette manière et pas à ce point. En particulier, il n’est pas bon de mentir sur le sens de la réaction et de vouloir se l’approprier envers et contre ceux qui sont les vrais dépositaires de la culture de nos pays.
La série
« Downton Abbey » est la fresque de la fin de l’époque de gloire victorienne qui voit l’Angleterre atteindre l’apogée de son règne sur le monde et sur les mœurs, tandis que la France a encore la gueule de bois des différentes révolutions qu’elle a connue depuis 1789 ainsi que de la guerre de Sedan en 1870, et que les USA montent encore en puissance. Le comte de Grantham n’a eu que des filles. Or le titre se transmet à l’aîné des « garçons » de la famille. De plus, toute la fortune de sa femme a été attachée par contrat au domaine. Ils sont donc juridiquement pieds et poings liés soumis à un cousin qui n’est pas leur descendant direct. Leurs perspectives de survie vont s’améliorer après qu’un mariage ait été arrangé entre une des trois filles et cet héritier mâle. Nous sommes en 1912 quand la série commence. Le Titanic va couler et ce signe annonciateur n’est pas compris comme une invitation à relativiser le progrès, mais comme un simple accroc dans la révolution scientifique en marche. Cet événement va même participer à bouleverser les us et coutumes de la famille nobiliaire de la série en tuant le successeur probable au titre de Comte de Grantham. Cependant, il en faut plus pour déstabiliser les Crawleys qui vont réussir à intégrer le nouveau prétendant au titre, bien qu’il soit simple avocat. Ainsi, malgré les épreuves, vont-ils continuer à vivre au milieu du faste et de la gloire de leur époque, à connaître des difficultés intimes identiques à celles que le tout à chacun doit vivre depuis toujours, mort, mariages, jalousies, successions, dénigrement, attirances, même si le cadre moral est là et contient tous ces aléas sentimentaux par la croyance des uns et des autres en la force de leurs traditions. La reconstitution historique est somptueuse et pourtant, elle n’est pas mensongère. Nos contemporains auront du mal à croire qu’une telle société ait pu exister mais ce fut le cas. Celle-ci vivait de manière harmonieuse à toutes les échelles, et majoritairement heureuse quelles que soient les classes sociales.
Bien que tout fût à sa place, des ferments de changement étaient à l’oeuvre. Cette « évolution » aussi est parfaitement décrite dans « Downton Abbey ». Les mariages commencent à s’y déliter en même temps qu’ils sont de plus en plus basés sur les attirances sexuelles de chacun. Les pulsions deviennent le socle d’une relation naissante, et elles sont de plus en plus tolérées en dehors d’une union légitime ou du milieu de naissance. Le salariat, la classe-moyenne se développent, l’entrepreneuriat aussi. Les anciens modes de survie sont chassés. La place des femmes en est bouleversée. Les revendications catégorielles ou de sexe se multiplient. En somme, les « valeurs » de cette société sont attaquées. Seules les remplacent une foi ineffable en l’avenir tandis que la communauté s’atomise. Ceux qui ne veulent pas s’adapter disparaissent. Telle est la grande leçon de « Downton Abbey ». Il est inutile de vivre dans le passé. Les changements nous sont imposés et nous n’y pouvons rien, seulement les prendre comme ils viennent.
Or cette leçon d’adaptation résiste mal à l’expérience de notre monde et au déroulement des épisodes eux-mêmes. Je n’en dirai pas plus sur notre époque dont je fais déjà amplement le descriptif sur mon blog. Je me concentrerai aujourd’hui sur le film et son message. Le succès de celui-ci est la conséquence de son côté réactionnaire. Nous aimons voir ces princes et princesses se mouvoir dans un beau cadre tout en restant des êtres humains. Nous aimons la tradition, le sérieux, l’ordre, l’harmoie qui s’en dégage. Nous constatons que la réussite d’une société n’augure en rien de la réussite personnelle de ses individus, même si elle la favorise. Mais nous voulons croire aussi que nous sommes victimes d’une évolution contre laquelle nous n’avons rien pu faire, et qui de surcroît nous apporte ses meilleurs fruits. En somme, nous nous donnons bonne conscience de jouir de la vue de cette époque révolue qui accuse pourtant notre présent et nos moeurs parce que nous pouvons nous dire en la regardant « tout ce qui devait changer a changé, sinon rien n’a changé ». Or, simple exemple, à partir du moment où la série « Downton Abbey » s’éloignera de ce cadre somptueux, elle aura de plus en plus de mal à se définir et perdra donc en audience avant de disparaître complètement en faisant la promotion de ce progrès du milieu des années folles qu’elle se targuait de réhabiliter. Cette période de félicité se termine pour ce pays, cette production n’aura su y survivre. Elle va laisser ses personnages réactionnaires en proie au changement, libres et heureux, mais morts quelque part.
La tradition muée en progressisme et inversement
Le majordome emblématique Carson finira à la retraite à cause d’une tremblote. Symboliquement, l’avenir et les changements le terrifient au point qu’il ne contrôle plus son corps. Il continuera à superviser le domaine bien entendu, mais contre les règles qu’il se serait lui-même appliquées. Il sera remplacé par son successeur gay-friendly et amoureux des enfants (en toute chasteté je m’entends), Thomas Barrow.
La fille de la maison, héritière des traditions,
Lady Mary, se mariera par amour à l’apogée de la série avec son cousin Matthew pour que le domaine puisse se perpétuer. Mais son nouveau mari n’aura pas plus de chance que son premier prétendant et mourra d’un accident de voiture. Dans les derniers épisodes, il sera remplacé par un pilote automobile prometteur mais sans le sous. Bien entendu, cette fin roturière la rendra heureuse. Par contre, sa moitié devra abandonner sa passion pour vivre avec elle. Ce que femme veut…
La fille-mère de la maison, Edith,
ne terminera pas ses jours dans une chaumière délaissée de tous. La nouvelle époque la propulsera administratrice d’un magasine reconnu, à la tête duquel elle engagera une femme compétente, évidemment une femme, qui remplacera un homme qui ne l’était pas du tout, évidemment un homme, qui en plus d’être laid avait un comportement machiste des plus odieux. Pour couronner le tout, elle se mariera avec un marquis, au-dessus de son rang. En somme, avec elle, l’immoralité aura vaincu.
Tom Branson le parvenu chauffeur irlandais marié à la troisième fille du comte de Grantham morte en couches, abandonnera ses idées communistes et son aversion pour l’aristocratie anglaise afin de gérer le domaine des seigneurs en socialiste. Dans la réalité, il faudra un Lord Churchill pour relever l’Angleterre, et un général de Gaulle en France suite à l’incurie du « Front populaire ».
Quant au comte de Grantham, il sera dépassé en popularité par sa femme qui gérera au mieux l’hôpital. Il se laissera appelé « l’âne » par ses petites enfants, tandis que son épouse en soignant les gens/la société se trouvera un métier loin de lui tout en conquérant son indépendance, ce qui dans la fiction n’enlèvera rien à ses charmes et à sa famille.
Enfin le chien Pharaon sera remplacé par « Isis » (état islamique dans le texte), ce qui marque peut-être le désir inconscient de l’auteur progressiste que nous soyons remplacés par plus intelligents.
La série se terminera dans le bonheur le plus complet, chacun retrouvant une place parfaite dans ce nouveau monde, mais elle se terminera tout de même. Dans la scène finale, les protagonistes chanteront tous « Ce n’est qu’un au revoir mon frère… » et c’est vrai, ce ne sera qu’un au-revoir, car après avoir pollué les années 20-30, les progressistes seront de retour à partir des années 70. Précédemment ils auront sacrifié le monde en le menant à la guerre. Ayant échoué depuis, mais n’ayant pas renoncé à leur folie, ils ont carrément décidé aujourd’hui de nous faire disparaître en tant que culture et civilisation.
Epilogue
A regarder « Downton Abbey », nous regrettons cette époque, ces mœurs, ces gens qui étaient nos ancêtres. Il paraît que la suite était inévitable et que nous avons conservé l’essentiel. L’essentiel mais quoi ? Seuls les décadents aiment à penser qu’ils ne peuvent rien en commun. Les vraies civilisations sont fortes de ce qu’elles sont fières et sûres de leurs principes. Elles ne se confinent pas dans une réaction qui consiste à dire que le monde n’est qu’un éternel recommencement. Il l’est pour ceux qui s’oublient, pas pour les personnes réellement attachées à leur culture et qui sont les vrais créateurs de leur temps. En gommant le politiquement correct de cette série, il est facile de comprendre combien c’était mieux avant. L’auteur a voulu s’en défier en promouvant les idées progressistes actuelles. Pourtant combien il est difficile de ne pas voir dans « Downton Abbey » l’amour d’une autre époque où tout avait plus de sens. Cet amour est réactionnaire au-delà de toute mesure, car il concerne cette époque mais aussi tous les changements qui s’y faisaient jour, tout en justifiant la nôtre. L’auteur voudrait croire que la victoire du progressisme était inévitable et que la « belle époque » devait amener la nôtre. Or cette vue a posteriori veut justifier une erreur, en particulier notre impuissance passée et présente. Elle souhaite revenir à une crédulité que n’avons plus aujourd’hui. Seulement nous ne retrouverons jamais notre innocence face au progrès, tout au moins si nous voulons encore survivre et construire un monde meilleur.
En 1912, le Titanic disparaissait à cause de la présomption de toute une époque. Par la suite, nos sociétés européennes ont coulé à cause de cette même certitude qu’elles avaient en la science. En 2012, le Concordia s’est échoué à cause de la vanité de toute une civilisation. Puissions-nous combattre efficacement ce sentiment en nous sans vouloir en revenir à des idées nouvelles de 1912 et qui ont échoué en tout.
Laisser un commentaire