Les femmes américaines contemporaines ont obtenu l’égalité juridique avec les hommes. Cela ne signifie pas qu’elles exercent les mêmes fonctions qu’eux. Elles ont, dans l’ensemble, des centres d’intérêt et des activités bien à elles, qui s’ajoutent à leurs occupations économiques et professionnelles.
Leur force ne se fait jamais mieux sentir que lorsqu’elles s’organisent collectivement et brandissent l’arme de la propagande. Ainsi organisées et armées, elles peuvent peser efficacement sur des conseils municipaux et des assemblées législatives, sur des congrès nationaux et des hauts dirigeants, sur des campagnes politiques, sur l’opinion publique en général, à l’échelle régionale et nationale. La position que les Américaines occupent aujourd’hui dans la sphère politique est beaucoup plus importante du point de vue de l’influence des divers groupes qu’elles ont constitués que du point de vue de l’autorité individuelle découlant des positions de pouvoir ou des charges qu’elles occupent. La femme politique n’a jamais eu beaucoup d’ascendant, jusqu’à présent, et les femmes en général estiment d’ailleurs que ce n’est pas là le plus important. Après tout, Ma Ferguson n’était jamais qu’une femme au foyer, la marionnette d’un mari destitué ; et, de l’avis de tous, Nellie Ross, un temps gouverneur du Wyoming, ne possède aucune des qualités qui font le fin politique ou le leader d’opinion.
La campagne pour le droit de vote féminin aura au moins eu le mérite de démontrer ce que peut la propagande pour un mouvement animé par un but précis. À Washington comme dans les différents États de l’Union, les femmes continuent d’ailleurs de l’utiliser pour réaliser leurs programmes. Dans la capitale fédérale, elles se sont regroupées au sein d’une commission législative qui rassemble quatorze organisations féminines (dont, entre autres, la Ligue des électrices, l’Association des jeunes chrétiennes, l’Union antialcoolique des femmes chrétiennes, la Fédération des clubs féminins). Ces groupes organisés élaborent un programme législatif, puis recourent à la technique moderne de la propagande pour faire voter leurs propositions et les intégrer à la législation nationale.
Cette tactique leur a permis de remporter plusieurs succès. Ainsi les femmes peuvent-elles à juste titre s’attribuer le mérite d’une grande partie des lois de protection sociale. La journée de travail de huit heures est leur œuvre, comme, indéniablement – si tant est qu’il s’agisse bien d’un progrès –, la loi sur la prohibition et ses décrets d’application. Il faut également porter à leur actif la loi Sheppard-Towner, qui prévoit que le gouvernement central doit aider les États à assurer la protection maternelle et infantile. Ce texte n’aurait pas été adopté sans la prescience politique et la sagacité de femmes telles que Mmes Mitchell et Vanderlip.
Les mesures recommandées par la Ligue nationale pour le suffrage des femmes lors de son premier congrès, et qui depuis figurent dans la législation fédérale, illustrent bien l’activité des organisations féminines dans le domaine de l’assistance sociale. D’une portée très large, elles vont de la protection des enfants aux tâches domestiques, en passant par l’éducation, la cherté de la vie, les rémunérations des métiers féminins, la santé et la moralité publiques, l’émancipation civique et juridique des épouses, etc.
La Ligue nationale pour le suffrage des femmes a assuré une large propagande à ces principes en publiant des documents de toute nature (bulletins, calendriers, brochures électorales), en organisant des cours par correspondance sur le rôle et la composition du gouvernement, des conférences publiques, des programmes d’instruction civique.
Deux facteurs expliquent probablement l’efficacité des organisations féminines dans la vie politique de l’Amérique contemporaine : l’existence, d’abord, d’un corps professionnel de secrétaires de direction et d’assistantes juridiques formé pendant les campagnes pour le droit de vote des femmes, quand pour rallier à la cause une majorité récalcitrante il fallut utiliser tous les mécanismes bien connus du propagandiste ; le fait, ensuite, que les têtes d’affiche du mouvement suffragiste, déjà très actives dans les manifestations et les mobilisations de masse du temps de guerre, se sont tournées vers d’autres activités une fois la paix revenue. C’est le cas, pour en citer quelques-unes, de Mme Frank Vanderlip, d’Alice Ames Winter, de Mme Henry Moskowitz, de Florence Kelley, de Mmes John Blair et O.H.P. Belmont, de Doris Stevens ou d’Alice Paul.
Si je donne l’impression de m’en tenir ici aux accomplissements politiques des femmes, c’est parce qu’ils offrent un exemple probant de l’utilisation intelligente de la nouvelle propagande au service des idées d’une minorité. Aussi étonnant que cela paraisse, il était somme toute logique que les dernières recrues du monde politique s’emparent des armes neuves de la persuasion pour contrebalancer leur inexpérience dans ce qu’on appelle, par euphémisme, la « pratique » politique. J’en veux pour preuve le procédé mis en œuvre il y a quelques années par le Comité des consommatrices pour contester le projet de réévaluation des tarifs douaniers : ce groupe loua une boutique dans la 57e Rue, à New York, et y installa une exposition de produits très divers, tous présentés avec une étiquette indiquant leur prix actuel et celui qu’ils vaudraient si le projet était adopté. Par centaines, les visiteurs de cette exposition apportèrent leur soutien à l’action du comité.
La politique n’est pas, loin s’en faut, le seul domaine où les femmes exercent une indéniable influence sociale en appliquant le principe de l’autorité collective pour arriver à leurs fins. La Fédération des clubs féminins rassemble pas moins de treize mille assemblées réparties en quelques grandes catégories : clubs municipaux ou de quartier, clubs de mères et de femmes au foyer, clubs culturels qui privilégient l’art, la musique ou la littérature, clubs professionnels et clubs à vocation très large qui se consacrent à des activités communales ou régionales recoupant celles énumérées ci-dessus.
Ces clubs sont généralement très actifs sur les questions qui ont trait à la santé et à l’hygiène ; à l’approfondissement des connaissances artistiques ; à l’adoption de lois visant à améliorer le sort des femmes et des enfants ; à l’aménagement de terrains de jeu et à l’embellissement des jardins publics ; à la moralité sociale ou politique ; aux tâches ménagères et à l’économie domestique ; à l’éducation, et ainsi de suite.
Dans toutes ces matières, ils s’attaquent à des problèmes qui ne sont pas, d’ordinaire, traités par les organismes existants ; souvent, leurs initiatives et les mouvements qu’ils soutiennent contribuent au bien commun. Un club qui a pour vocation d’encourager la bonne gestion du foyer et les arts ménagers parrainera une école de cuisine s’adressant tout spécialement aux jeunes épouses. Les cours culinaires récemment organisés au Carnegie Hall sous la houlette du Herald Tribune new-yorkais témoignent du vif intérêt des femmes pour ce type d’apprentissage : organisés sur plusieurs jours et suivis par près de trois mille personnes, ils ont fait salle comble, rivalisant avec le pouvoir d’attraction d’un McCormack ou d’un Paderewski, et apportant un démenti flagrant à l’idée selon laquelle les habitantes des grandes villes bouderaient le rôle de maîtresse de maison.
Un club qui a à cœur de promouvoir la santé maternelle et infantile appuiera sans réserves un mouvement prônant la distribution de lait dans les écoles, ou l’ouverture d’un centre de soins pour enfants en bas âge.
Un club de musique fera œuvre utile si, élargissant sa sphère d’influence, il aide la station de radio locale à proposer des programmes musicaux de meilleure qualité. La dénonciation de la mauvaise musique nécessite un engagement aussi ferme que n’importe quelle campagne politique, et peut mobiliser autant d’énergie. Un club artistique apportera à sa ville une contribution précieuse en y organisant des expositions temporaires. Il peut également préparer des expositions itinérantes d’œuvres réalisées par ses membres, ou présenter les créations des élèves des écoles des beaux-arts.
Un club littéraire qui s’aventure hors du cercle enchanté de la lecture et des grands auteurs peut jouer un rôle décisif dans la vie éducative locale. Il pourra par exemple organiser à l’intention des lycéens un concours de dissertations sur l’histoire de la ville ou sur la vie du plus célèbre de ses fils.
En sus de défendre la cause particulière autour de laquelle il s’est constitué, le club féminin, en règle générale, n’hésite pas à lancer ou à soutenir un mouvement se proposant d’améliorer les conditions de vie de tous dans tel ou tel domaine. Enfin et surtout, c’est un relais efficace qui permet aux femmes de se sentir pleinement partie prenante de l’opinion publique.
De même que dans la vie privée les femmes complètent les hommes, elles les compléteront dans la vie publique en concentrant systématiquement leurs efforts sur ces objets qu’ils ont tendance à négliger. Un espace immense s’ouvre aux femmes désireuses d’être les protagonistes de nouvelles idées et de nouvelles méthodes dans l’administration politique et sociale du foyer. Bien organisées, conscientes de l’influence qu’elles exercent sur leur entourage, elles peuvent utiliser de bien des façons leur liberté récemment acquise pour faire du monde en endroit où la vie serait plus belle.
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