La traduction française du titre de ce film en dit long sur les hésitations de notre doxa. L’expression « faute de » désigne une absence. Mais « Faute d’amour » peut aussi signifier un amour qui serait fautif.
Il est bien connu que par essence, le traducteur est un traître. Ici, celui-ci introduit l’idée d’une histoire personnelle qui ne concernerait qu’un couple seul, dont nous serions les voyeurs, couple fautif de s’être mal aimé. Il n’en est rien. Loveless a un caractère universel. Ce film ne raconte pas l’histoire d’un couple qui divorce, mais décrit avec une précision toute artistique un processus de séparation qui est celui de l’absence d’amour.
Sans en raconter véritablement l’histoire, d’ailleurs y-a-t-il une histoire dans ce film, je voudrais recenser les idées universelles dont il traite :
- L’enfant du divorce : un malaimé. Que des parents restent ensemble par souci de leur enfant prouve qu’au moins, l’enfant en question a affaire à des adultes responsables. Des parents incapables de concorde, au moins pour leur enfant, ne l’aiment pas. Ils ne s’aiment pas non plus. Bien entendu, il faut être deux adultes responsables pour former couple. Souvent, l’échec d’un couple signe l’échec de deux personnalités et au minimum d’une personne troublée et d’une autre qui a aimé son trouble. Mais bien souvent, les couples en échec se rencontrent parce qu’ils sont tous les deux troublés. Dans Loveless, Aliocha n’est qu’un objet entre les mains de ce père et de cette mère. Sa mère s’en est servi pour se séparer d’un foyer maternel toxique (pléonasme). Son père s’est reproduit sans trop se poser de question. Du coup, cet enfant est comme un intrus dans leur vie. Il n’a pas de place. Il les gêne. La mère répète qu’elle aurait voulu avorter de lui. Cependant elle s’en sert surtout comme d’un bouc émissaire. L’infanticide par avortement auquel l’enfant est ramené masque une velléité mortifère que la mère fait endosser à son enfant. Ce dernier se sent abandonné. Il va disparaître mais en fait, il avait déjà disparu de leur vie. A la fin du film, il est à penser que ses parents ne réussiront même pas à le reconnaître tant il leur était étranger. A vous de voir.
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Une histoire parentale bancale. Basée sur un amour passion, mal défini, qui cache des réalités traumatiques vécues dans l’enfance, les parents divorcés se transmettent de génération en génération, une absence d’amour. Génia, la mère, rejette son fils comme elle est rejetée par sa mère. Boris, le père, n’a pas d’histoire. Or un père sans histoire, sans filiation, n’est pas un père.
– Une passion qui cède la place à une autre. Tourmentés par leurs sentiments, ce couple parental passe d’une relation à une autre en croyant toujours que l’avenir leur appartient. Incapables de remise en question, ils reproduisent des erreurs dont ils sont responsables. Mais ils chargent l’ancien partenaire de tous leurs malheurs.
L’absence d’amour est souvent un laisser-aller qui ne voit que par soi, un narcissisme d’enfant encore dans le sein de sa mère. Quand l’enfant possède le sein, il est heureux. Quand il lui est retiré, il braille. L’adulte immature se comporte ainsi. Les règles du monde lui échappent, et il est incapable d’accepter la fatalité ou de comprendre le sens d’un engagement. Ici, Genia et Boris retrouvent un nouveau partenaire et croient tous les deux vivre une histoire différente. Très vite, ils feront face aux mêmes écueils. Génia s’enfermera dans un non sens individualiste. Boris verra son nouvel enfant comme une gêne. Et pour tous les deux, quand la flamme bestiale de la passion se sera éteinte, il ne leur restera plus rien.
- Les erreurs qui se répètent. De génération en génération les personnages répètent leurs erreurs. Ils sont enfermés dans un cycle infernal dont ils chargent leur progéniture. Aliocha va briser ce cycle. Est-ce à dire que ces parents se remettront en question ? Non, ils iront vivre plus loin leur chimère.
Nous sommes le fruit d’une histoire dont nous pouvons être aussi les prisonniers, si nous voulons l’ignorer. Les enfants de divorcés divorcent encore plus statistiquement que les autres. Ils subissent un monde individualiste jusqu’à la mort de toute descendance, jusqu’à ce qu’ils méconnaissent à plein la notion de filiation (hommes) et d’accueil (femmes).
–L’enfant de divorcés et la fuite. Aliocha a cette beauté universelle de l’enfant tourné comme un forcené vers la vie. Il voudrait avoir une place en ce monde. Mais la matérialité de sa propre existence ne peut lui suffire. Il lui faudrait être aimé pour accepter de continuer en ce bas monde. Comme il ne l’est pas, il va s’enfuir, enlever sa veste alors qu’il fait froid et rejoindre le ciel, comme un ruban suspendu dans le ciel, à tous les vents. Ainsi revenu à l’arbre de vie, son existence fera sens, il est à penser qu’il observera de haut le courant auquel il aura échappé. A vous de comprendre après avoir vu le film.
- Le ridicule de l’attirance sexuelle. La copulation sans objet n’est qu’une masturbation par corps interposés. Le coït devient une fin en soi qui ne préoccupe pas de l’avenir, qui croit en sa propre signification. Du coup, la stérilité et la frustration en sont le résultat. La bêtise aussi, les sentiments vils, la tromperie, puis la dispute suivent de près.
Un monde sans amour. Il faut un monde sans amour pour autoriser des comportements aussi vils. Boris se met avec une petite jeune qui flatte son ego. Genia avec un riche qui alimente ses fantasmes. Le riche en question ne rencontre jamais sa fille, qui trouve cela normal puisqu’ils se voient par vidéo conférence. Génia voudrait se débarrasser d’Aliocha auprès de sa propre mère. Mais celle-là n’en veut pas parce qu’elle n’a pas envie d’être manipulée. A aucun moment, ils ne pensent à l’enfant, mais à leur bonheur personnel, la mère tout comme sa fille, tout comme le mari. Boris est gêné par le divorce parce que son patron est orthodoxe et qu’en Russie, celui-ci peut le virer comme bon lui semble s’il est célibataire. Du coup, le spectateur doute de la sincérité de sa nouvelle relation qui lui offre surtout un statut social prompt à le protéger. Les scènes de restauration collective sont particulièrement bien filmées en ce qu’elles symbolisent un déroulement répétitif et animalier de prise de nourriture. Les salariés sont des gras du bide empâtés qui se laissent-aller à recevoir leur pitance comme des vaches. Ils ont le regard et le teint bovin. Ils se ressemblent tous, s’habillent pareil, prennent toujours les mêmes nourritures, offrent à la vue des silhouettes semblables. Quant aux femmes, elles font attention à se maintenir en forme, non parce qu’elles s’aiment ou qu’elles aiment leur partenaire, mais pour se sentir exister (ce à quoi objectivement, Génia échoue). Seul un monde sans amour peut permettre de tels comportements. Ce monde est celui du sexe, du romantisme de relations sans lendemain et pleines de vacuité, un monde sans spiritualité, stérile, le nôtre.
Loveless est un film à l’esthétique japonaise, gris aussi, un peu long car il ne s’y passe rien ou pas grand-chose, mais très profond. Bien qu’inscrit dans un environnement russe, il décrit une société, la nôtre, dépassée par son propre fonctionnement où le seul espoir vient d’une association qui s’occupe de retrouver les enfants perdus à la place de la police. Ces gens désintéressés aiment vraiment. Ils étudient les enfants pour ce qu’ils sont afin de réussir à les dénicher, prenant au sérieux leurs habitudes et ainsi offrir une deuxième chance à des familles brisées, ne condamnant pas pour rester efficaces, fonctionnant en groupe, solidaires. Tout l’inverse de ces couples empêtrés dans une mièvrerie individualiste.
A voir pour apprendre à voir.
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