Revenir sur ce dessin animé de 2012 me paraît intéressant car il propose un scénario plutôt inédit centré sur la vision que les femmes ont du monde. Dans cet univers, les hommes sont de grands benêts qui ne trouvent leur épanouissement que dans des confrontations puériles voire dangereuses. Ils ont besoin des femmes pour ne pas faire n’importe quoi. Ce sont de saints innocents que les femmes contrôlent facilement sur un plan personnel, tandis que le plan général (la guerre, l’insertion sociale) n’est guère pris au sérieux.
Loin d’être opprimées dans ce cadre, les femmes s’y édifient entre mère et fille, les pères passant un peu à côté de l’essentiel, inaptes à les comprendre, jouant d’une proximité flatteuse. Une féministe aura du mal à analyser cette dialectique parce qu’indifférenciée de sa mère (infantile) et/ou avide de conquérir un logos masculin à jamais inaccessible pour elle, elle restera inapte à reconnaître le pouvoir d’une autre femme, ses propres pouvoirs. Dans son obsession pour le monde des hommes, le monde des femmes n’existera pas, ce déni moderne s’appelant « domination patriarcale ». Voilà aussi comment dans de nombreuses autres situations, le féminisme, sensé représenter les femmes, n’est même pas capable de comprendre les dites femmes. Des personnes à pulsions lesbiennes, éternelles déclassées, seront toujours fascinées par leur propre sexe jusqu’au point de devoir maltraiter leurs semblables, qu’elles convoitent, et les sauver d’hommes qui leur permettent pourtant seuls d’avoir prise sur le monde.
Ainsi, Rebelle ne peut être qualifié de féministe, sans pour autant être antiféministe. Il existe parce que les femmes existent et ont une pensée autonome, qu’elles tentent de faire progresser au-delà des questions masculines et/ou sociales. Les débats autour du féminisme ou de l’antiféminisme de ce film n’ont donc aucun sens. Rebelle est féminin. Tout comme Harry Potter.
Dans cette fiction féminine, la matriarche a dû céder aux hommes pour que ses enfants acquièrent une filiation et que le monde soit en paix. Mais par la suite, en acceptant son statut et les contraintes morales inhérentes à tout être humain, elle a conquis sa liberté et un pouvoir puissant sur son entourage. Ces règles qui ont permis à la mère de s’émanciper dans sa jeunesse, elle tente de les inculquer à sa fille. Mais cette dernière trop proche de son père, est tentée de vivre comme un garçon manqué et de rester à jamais la petite fille de son papa, refusant son statut de femme adulte, son sexe, dans une immaturité proche du lesbianisme.
Rebelle va donc raconter le parcours initiatique d’une petite fille qui va réussir à se libérer de son infantilisme. Tout comme les garçons doivent être initiés par de plus expérimentés qu’eux, les filles possèdent aussi leurs propres rituels initiatiques transmis par leurs mères, et souvent aussi par leurs grands-mères. Malgré les attaques féministes, cette culture perdure, car elle est la seule qui a jamais permis à l’humanité de se reproduire. Le film nous la dévoile un peu.
Tout d’abord, il est à noter que la princesse Mérida a acquis des compétences supérieures à celles des hommes dans le maniement de l’arc. Les femmes pensent ainsi qu’elles peuvent faire mieux que nombre d’hommes dans leurs domaines de prédilection (cela reste à prouver mais admettons), mais cette capacité n’est pas identifiée de manière positive, car une femme ne deviendra adulte et ne régnera qu’en accédant à sa propre culture sexuée. Or notre princesse la refuse et s’oppose ainsi à sa mère tandis que sa mère veut la faire évoluer sur le sujet. L’incompréhension règne entre elles. La princesse cherche à poursuivre sa vie de sauvageonne. La mère voit que sa fille grandit et tente de lui faire accepter son statut princier.
Voici une histoire commune qui se reproduit même dans les familles les plus modestes, l’exemple le plus éloquent et documenté étant certainement celui de Marie-Thérèse d’Autriche et de Marie-Antoinette. Durant des années, la femme perspicace qui dominait le monde a essayé d’éclairer sa fille sur la nature de ses obligations. Celle-ci a préféré batifoler jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Sa prise de conscience tardive l’a amenée, cas extrême mais pas rare en termes de symboles, à l’échafaud. Triste spectacle que celui d’une reine qui était faite pour le pouvoir mais qui ne put jamais l’exercer au milieu d’une cours féminisée qui entretint pendant trop longtemps son inconséquence.
A l’instar de Marie-Antoinette, la princesse Mérida ignore tous les conseils de sa mère, et décide de la gruger. Elle rencontre une sorcière à qui elle demande un sortilège pour échapper à ses obligations. Ce faisant, en goûtant au gâteau de la paix, sa mère est transformée en ourse, miroir du comportement animal et prétendument libre de sa fille. La maman devient aussi objet d’aversion pour son père qui essaye de la tuer, en bon chasseur d’ours qu’il est, ne la reconnaissant pas dans son habit de poils et à poil (beaucoup de contes traditionnels, dont celui de Mélusine développent cette thématique). Ici, il faut comprendre que les filles ont le pouvoir de détourner leur père de leur épouse, en faisant ressortir le côté animal de leur mère qu’elles connaissent si bien, et pour cause. L’inceste père-fille suit un chemin identique à l’inceste mère-fils en ce qu’il écarte le sexe opposé parce qu’adulte. Mais là où le fils est victime de sa mère, c’est ici la femme adulte qui est désignée victime de la fille. La scénariste, méprisante des hommes, enfermée dans sa relation à sa mère, n’a pas intégré la responsabilité du père. Ainsi pense-t-elle qu’elle est coupable de son désir incestueux, tandis que son père aurait dû la dissuader d’avoir de tels sentiments pour lui. Son désir se construit de manière autonome, de mère à fille, sans passer par les hommes qui ont été instrumentalisés pour l’occasion. L’aversion est donc, toute tournée vers la mère dont la part animale risque à tout moment de l’emporter.
La fille comprend ainsi qu’il est difficile de vivre en animal sans le devenir complètement. Toujours est-il que pour s’en sortir, elle va devoir accepter de devenir humaine, c’est à dire accepter de devenir un être responsable de ses actes soit : avoir fait manger du poison à sa mère, l’avoir dénigrée, n’avoir pas eu de gratitude envers elle pour tout le bien qu’elle lui avait fait dans sa jeunesse, et ceci avec pour finalité de lui redonner sa place au sein de la famille nucléaire et par là se redonner un avenir (« nucléaire » ne désignant jamais que cette réalité première : les enfants naissent d’un homme et d’une femme, de génération en génération).
Le raccommodage de la tapisserie déchirée entre la mère et la fille/père accompagné d’une demande de pardon scellera le long (par)chemin accompli par la fille pour sauver la mère/pour se sauver. Dans cette deuxième partie trop longue, avant de revenir à l’humanité, la femelle ourse combattra son double masculin d’un lointain passé, prisonnier du même sortilège parce qu’il avait voulu lui, prendre le pas sur ses frères. Selon cette dialectique bien féminine, les petits garçons ne doivent pas chercher à devenir le préféré de leur mère jusqu’à évincer leurs concurrents de même lignée. Le risque étant de détruire la descendance des femmes. Pour elles, tous leurs enfants doivent se valoir, avoir même héritage, même considération, et seuls des déviances peuvent empêcher cet idéal égalitaire pacifié de se réaliser. De même, les enfants auront acquis entre temps le droit de choisir leur époux, et cela ne changera rien à l’avenir des clans.
Seulement cette vision féminine/personnelle des rapports humains heurte la réalité alors même qu’elle s’est réalisée aujourd’hui dans tout l’Occident. Le droit de primo-géniture mâle n’est pas un accident de l’histoire. Il s’est imposé pour éviter la violence égalitariste, qui disloque les patrimoines et de la famille. En diluant l’héritage, il devient nul. En mettant tous les enfants sur le même plan, la famille perd toute prise sur la société, les enfants peuvent décider pour les parents, et la confrontation, loin d’être évitée, n’en est que renforcée (il n’y a qu’à penser à la succession de Charlemagne). Dans notre modernité, les enfants sont les héritiers financiers de leurs ascendants, sans forcément devoir en être la prolongation morale. Irresponsables, ils n’ont pas à reprendre la flamme. Seul l’État peut encore les obliger à les nourrir, et encore. L’État s’approprie bien souvent cette fonction et encourage les désertions parce que la pesanteur des liens familiaux gêne l’économie libérale. La famille explose suite à une alliance des femmes avec ce système.
La revendication de traitement égal des filles et des garçons, et des sexes entre eux, légitime sur un plan personnel, est donc catastrophique à un niveau social. Entre le mariage forcé prôné dans les temps anciens, à l’image des pratiques des clans de ce film, et le libre choix des enfants, il n’existe rien pour les femmes d’aujourd’hui. C’est ignorer une situation équilibrée passée, où les femmes choisissaient librement leur partenaire sous le regard de leurs parents qui pouvaient protester si le dit partenaire ne leur convenait pas. Entre mariage forcé et libre consentement, il ne semble rien exister dans l’esprit de femmes actuelles jusqu’au boutistes qui ne jurent que par le plan personnel surtout dans un monde où l’homme a chu.
Il n’est pas possible de comprendre Rebelle sans y voir un film sur la psyché féminine, la thématique du mariage forcé semblant sinon bien anachronique pour le public occidental à qui il s’adresse. Cette animation a pour qualité d’exposer un point de vue féminin des relations familiales, mais comme toute production féminine non ensemencée, elle tourne en rond et propose un modèle de société destructeur et stérile, car entièrement tourné vers lui. Pour aboutir, le scénario aurait dû intégrer des considérations autrement plus complexes sur le statut social, les affinités qui en naissent, le choix d’un partenaire proche, la proximité dans l’amour. For heureusement l’ambition limitée de cette production lui a aussi évité un naufrage complet. A la fin, et avec beaucoup de distance, Rebelle peut s’apprécier pour ce qu’il est, une tentative intéressante d’éclaircir les rapports fille-mère.
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