Ce film là n’est pas tout public, ni à voir si vous éprouvez le moindre dégoût face au sang, même fictif des écrans de télévision. Ceci étant dit, voici une belle allégorie des relations hommes femmes, mais plus encore des relations femmes femmes, ce dernier point étant pour le moins original.
Car contrairement à ce qu’en ont dit les critiques, il ne s’agit pas d’une simple fable techno bien plantée, à la réalisation esthétique aboutie. En effet, tout le monde sera d’avis, que la mise en scène est réussie, qu’elle nous plonge dans l’univers de la mode tout en en ayant intégré les codes. Jusqu’à la fin du film, le spectateur pourra se laisser bercer d’illusions grâce aux images éblouissantes de cet univers esthétique. Les lumières, la cohérence des plans, les contrastes, les musiques sauront retenir l’attention du gourmet. Seule une impression de glauque viendra troubler une mise en bouche recherchée. Mais attention, puisque nous devons parler de nourriture, le petit chaperon rouge risque gros au coin du bois, et son destin, c’est de finir dans le ventre du loup. De la gastronomie à l’orgie, il n’y a qu’un pas. Presque jusqu’à la fin, vous vous direz que l’équipe de tournage s’est faite plaisir, et vous avec, en jouant sur la forme. Mais après une longue promenade à travers bois, vous vous retrouverez loin de chez vous, la nuit tombée, en lieu inconnu.
The Neon Demom possède un fond. En ce sens, le titre a été bien choisi. Le démon du néon fait référence à lucifer et à l’ange de la lumière près duquel les âmes papillon viennent se brûler les ailes.
Jessie, le personnage principal, vient de nulle part. Ses parents sont morts, elle n’a pas d’histoire, pas de passé, mineure de 16 ans vierge champêtre aux longues robes choisissant de vendre ses charmes pour s’en sortir dans un des milieux urbains les plus cyniques qui soit : celui de la mode. Si le contraste est saisissant, le film n’en est pas moins subtile en réussissant à nous montrer la différence entre beauté naturelle et artificielle. Le factice de notre société de consommation, et de nos écrans de télévision, pourrait presque nous le faire oublier. Le beau existe vraiment, et cette même société de consommation court après, indéfiniment.
Mais qu’est-ce que le beau au juste ? Les professionnels de la mode et de la photographie qui voient défiler des milliers de filles plus plastiques les unes que les autres, le savent. Le beau est rare, et éphémère. Il ne dirige pas le monde comme le suggère un des personnages, il est le monde comme le lui répond un autre, au même titre que le vrai dans le domaine de la science. Le beau est capable d’émouvoir le plus cynique des professionnels de ce milieu. Il est la recherche de toute une vie. Il se saisit plus qu’il ne se crée. Il est une grâce en plus qui accompagne une volonté inflexible. Il ne cherche rien, mais possède tout.
Jessie incarne cette perfection. Elle se sait belle, mais ne connaît pas encore toute l’ampleur de son empire sur le monde. Ses rencontres vont le lui révéler. D’abord auprès d’un jeune photographe ambitieux mais encore inexpérimenté. Dean représente le garçon romantique et sensible des débuts, artiste en devenir qui a senti tout le potentiel de sa muse sans se l’expliquer si ce n’est par l’attirance qu’il éprouve envers sa fragilité. Il l’aime sans la comprendre, tout en voulant la posséder, n’ayant pas admis qu’elle était plus que fragile. En observant Dean, je songe à tous ces jeunes hommes bouleversés parce qu’ils aiment pour la première fois, mais qui vont vite découvrir à quel point la fragilité peut être cruelle. La beauté virginale rassure l’homme immature et lui fait penser qu’il fait face à une femme dénuée de moyens. Découvrant l’inverse, il risque l’aigreur tant le fossé est grand entre l’image qu’il se faisait du beau, et la réalité.
Ainsi, le chemin de Dean et de Jessie vont immanquablement en arriver à se séparer. Plus que Dean qui est pourtant son aîné de plusieurs années, Jessie a compris qu’il était une entrave à son développement, et qu’elle devait grandir loin de lui pour espérer s’épanouir. Progressivement, elle va se donner en tout bien tout honneur aux artistes de son époque qui vont la magnifier et transcender sa beauté. La coupure sera définitive entre les deux tourtereaux à partir du moment où Dean voulant la sauver une énième fois de ce milieu se verra entendre de sa part qu’elle n’a pas besoin d’être sauvée parce que loin de la dominer, elle domine son environnement. Ainsi, quand elle va faire face à l’homme profiteur, elle ne va pas se réfugier auprès de lui, mais de la seule femme qui lui aura tendu une main. Mal lui en prendra.
Mais avant, arrêtons nous deux lignes et revenons à ce profiteur qui va la faire fuir, cette image masculine négative, qui rançonne ses locataires, les arnaque après avoir fait mine de les aider, profite sans vergogne de la situation d’errance des pauvres qu’il reçoit. Le tenancier joué par Keanu Reeves donne à réfléchir sur la prédation qui se nourrit des situations familiales boiteuses. Drôle d’idée que ce rôle ait été endossé par un acteur charismatique. Le personnage de Hank navigue dans un monde où apparemment, la force n’a pas sa place, si ce n’est pour être dévoyée, et où, seul le beau compte, pour mieux être sali. Je vais peut-être un peu loin, mais cet homme sans morale représente une domination masculine qui n’aurait pas trouvé sa pleine expression dans le monde et qui en aurait été pervertie. Cette force n’est pas au service du beau et tente d’en abuser. Ainsi, il viole sans vergogne la voisine de Jessie, une petite fugueuse de 13 ans, qui veut échapper à son milieu et qui aura honte de raconter ce qui lui est arrivé. Il sait qu’il peut jouer sur la situation précaire de ses résidents car l’intervention de la police mettrait fin au voyage de tous, et les ferait revenir à cette case départ qu’ils ont cherchée à fuir plus que tout.
C’est au cours de cet incident, que Jessie, apeurée, s’enfuie du motel pour se réfugier auprès de Ruby, la maquilleuse qu’elle a rencontrée sur les plateaux et qui dit vouloir la protéger. Mais Ruby n’a qu’une idée en tête et c’est d’abuser aussi de la petite. Quand elle apprend qu’elle est vierge, elle ne peut plus retenir ses pulsions, mais se fait repousser violemment. Or Ruby qui ne peut forcer sa conscience, ne va pourtant pas renoncer à la posséder. Elle va donc faire appel à ses copines rejetées des castings et dans une métaphore carnassière vont se l’approprier en la dévorant. L’histoire pourrait s’arrêter là. Les déchets de ce monde bling bling ont vaincu. Fermer les portes, il n’y a plus rien à voir. Cependant, le film va un tout petit peu plus loin. Les carnassières ne survivront pas à leur crime. La fable prend alors un tour enfantin, malgré les images crues.
Dès que l’une verra la lune monter dans le ciel, le sang de sa victime se répandra en dehors d’elle, provoquant une hémorragie mortelle. Une autre à la vue de la piscine, identique à celle où a été commise le crime, sera prise de nausées, vomira l’oeil de Jessie, et se suicidera pour faire taire sa douleur. Une troisième mangera l’oeil restant, perpétuant le sacrifice morbide.
En vérité, les scénaristes nous ont montrés, non seulement comment la beauté était sacrifiée, mais également comment sa recherche éperdue emprunte de perfection, éliminait ceux qui s’y adonnaient. Les bourreaux tuent en eux toute humanité en commettant leurs crimes. Jessie le dit elle-même, elle est dangereuse. A sa vue, les autres femmes ne peuvent retenir leur jalousie. Plus que les hommes qui l’adulent, celles-là ne peuvent supporter l’existence d’une fille parfaite qui les concurrencerait. Elles veulent posséder sa puissance et se l’approprier dans un sacrifice proche des anciens cultes païens, en buvant son sang, en mangeant sa chair.
Vous comprendrez dès lors pourquoi les journaux ont mal noté ce film en proportion de leur gauchisme. Dans celui-là, les femmes ne sont pas toujours gentilles entre elles. Elles sont capables de se coaliser pour répandre le mal sur terre. Les lesbiennes ne forment pas un couple parfait. Le monde de la consommation libérale libertaire fonctionne comme une usine à produire du beau et à détruire les êtres humains les plus fragiles. Les artistes obnubilés par leur art sont encouragés dans leur recherche jusqu’à en oublier toute pitié. Ils doivent satisfaire un public qu’on ne voit jamais mais qui commande toutes ces marionnettes.
Voilà d’ailleurs en quoi The Neon Demon est un film christique. Il donne à voir un mal auquel nous participons de manière réaliste. Nous en sortons dégoûtés, non pas salis, mais peut-être moins innocents, en ayant observé durant quelques minutes la face sombre du démon, toujours prêt à enjoliver ses pièges. Jessie nous montre combien nos propres désirs nous poussent à déchoir, combien l’image de la virginité et de la pureté peuvent avoir d’emprise sur nos mauvais penchants quand nous refusons notre condition de pécheurs. Jessie n’existe pas. Elle est la projection de tous nos fantasmes de perfection qui nous détruisent. Ce monde de la mode en est le miroir en creux, d’autant plus laid que sa recherche est vaine. Accepter la présence du beau n’est possible qu’en en passant par le Christ et en dépassant nos fantasmes sur une vie terrestre bien limitée et artificielle, surtout en ne déifiant pas ses représentations corruptibles aussi belles soient-elles, mais en les chérissant pour ce qu’elles sont, comme des fleurs qui se faneront d’autant plus vite que nous aurons voulu les cueillir. Si une fleur dure d’autant plus longtemps que nous l’avons entretenue, elle finit par cesser d’être. La mettre en cage, la retenir, prolonger son existence au-delà de toute mesure, nous cause plus de soucis que de la laisser vivre et retourner à Dieu. Ainsi, n’avons nous pas prise sur notre bonheur. The Neon Demon nous le rappelle cruellement.
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