(Film) « Kingsman » ou l’évolution du discours progressiste

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L’inclusivité est le maître mot du discours progressiste actuel. La folie de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, excusez-moi, la science déifiée, offrant des perspectives sans limites, le jeu du mal consiste désormais à faire entrer toute l’humanité sous une même bannière. Cette fausse fraternité issue d’un culte matérialiste immanent ne peut laisser personne sur le bord de la route, sauf les méchants qui la refusent, bien entendu. « Nous sommes les gentils, et ceux qui n’adhèrent pas à notre foi de gentils, sont forcément des méchants » semble ânonner  le matérialiste. Derrière cette maxime simpliste se cache pourtant tout un discours complexe difficile à décrypter, séduisant, bien élaboré qui se diffuse dans la société. « Kingsman » est un des exemples les plus réussi d’une telle entreprise. Ce film de 2015 retravaille tous les codes du film d’espionnage pour délivrer un discours progressiste très élaboré.

Après la délinquance, Eggsy va goûter à la méritocratie

Tout d’abord et comme je le précise en introduction, l’inclusivité étant devenu le maître mot du discours prosélyte progressiste, des personnages inhabituels y sont introduits et leur rôle y est retravaillé sous l’angle du bien et du mal. Serait-ce les prémices de la lutte contre l’élection de Donald Trump (ou les problèmes que les Anglais rencontrent avec Tommy Robinson), cette fois, événement majeur, un petit blanc est le centre de ce scénario.

Je crois que déjà, le progressiste sentait que le poor white trash lui échappait, et qu’il fallait « l’inclure » dans ce grand combat final contre les vilains. Du coup ici, Eggsy est blanc. Il a grandi dans une banlieue pourrie d’Angleterre et il se distingue en cela de toute l’aristocratie de son pays, par ses manières, son habillement, sa façon de parler, ses codes, ses aspirations… Cependant, ce qu’il a appris dans son milieu va lui servir à vaincre, même s’il devra s’acculturer pour gagner. La roublardise du pauvre, son attrait pour les femmes et l’alcool ne seront pas un obstacle. Ils devront être canalisés pour donner du fruit. Luc Besson, sortez de ce corps.    

Deuxième élément étonnant, la situation familiale de ce red neck n’est pas éludée. Il est élevé par une fille-mère qui n’a pas retrouvé le bonheur auprès de son second compagnon. Ce dernier la bat, il bat le petit qui a été séparé de son père, non pas du fait des choix de sa mère, mais à cause de circonstances dramatiques. Concession à la mièvrerie ambiante, la pauvre femme est allée vers le bad boy par désespoir et non par choix. Elle a eu un deuxième enfant avec lui, mais certainement par hasard… bref, ce film ne va pas jusqu’à s’attaquer à l’image de la sainte mère immaculée.

 

L’environnement

Dans cette banlieue pourrie anglaise, les scénaristes ne vont pas non plus jusqu’à présenter des pakis comme majoritairement fauteurs de troubles. Blancs et nègres y sont mélangés dans une indifférenciation de bon aloi. Quant aux aryens islamistes venus d’Inde en masse, je n’en ai pas vu la moindre trace, excepté sous les traits d’un dangereux terroriste au début, certes très motivé à tuer des gens, mais bien isolé. Il ne faut pas trop en demander au progressiste. En dehors de ces écueils habituels, la situation familiale de ce jeune blanc, et ses implications, y sont donc bien décrites. Les familles recomposées n’y sont plus un eldorado. La banlieue n’y est pas tout à fait excusée. La question de la responsabilité individuelle y est d’ailleurs abordée de manière centrale.

 

Les personnages

Eggsy va devoir choisir son destin, et s’affronter à une cohorte d’enfants d’aristocrates pour s’en sortir. Il sera aidé sur son chemin par une jeune fille avec qui il s’alliera pour atteindre son objectif. Petit blanc + femelle. Un peu caricatural ? Eh bien là encore, le personnage féminin a été retravaillé pour lui donner un peu plus d’épaisseur. Dans ce groupe de jeunes qui doivent lutter pour obtenir le job d’espion, il n’y a pas autant de filles que de garçons, et la fille n’est pas désincarnée, ni asexuée. Elle a ses fragilités… de fille.

Les scénaristes progressistes ont donc intégré que les jeunes femmes n’avaient pas les mêmes difficultés que les garçons pour s’intégrer socialement et exploser le plafond de verre. Ils prennent leurs peurs en compte et leur montrent un chemin pour les dépasser (quand bien même ce sera pour devenir stériles ce qui évidemment n’est pas montré dans le film). Enfin, il y a des gentils parmi les riches et des méchants parmi les pauvres, les femmes ou les nègres, ce qui est là-aussi un énorme progrès par rapport à bien des films de propagande, surtout si l’on songe que le principal couple de vilains est constitué de manière assez audacieuse par un « homme de couleur » et une femme aux jambes bioniques.

Le progressiste a aussi intégré qu’un jeune blanc sans repère paternel positif était un jeune blanc perdu. Plus de personnages qui peuvent se passer de père, enfin. Du coup, le papa d’Eggsy est mort en héros sans que personne n’ait été mis au courant. Et l’image paternelle d’Eggsy, qui n’est pas son père, lui doit la vie. Ce substitut positif, construction fantasmatique du petit enfant qui change l’ordre du monde pour pouvoir le supporter, n’est pas inintéressante. Tous les enfants traumatisés se racontent des histoires, en particulier sur leurs ascendants, pour se donner une généalogie acceptable. Le film sait qu’il ne faut pas aller raviver une telle blessure chez le petit blanc fragile.

Le père d’Eggsy étant un héros méconnu, dès lors, Eggsy va pouvoir accepter de revêtir la toge virile sociale gauchiste, sous forme séduisante de costume anglais taillé sur mesure. Sur ce point, le progressiste ne nous présente plus les cultures européennes de manière indifférenciée voire négative. Il les accepte comme d’un besoin identitaire nécessaire à l’intégration sociale d’un jeune garçon, spécificité masculine s’il en ait avec la présence d’un mentor. La tradition anglaise, son humour pince sans rire, son détachement, sa lucidité, son sens de la répartie, ses habits classieux y sont mis en valeur. A première vue, Eggsy pourrait apparaître comme un héros identitaire. Cependant, le scénario va retourner ce besoin identitaire en lutte pour la cause commune. La future femelle stérile va remporter le pompon. Avec le petit blanc, ils vont triompher de toutes les épreuves.

My tailor is rich. Les Chrétiens protestants poussés à un crime favorisé par la haine qu’ils entretiennent envers « l’autre »

Les épreuves

Entre l’appel de la banlieue et l’élite corrompue, une mystérieuse organisation se charge de sauver les destinées du monde, le « Kingsman ». Vous noterez que les agents ne sont plus les fidèles serviteurs indifférenciés de sa majesté (agent 007), mais d’un roi mystérieusement absent (kingsman littéralement : l’homme du roi) , d’un binôme fils-père déchu retrouvant sa place, y verraient de plus perspicaces. L’élite corrompue, tout comme le Kingsman, veulent sauver l’humanité de l’affreux réchauffement climatique. Mais là où les premiers ont décidé d’exterminer une bonne partie de l’espèce humaine, les seconds résistent pour continuer de lui laisser une chance. C’est encore plus compliqué, puisqu’une partie des Kingsman va finir par servir les desseins de cette élite corrompue, tandis qu’une partie de cette élite résiste à la tentation sous la forme d’une princesse suédoise. Le spectateur comprend ici, qu’appartenir au camp du bien ne dépend pas/plus de la classe sociale. Le discours communiste a été évacué au profit d’un raisonnement qui se rapproche de plus en plus de la théologie catholique. Cette démarche ne va pas jusqu’à donner des cas de conscience aux héros qui font le bien, mais tout de même. Le progrès est réel.

Autre progrès, cette élite corrompue n’agit pas par volonté de faire le mal. Là aussi comme dans la théologie catholique, les hommes mauvais se trompent eux-mêmes. Ils utilisent leur argent pour sauver la planète, quitte à oublier l’humanité au passage. Ils sont l’humanité en fait, se jugent plus conscients des problèmes du monde que cette affreuse masse démocratique ingérable. Ce sont des hommes qui ont renoncé à convaincre le peuple, qui veulent des actions politiques efficaces pour paraphraser la réplique d’un des personnages du film. Ils veulent se mettre en marche et ne sont pas sans rappeler les hommes du gouvernement Macron qui veulent agir pour agir, quitte à casser des œufs, et à la fin, reproduisant toujours plus les erreurs qui nous ont conduit à la catastrophe. Il n’y a qu’à songer combien notre libéralisme se paye chez nous d’imposition supplémentaire. Mais passons.

Les héros vont réussir à vaincre en se situant dans un entre deux. Ni banlieusard, ni aristocrates, ni machistes, ni féministes, ni blasés, ni totalitaires, ils vont réussir à se sortir des dangers de l’internet (la violence), de l’illusion du libre et gratuit (rôle des cartes sims dans le film) pour se construire une place dans ce monde à force de travail, sauvant ainsi la société. Libération individuelle par le service, adhésion au système malgré parfois le système, le Kingsman est une organisation transclasse qui a pour but d’unifier la société et de la rendre viable en luttant contre ceux qui la détruisent : les racistes, les sexistes, les argentiers narcissiques, les malfrats.

La princesse rebelle suédoise : la récompense victorieuse du Kingsman. « Au cu au cu aucune hésitation ».

 

Alors pourquoi qualifier ce film de progressiste ?

A la fin, un des scénaristes dédie ce film à sa mère qui lui aurait montré ce qu’était un vrai Kingsman… A mon avis, l’idéologie progressiste en est à un tel état de dégradation, qu’elle doit faire des concessions pour faire de l’audience. Ainsi, les questions sociales y sont éludées par un lissage des plus coupables. La réalité oui, mais pas jusqu’au point d’aborder le manque d’intégration des ethnies. La stérilité occidentale non plus. Les filles-mères… de pauvres victimes. Le réchauffement climatique : une évidence due à l’activité humaine, et sur lequel nous pourrions avoir une influence. Les religieux fanatiques : surtout des chrétiens haineux contre l’avortement, mais aussi contre les Juifs, les nègres. Du coup, si l’identité de chacun y est mieux préservée, elle ne sert qu’à prolonger les finalités morbides de toute une idéologie qui sombre. Les scènes jouissives de démembrements de méchants et de gentils, d’où qu’ils viennent, ne réussissent pas à compenser l’unilatéralité du propos.

A chaque fois qu’elle sombre, l’idéologie progressiste se rapproche de la droite (1940). Ce film en est la meilleure preuve. Puissions-nous ici comme ailleurs, sortir de cette mécanique de mort, en mettant le talent au service d’œuvres véridiques attachées à la vraie foi. Kingsman ne remplit pas, encore, à ces conditions. Mais il nous donne à voir le changement qui s’opère actuellement à gauche. 

Une réponse à “(Film) « Kingsman » ou l’évolution du discours progressiste”


  1. Avatar de Léonidas Durandal

    "Au Japon, le nouveau couple impérial instille une dose de progressisme dans la société" Les Echos du 22/10/2019.

    Il y a quelques années, les conservateurs étaient présentés comme les grands libérateurs de ces dames. Désormais, ils seraient jugés comme rétrogrades par rapport au nouvel empereur. Il faut assurer la continuité de la mode féministe. 


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