J’étais en 4ème. Un jour, à la sortie de son cours, marchant à ses côtés avec deux autres élèves, nous discutions de Marcel Proust et de son professeur de Français qui ne lui voyait aucun avenir en littérature. Je lui avais malicieusement affirmé que c’était peut-être aussi mon cas. Malgré sa très petite taille, il l’avait pris de haut, m’observant brutalement avec son œil faussement sombre tout en m’assénant un « Oh vous, …… (il appelait toujours les élèves par leur nom de famille), ça m’étonnerait ! ». J’avais ri. Et nous en étions restés là.
Avec tous mes camarades, je récoltais des bananes en récompense de mes efforts en rédaction. Il les distribuait avec une générosité folle. Appliquant de manière stricte le précepte d’Alain de ne mettre en valeur qu’un élève en particulier, la masse étant laissée dans le plus grand dénuement possible, entre 2 et 4 sur 20. Voilà qui avait le grand avantage de nous remettre à notre place d’élèves incultes et de stimuler les plus orgueilleux d’entre nous. Nous avions tant à apprendre.
Evidemment, sans parler de sa démarche pédagogique, je n’ai compris toute l’ampleur de son abnégation que bien plus tard. Pourtant déjà je sentais qu’il nageait à contre-courant, et j’en éprouvais d’autant plus de respect pour lui. Il eût été si facile de flatter notre indolence naturelle d’enfants ou pire, nous noter pour asseoir son autorité. Bon professeur, il aurait pu aussi se contenter d’être juste, et laisser les uns et les autres se dépêtrer avec leurs résultats. Non, il voulait nous faire prendre conscience des progrès nécessaires à réaliser.
Je tiens bien à ce mot de « nécessaires ». Il faut certes prendre les élèves là où ils en sont, mais il faut aussi savoir où les amener. Dans la société, l’intégration d’un individu est facilitée s’il possède un minimum de savoirs de base : lire écrire compter. Or déjà à notre époque, nombre d’enfants ne les maîtrisaient pas à 13-14 ans, âge où nos grands-parents agriculteurs devaient quitter l’école. A l’évidence, le travail n’avait pas été fait, notamment en orthographe. Ses auto-dictées nous le montraient. Et elles me permirent de me sauver d’une situation d’incurie en la matière.
Plus tôt, une institutrice de l’ancienne école m’avait déjà secouru dans l’apprentissage de la lecture, parce qu’une gauchiste nous avait massacrés en CP. J’ai appris à lire avec un an de retard. Les banlieusards qui sont restés avec cette fanatique n’ont jamais dû s’en remettre puisque moi-même, avec toutes les études que j’ai pu entreprendre, il m’a fallu des années pour compenser les manques accumulés durant cette période.
Notre bonne institutrice réactionnaire d’un âge antédiluvien dans notre regard d’enfant, impayable garçonne, était mademoiselle, et tenait à se faire appeler « mademoiselle ». Elle n’avait pas la prétention de vouloir se marier à une autre femme, ni de revendiquer le changement, elle était plutôt tenante de l’ordre moral et passait ses vacances à Lourdes, dans la prière. Elle nous inculquait de pieux mensonges comme « Quand on veut, on peut. » Avec M Faure, elle fut l’un des rares îlots qui me permirent de tenir le coup avant d’avoir la chance d’accéder à un vrai savoir dans l’enseignement supérieur.
Bien entendu, j’ai eu d’autres bons professeurs jusqu’au bac, tous hommes, mais ils furent si rares que je peux les compter sur les doigts des deux mains. Je me demande encore aujourd’hui comment j’ai pu me sauver d’un tel ennui. M’est d’avis que le petit Durandal ne s’en sortirait pas aujourd’hui quand il voit par exemple comment le bac est organisé, pour légitimer l’autorité à l’année de professeurs toujours plus médiocres.
Les M Faure n’ont plus le droit de citer, sauf en de rares établissements sélectifs, ou dans les cloaques de l’éducation nationale où les femmes refusent d’aller, et où pourtant, leur apport serait supérieur à celui d’un homme (classes pour neuneus et autres). Ils sont jugés trop durs ailleurs. Le gros de la populace doit se contenter d’une molle féminisation qu’elle encourage, parce qu’elle ne veut pas affronter ses propres manques. Et puis, elle sent très bien que le mensonge a gagné, et qu’il est de plus en plus dangereux de vouloir faire son métier bien. Elle ne veut plus apprendre à ses enfants des valeurs qui vont les perdre.
Toutefois, la vérité est une, à l’image d’un texte en Français qui est bon ou ne l’est pas. Et je dois rendre gloire à ce professeur de Français de m’avoir donné les outils qui m’ont donné la possibilité de choisir mes chemins d’échecs et de réussites. J’ai parfois abusé de cette autonomie, mais je ne peux en blâmer personne d’autre que moi.
Quid de l’antiféminisme ?
Je pense qu’il n’y a pas de sujet plus central que celui que je viens d’aborder pour l’antiféminisme. Si un jeune garçon ne peut recevoir de leçons des meilleurs professeurs parce qu’il lui est interdit de fréquenter des passeurs de savoir dignes de ce nom, des hommes dignes de ce nom, au nom de leur remplacement par des femmes jugées plus douces et consensuelles, ou d’infâmes tapettes hétérosexuelles, nous avons un sacré problème avec l’enseignement en France. Et je crois effectivement que nous l’avons, que ce n’est absolument pas une question de moyens, en rien, l’éducation nationale n’ayant jamais été aussi dispendieuse, et les professeurs n’ayant jamais été aussi bien payés dans notre histoire de France. Ils ont peut-être connu une baisse de leurs revenus dernièrement, mais moins que le reste des Français. Et ils ont surtout oublié que moult professeurs vivaient dans la misère avant les années 60, mais qu’ils transmettaient des connaissances à un niveau que nos geignards modernes n’ont jamais atteint.
Une institution faible se choisit des professeurs faibles, des femmes incompétentes parce que justement elles n’ont pas été choisies pour leur compétence, mais pour tout un tas d’autres raisons ahurissantes, leur apparent sérieux qui n’est que lâcheté, personnalités enclines aux compromis, prévisibles, intéressées par leur sort, communicantes, soucieuses des personnes jusqu’à l’évanescence, tout l’inverse d’un bon professeur, tout ce qui est à la mode en ce moment.
Le remplacement des hommes est tel dans ce milieu que nous en oublierons peut-être bientôt la figure du bon professeur, que je voulais réhabiliter ici. Nous ne devons l’abandonner à aucun prix, la voix et l’image du transmetteur de savoirs, digne de notre respect et de nos prévenances. Peu d’institutions en ce monde ont plus de prix, surtout pour un jeune garçon.
Le bon professeur n’est pas celui avec qui nous passons de bons moments, ou avec qui nous nous entendions bien. Il est plutôt celui qui nous permet de progresser à travers nos difficultés et surtout qui ne néglige pas cet enjeu du « dépassement ». Il ne fait pas le chemin à la place de l’élève mais lui permet de progresser seul à travers les difficultés, tout le contraire d’une mère protectrice.
Oui, gloire à mon professeur de Français, M Faure, pour m’avoir fait progresser, et gloire à tous les professeurs que vous avez eus et qui sont dignes de votre gratitude. Gloire à tous ceux-là si injustement traités par notre monde moderne de petites femelles décadentes. Gloire à eux, et n’oublions pas leur nom, ni le travail qu’ils ont accompli auprès de nous. Et honte à tous ceux qui contribuent à les priver d’exercice et qui chialent face au « manque de moyens ».
Laisser un commentaire