Frères, l’esclavage est de retour dans notre pays. Frères, les mots me manquent pour décrire l’horreur. Frères, sommes-nous encore frères ? Si nous le sommes, nous ne le sommes plus par la loi puisque la plus haute juridiction de mon pays vient d’autoriser sa transgression. Plus que jamais, il y a les puissants et le reste. Aujourd’hui, emportés par leur sauvagerie, ceux-là viennent de réouvrir le marché des esclaves. Il sera paraît-il éthique ? Il n’y a pas d’esclavage éthique.
Je voudrais parler ici du ventre de ma mère, de l’enfant que j’étais, du petit qui a été nourri de peau, de lait, d’odeurs d’elle. Si peu… Que les battements de nos coeurs. Que son sacrifice. Que le don de la vie. Que de l’affreuse biologie. Peut-être suis-je le seul à me rappeler ? La chance de naître petit, fragile et vulnérable. De dépendre d’une plus grande que soi. Sa fierté de me voir devenu si fort. Il a fallu détruire le beau en général pour en arriver à l’idée de supprimer tout ça. Et dévergonder la force des pères pour le rendre possible. Inenvisageable autrement. Y aller pas à pas pour que tout le monde laisse dire. Il ne faudrait jamais laisser dire le mensonge. Le mensonge corrompt l’esprit. Il devient une habitude. Quand il est normal, il n’y a plus de recours. Le n’importe quoi s’impose.
Je me souviens encore. Mais peut-être suis-je le seul à me rappeler ? Les sensations de manque ou de plénitude, les rires, les pleurs, les cheveux emmêlés des matins pressés, les imperfections chéries, l’aveuglement amoureux d’un enfant pour qui sa chair est tout, la voix qui couche et endort, celle qui réveille les songes naïfs d’une nuit tempérée. Les tempêtes d’un cauchemar calmées. Un visage. Un regard. Celui de ma mère. Noir et profond. Cela serait donc remplaçable, ça, interchangeable, au saut du lit… alors je n’ai rien compris. D’ailleurs si c’est ça, je ne veux plus rien comprendre.
Parait-il que la République française vient d’autoriser la transcription à l’État civil des enfants nés à l’étranger d’une union commerciale. Eh bien moi, je ne donne à personne ce droit. Très chers juges, votre loi n’en est pas une, elle n’est pas mienne, elle n’est pas française. Et rien n’y fera. Je ne l’accepterai jamais. Vous pouvez vous la mettre à qui de droit et en faire l’usage qui vous convient. Pour le reste, elle n’existe pas. Tout juste peut-elle être qualifiée d’inadmissible. Je resterai un être qui se souvient et qui veut encore se souvenir.
Parfois le Dieu ne laisse pas faire, surtout si plusieurs ont le courage de demander au nom des tout petits. Dans les cris et la lutte, il arrive qu’une veuve obtienne justice, qu’un père divorcé par la loi soit respecté, qu’un rejeté de ce monde échappe à la mort, qu’une personne âgée soit comblée d’amour au sein d’une maison de retraite. Frères, souvenez-vous. Vous avez été charnellement portés. Il est temps de rembourser cette dette incommensurable qui vous lie à la vie. Ne restez pas muets face à l’ignominie.
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