Chère enfant,
Je te déshérite.
N’y vois rien de personnel. La vie est ainsi faite. Souvent, elle nous oblige à faire des choix que nous n’aurions jamais imaginé, heureusement. Et puis viennent les évidences et la réalité.
Dans notre société, de nombreux pères agissent comme je le fais. Mais ils n’osent pas le dire. Perclus de mesquinerie, indécis avec eux-mêmes, ou aigris, ils dépensent tout avant de mourir, ou cèdent l’ensemble de leur patrimoine à leur nouvelle compagne, sous prétexte de sénilité. Mais ton père n’est pas ainsi. Lui, il cherche à assumer ses décisions jusqu’au point de vouloir te l’écrire.
Tu es une victime de nos choix. Hommes et femmes se rencontrent. Ils veulent des enfants. Mais ils ne les font pas toujours en prenant leurs responsabilités. Bien sûr, le silence de ta mère te suggérera que c’est de ma faute, qu’il aurait fallu que j’agisse autrement. Et elle n’aurait pas tort de te l’exprimer ainsi. Les personnes qui se disputent ont souvent toutes les deux raisons, pour leur plus grand malheur, chacune de leur côté. Personne ne m’empêchera donc de penser que les femmes sont en position de force avec leurs enfants, surtout dans notre société, et qu’il leur incombe une grande responsabilité quant à la qualité du lien qui unit leurs enfants et le père de leurs enfants. Ta mère ayant décidé que je ne serai qu’un détail de ta vie, et devant l’évidence de mon impuissance, en retour, je ne te donnerai rien de matériel. C’est la seule réponse qui m’est possible. Et encore…
L’Etat n’acceptera jamais ma décision. Lui aussi, considère les pères à l’égal de détails. Et s’il croit pouvoir les remplacer, il les oblige tout de même à donner leur argent à tous leurs enfants, de manière indifférenciée, coups d’un soir compris. Il ne veut pas de bâtards. Il les fabrique à la pelle.
Si l’Etat a tous les moyens de nous asservir, il n’a aucun moyen d’obliger ma conscience. Il n’y arrive sur les autres pères que par des abus, des artifices, des mensonges, des roueries. Rien de très durable. Le parasite a besoin que l’hôte se porte bien.
Tu me diras, il ne s’agit pas de conscience ici, mais d’argent. Effectivement, cela n’a rien à voir, si ce n’est symboliquement. Je ne veux pas que tu aies mon argent, non pas que je souhaite ton malheur, mais parce que la vie doit avoir un sens.
J’ai été privé, tu seras privée. Cela peut paraître injuste et inhumain. C’est tout simplement la part ingrate qui incombe aux pères. Faire prendre conscience à leurs enfants que le monde est régi par des règles, des lois. Et qu’il faut les respecter pour pouvoir vivre et aimer. L’amour paternel ne se paye pas de bons sentiments niais et de servilité. Il s’applique aussi à la justice. Vouloir donner de l’argent ici, ce serait récompenser l’ingratitude, l’absence, le déni. Un père doit savoir dire non. Il est celui qui pose les limites et fixe celles de la loi et du bon ordre. Sans cela, c’est le règne de l’inceste, et la souffrance qui va avec.
Ainsi un père ne peut-il accepter l’insubordination de sa femme, qu’argent sentiments et relations humaines soient à ce point séparés, qu’un homme soit réduit à un pourvoyeur de sperme, un portefeuille sur pattes par des mères qui jouent sur les sentiments de leurs enfants pour vivre comme des parasites à leur égard et en abusant de leur pouvoir dans la société. Les hommes sont garants de la tenue de leurs femmes. S’ils acceptent tout, les femmes finissent par faire n’importe quoi. A eux de savoir établir des règles justes et équilibrées.
Or les règles qui fixent les héritages dans notre société ne le sont pas. Je ne les accepte donc pas. Tu vois, cela n’a rien à voir avec toi et ce que tu es. C’est ainsi. Aujourd’hui, les hommes et la législation sont en contradiction. C’est le signe de temps de déchéance, où beaucoup d’enfants souffrent, où des femmes toutes puissances se perdent, et les hommes avec eux. Mais ne t’inquiète pas. Si tu n’auras pas un sou, et si j’entérine cette déchirure ignoble de la bâtardise d’Etat, je ne te laisse pas sans moyens de poursuivre ton histoire.
Tout d’abord, je te lègue mon irrésolution, et en particulier mon irrésolution à chercher le bien, le beau et le vrai, ici-même, sur ce blog. Je te dédie tout ce que j’y ai écrit et tout ce que j’y écrirai.
Je te lègue mon mépris de l’argent, des circonstances, et pour paraphraser Cyrano, des mensonges, des compromis, de la lâcheté et de la sottise.
Je te lègue une vie en accord avec ses principes.
Toi aussi, tu peux refuser l’héritage. La plupart des enfants étouffés par leur mère ne gagnent jamais leur libre arbitre, et ils n’agissent jamais que par mimétisme. Jaloux de frères et de sœurs qui n’en sont pas tout à fait, ils veulent s’approprier leur père ou s’en démarquer. Haineux à son égard, ils rejettent tout de lui. Ou pire encore, avides, mal finis, ils croient le résumer, comme leur mère, à un portefeuille.
Comme d’un miracle, j’attends qu’il n’en soit rien pour toi. Que tu vives simplement, peut-être même ignorante de ma pérégrination. Qu’argent et sentiments ne soient jamais en contradiction dans ton futur foyer. Que ma folie se traduise en bonheur pour toi. Que cet éloignement qui semble irrémédiable te serve de tremplin pour grandir.
Je n’ai pas d’autre leçon à te donner que de suivre ton bonheur et de faire attention à celui des tiens.
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