Elles l’ont eu leur homme qui exprimait ses émotions. Malheureusement, il s’est retourné contre sa compagne et l’a étranglée, à l’image d’un Bérenger Brouns ne supportant plus sa maîtresse. Oh, Jonathann Daval s’est bien privé de battre cette hystérique. Les féministes le lui avaient dit. S’il esquissait le moindre geste, c’était la prison, la perte de ses biens, la perte des siens, l’opprobre publique. Alors il s’est retenu, retenu, et encore retenu, tachant de rester dans l’expression correcte de ses sentiments. Et après son forfait, il a menti comme un arracheur de dent, comme un homme politique qui cherche à se faire élire, pour rester dans l’acceptable. N’empêche que ces émotions, tellement valorisées par notre société féminisée, l’ont emporté. Et Alexia avec.
Depuis longtemps ce couple parfait avait pris l’habitude de se disputer, de s’insulter, de se dénigrer. La société le leur avait dit. C’est normal. Quand on ne s’entend plus, on se sépare. Mais avant, quand même, la moindre des choses aurait été que Jonathann fasse son travail. Qu’il la féconde. Alexia ne lui demandait que cela. Un peu de son foutre. Elle aurait eu un ou deux enfants de lui, peut-être trois pour les allocs, et puis elle l’aurait laissé comme une merde, son travail accompli, avec la certitude de pouvoir lui extorquer une pension alimentaire. C’était écrit d’avance. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais mère nature s’en mêla. Ah celle-là ! Elle n’hésite pas à contredire les fantasmes de toute une société. Le culot. Il faut qu’elle mette son grain de sel à un quotidien qui ne manque déjà pas de piment. Le petit sel de mère nature fut pour cette fois-ci la stérilité.
Pourtant, le chemin était tout tracé d’avance. Les adulescents se rencontraient jeunes, elle au lycée, lui bénéficiant du prestige de l’étudiant un peu plus âgé. Ils couchaient ensemble sous le toit et le regard complaisant des beaux-parents, rassurant, trouvaient un bon métier, faisaient construire, et enfin cerise sur le gâteau d’une superbe construction poussée à ce haut degré de rationalité moderne, ils enfantaient. Plus de 10 ans les séparait de leur première rencontre. Entre temps, ils avaient pu baiser jusqu’à plus soif, canalisant ainsi ce besoin infâme de se reproduire sans argent. Leur récente union marquait leur volonté d’engagement et de fonder, enfin, une famille, puisque désormais la prospérité les y autorisait. Il ne leur manquait que cela, enfanter au milieu d’un nid douillet. Ils avaient rempli toutes les cases. Ils avaient agi dans l’ordre, quitte peut-être à avorter puisque le temps n’était pas venu. Maintenant qu’ils avaient de quoi, qu’ils s’étaient bien amusés, il fallait pondre. Mais le mensonge avait fait son temps.
A 29 ans, Alexia était déjà trop vieille pour devenir mère, inconsciemment défiante envers son partenaire, ou lui, trop intoxiqué par un environnement pollué, ou peut-être les deux, et le premier bébé se faisait attendre. Oh s’ils en avaient eu juste un, Alexia aurait pu patienter encore, satisfaire son envie de maternité si longtemps canalisée dans des ébats stériles. Mais non. Un seul grain de sable dans cette horloge de la classe moyenne faisait dévirer les aiguilles sachant que le temps ne se remonte pas. Toutes les erreurs accumulées, la richesse sanctifiée, le climat incestueux, les croyances d’un petit peuple de blancs déjà stérile, la glorification d’une science qui n’arrivait pas à les décoincer, le petit confort bourgeois, tout cela leur éclatait au visage sans qu’ils ne comprennent pourquoi ni comment. Déjà Alexia devenait laide de haine. Déjà Jonathann devenait sans pitié.
Pour la première fois, ils se retrouvaient face au monde. Le mensonge de l’enfance laissait place à la dure réalité alors qu’ils étaient trentenaires. Cette première contrainte leur était étrangère. Protégés depuis leur rencontre, ils avaient vécu un conte de fées sans épreuves. La petite princesse deviendrait reine mère, à proximité du château de ses parents. Le preux chevalier posséderait la belle jusqu’à la fin de sa vie. Il l’avait déjà possédé avant l’heure de toutes les manières. Qui sait même, Alexia donnerait un prénom français et bien orthographié à ses enfants.
Elle les tirerait vers le haut. Il n’avait qu’à la soutenir, être là pour la remplir ainsi que les tiroirs caisses. Lui, avec sa timidité d’informaticien, son apparente fragilité de coureur de demi-fond, son sourire d’employé du mois, et sa psychologie d’enfant mal sevré, il ne lui ferait pas de surprise.
Venant d’une famille nombreuse et pauvre, avoir des enfants n’étaient pas le saint Graal pour Jonathann. Déjà, il s’en était sorti financièrement, pouvait jouir d’une maison bien à lui, d’une petite vie rangée avec un travail où il était reconnu et puis il avait trouvé une seconde maman auprès d’Alexia, et il ne demandait qu’à rester l’éternel enfant qu’il n’avait jamais cessé d’être depuis le décès de son père. Jonathann aurait patienté encore longtemps et se serait résolu avec joie de pouvoir continuer ainsi.
Pour Alexia, il en était tout autrement. Ne pouvant pas se reproduire, la vie n’avait plus aucun sens pour elle. Il lui fallait cela pour exister. Elle ne pouvait déjà plus vivre sans le faire sur le dos de ses futurs enfants. C’est dire si ceux-là auraient été heureux et libres. Bien entendu, ils l’auraient été autant qu’elle l’avait été, et cela lui suffisait. Or en la mettant face à son vide intérieur, la stérilité la laissait impuissante. Ce sentiment là, lui était particulièrement odieux et étranger. Elle avait bien dirigé sa vie de couple, son petit ménage jusque là, Jonathann avait suivi au doigt et à l’oeil, ses propres parents aussi. Difficile d’imaginer que la vie se permettrait de lui résister. Il fallût que ce fût la faute d’un autre. Si elle avait été croyante, elle se serait certainement retournée contre Dieu. Si le problème était survenu dans le cadre de son travail, ce sont ses collègues qui auraient trinqué. Mais là, elle n’avait personne sur qui se soulager excepté son mari. Un homme, ça sert à ça.
Jonathann avait tout de ce qu’une femme moderne demande à un homme. Seulement, il n’arrivait pas à la féconder. Et cette seule épreuve devait les amener à ce constat : le roi est nu. L’homme impuissant. La princesse dévoyée. Les corps profanés. La spiritualité absente. Le diable régnait en ces âmes avant le drame. Un simple retard de grossesse devait le révéler aux yeux de toute la France. Ils avaient tout, mais il leur manquait le principal. Non pas des enfants, mais de l’amour, cet amour qui ne se confond en rien avec la volonté putride de se masturber par corps interposés. Ils croyaient aimer. Ils n’aimaient que ce que l’autre pouvait leur rapporter. Qui de la paix, de l’argent, ou du sexe. Cet autre cessant de remplir ses fonctions, devenait un intrus, énervant.
Elle se soulagea donc sur son mari jusqu’à ce que lui-même décide de se soulager sur elle en l’étranglant. Ainsi reprit-il ses prérogatives d’homme sans l’avoir battu une seule fois jusque là. Dommage pour les féministes. Il fut tant apaisé de s’en être débarrassé que le lendemain de son forfait, alors que le monde entier croyait encore pouvoir retrouver Alexia la pauvre jogueuse disparue, il apparut calme et paisible à son travail.
A l’enterrement de son épouse, il porta son costume de mariage, signe de deuil évident, mais pas de ce que les gens s’imaginaient. Jonathann enterrait leur relation sordide. Il pleura beaucoup aussi lors de la marche blanche, aux bras de ses beaux parents.
L’opinion publique juge un peu durement ses larmes d’enfant et son hypocrisie. Jonathann pleurait sur sa médiocrité, et sur la leur également. Il les savait incapables de comprendre qu’un homme modèle, aussi féminisé que lui, eût pu haïr son démon domestique.
Mais voilà, étouffer toute masculinité chez un homme, passant de la mère à l’épouse, cela ne pouvait que produire un drame. D’habitude dans notre société, le quiproquo se vit devant le juge aux affaires familiales. Cette fois ci, un concours de circonstances l’étala sur la place publique, illustrant à quel point notre société d’hommes esclavagisés, et de femmes indépendantes, produit de victimes.
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