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« La faute de l’abbé Mouret » Emile Zola (1875)

L’histoire :

L’abbé Mouret est devenu prêtre grâce à Sainte Marie qui l’inspire depuis sa plus tendre enfance. Il a la foi du charbonnier sans en avoir l’indélicatesse. Il rêve de retraite spirituelle ascétique où il pourrait développer sa dévotion. Ainsi au sortir du séminaire va-t-il demander la cure des Artaud, un petit hameau de Provence perdu et inculte, remplis d’impies qui vivent dans la promiscuité voire l’inceste. Les paysages de cette vallée désertique lui conviennent et il s’accommode très bien de son entourage. Parmi lui, la Teuse, sa bonne, pleine de foi et bourrue. Le frère Archangias, moine issu de la paysannerie qui a plus de 50 ans et qui n’y va pas avec le dos de la cuillère en termes de foi puisqu’il n’hésite pas à la transmettre à coups de triques. Et Désirée, sa jeune sœur tarée mais très gentille, passionnée par les animaux de sa basse cours.

A 26 ans, l’abbé Mouret croit qu’il va pouvoir vivre au milieu de ceux-là comme un saint, leur pardonnant leurs petits défauts, évangélisant les villageois malgré la rudesse de ce milieu uniquement préoccupé de matérialité, donc de sexe et d’argent. Les premiers mois répondent à ses attentes. Il prie avec force durant de longues heures, essaie de remplir ses obligations au sein du hameau dans lequel il est vu plus comme une institution que comme un prêtre. Rien ne vient troubler son absence d’ambition jusqu’à ce jour où il veut suivre son oncle médecin sur la propriété de Jeanbernat dit « le philosophe » car celui-ci serait à l’article de la mort. Mais le vieux est encore plein de vigueur à 80 ans et il se moque de ces deux compères venus le sauver, l’un pour son âme, l’autre pour son corps. Il tance particulièrement l’abbé Mouret et le met au défit de le convaincre de l’existence de Dieu. Il a déjà usé son prédécesseur à ce jeu là et compte bien faire de même avec le nouveau venu. Mais cette lutte n’intéresse pas l’abbé Mouret qui repart avec son oncle au presbytère.

 

Jeanbernat a recueilli sa nièce de 16 ans qui a été élevée comme une sauvageonne depuis que ses parents sont morts quand elle avait 10 ans. Celle-ci doit passer plus tard à la cure pour leur amener de petits oiseaux tombés du nid car Désirée sera heureuse de s’en occuper. Suite à la venue d’Albine, l’abbé Mouret est perturbé, tant et si bien qu’il tombe malade et commence à perdre la tête. Son oncle le ramène chez Jeanbernat, pour qu’il soit soigné dans un milieu propice à sa survie. S’il en réchappe, il pourra aussi évangéliser la petite, il fréquentera des gens intéressants, et le Paradou, c’est le nom de la propriété, avec ses grands arbres, sa fraîcheur et son calme, l’encouragera à un prompt rétablissement. Tel est en tous cas, le calcul du médecin. Or il est tombé en plein délire et a failli mourir non à cause de la chaleur des Artaud, mais à cause d’Albine, la nièce de Jeanbernat, dont il s’est épris comme l’image vivante de Marie. Au Paradou, le vieux va les laisser vivre ensemble, et ils vont apprendre à s’aimer comme deux innocents dans ce nouvel Eden tandis que Serge Mourret deviendra un (autre) homme pour l’occasion.

Or au loin, à travers la brèche d’un des murs de la propriété, il revoit les Artaud, et cette vision le rappelle à ses obligations. Il quitte brutalement Albine. Par la suite, le frère Archangias veille à ce qu’il ne soit plus tenté de revenir au paradisiaque Paradou. Mais Albine va essayer de le reprendre avec elle et il va finir par céder à la tentation, mais il s’apercevra en la rejoignant que si elle possède son corps, son âme veut vivre son sacerdoce de prêtre. Voyant qu’elle ne récupérera jamais Serge comme avant, Albine se laisse mourir enceinte de lui. L’abbé Mouret officie à son enterrement tandis que Jeanbernat vient à l’ensevelissement du corps et coupe l’oreille du frère Archangias par derrière. La vache de Désirée accouche d’un petit veau au même instant. L’histoire se termine.

 

L’abbée Mouret, un prêtre qui devient homme et qui redit oui à son sacerdoce.

Enfermé dans son culte marial, l’abbé Mouret n’est qu’un enfant qui ne connaît rien au péché. Le frère Archangiais plus expérimenté se méfie d’ailleurs de sa dévotion. Par la suite, le jeune prêtre va naître à la vie grâce à Albine, image tout autant d’Eve que de Marie. Il va connaître le monde, et donc le péché grâce à elle. Elle va être l’instrument de sa naissance mais aussi de sa perdition. Tentatrice, elle le guérit grâce à la nature environnante et la lui fait apprécier, mais l’envers de ce vécu paradisiaque est l’acceptation d’une mort définitive et la damnation éternelle. Elle ne pourra le laisser inconscient d’un tel revers.

Ainsi l’Église et la nature s’affrontent-elles dans ce roman en un combat sanglant. Définitivement irréconciliable, l’une mène à la putréfaction de la mort au milieu d’une vie de plaisir, l’autre mène à la vie éternelle au milieu de l’ascétisme. Le frère Archangias est le « chien de Dieu » tel qu’il se définit. A l’image d’un ange, il ne réfléchit pas, il boute le mal hors de lui et hors des autres, le fend, le bouscule, obéit à Dieu quoiqu’il puisse arriver.
C’est une brute épaisse opérateur des basses œuvres. Lui-aussi a été soumis à la tentation mordante de la chair plus jeune et il jalouse d’ailleurs un peu l’abbé Mouret de s’être laissé aller, car « la faute des uns entraîne forcément la faute de l’autre ». Il invite donc l’abbé Mouret à rejeter le mal avec force, ce qui signifie pour lui, rejeter Albine, le Paradou et toute tentation liée à l’ordre naturel de reproduction. Il est l’initiateur de l’Abbé Mouret qui s’est réfugié trop longtemps dans l’innocence mariale.

De Marie, l’abbé Mouret va passer à Albine, avant de devenir un homme, c’est à dire conscient du péché et luttant contre, en lui. Albine et Serge forment un couple à l’image d’Adam et Eve. Après avoir pénétré et fécondé sa moitié, Serge va prendre conscience de leur nudité comme dans la Genèse après qu’Adam eût croqué la pomme. Par contre, sortant lui-même du paradis, et non chassé par Dieu, il va retourner aux Artaud puis subir une dernière grosse tentation dans un retour au Paradou en forme de chemin de croix où il tombera trois fois à l’image de Jésus, avant qu’Albine ne le rejette définitivement en constatant que seul son corps lui appartient désormais. L’âme libre, soutenu par sa foi, Serge Mouret va laisser Albine mourir et symboliquement leur enfant aussi. Dans ce combat entre l’Église et la nature, la première vaincra. Il continuera son sacerdoce de prêtre suivant en cela les paroles des saintes écritures qui exigent de ne pas se retourner sur son passé pour suivre Jésus, jusqu’à laisser femme et enfants.

La découpe de l’oreille du frère Archangias dans le cimetière, ressemble à l’altercation de Pierre avec les soldats lors de l’arrestation de Jésus. Dans un des textes d’Evangiles, Jésus recolle l’oreille du soldat romain. Ici, l’acte de Jeanbernat résonne comme un défit envers Archangias. « Que ton Dieu te recolle l’oreille s’il existe ». Mais frère Archangias jette l’oreille sur le fumier tandis que la vache de Désirée met bas un joli petit veau. Ici la nature prend le dessus.

Le conflit entre les personnages, Jeanbernat-Archangias, Albine-Serge ou encore Désirée-Archangias, vient renforcer l’opposition nature-culture développée par Emile Zola. La nature qui ne se pose pas de question à l’image de sa sœur simplette, vit en toute harmonie avec son environnement, ainsi que les habitants du hameau des Artaud. Ils se reproduisent dans n’importe quelle condition. Les questions spirituelles leur échappent. Ils ne peuvent s’élever bien haut et survivent sans conscience de leur péché. Faisant partie pleine et entière de la nature, Désirée tue les animaux de sa basse-cours avec une joie non dissimulée. Elle ne s’embarrasse pas d’anthropomorphismes intellectuels comme le ferait une défenderesse des animaux dans notre société actuelle. Filles et garçons du village s’accouplent selon affinités, et ne se marient que contraints et forcés quand un enfant naît de ces unions sauvages. Sur ce dernier point, les mœurs sociales ressemblent un peu à ce que notre monde est devenu tandis qu’à l’époque d’Emile Zola, ces situations restaient anecdotiques.

Ainsi, cet ouvrage pose des questions très actuelles sur la spiritualité ou notre rapport à l’animalité. Nous vivons dans un monde qui essaie de retrouver un état de nature et qui régresse dans la pratique de sa religion, mais aussi qui tente par tous les moyens de séparer nature et culture (voir les unions de duos homosexuels par exemple). C’est peut-être un des seuls reproches que je ferais au système mis en place dans ce livre : pour les besoins du roman, influencé par le romantisme, la position des héros y est irréconciliables. Cependant, ces caractères tranchés permettent d’entrer en profondeur dans la tragédie des sentiments. Branche stérile des Rougon-Macquart, Désirée et Serge sont désignés comme une fin de race par l’auteur dans son roman. Cela ne les empêche pas de se réaliser pleinement l’un dans la nature, l’autre dans la spiritualité, ce qui apparaît pour le moins étrange par rapport à la thématique du roman. Ce paradoxe est résolu par le fait qu’ils sont frère et sœur et qu’ils ne se perpétueront pas. Nature et culture pourront ainsi vivre ensemble, mais sans fécondité.

Vous l’aurez compris, « la faute de l’abbé Mouret » est un roman complexe à multiples entrées et dont le sens a été discuté de bien des manières. Ni bons, ni mauvais, les personnages suivent leur destin qui les écarte ou les rapproche les uns des autres au gré de la tragédie. A la fin, la mort d’Albine signe l’infériorité de la nature face à Dieu, mais le petit veau de Désirée est là, et nous montre que le cycle se poursuit. L’abbé Mouret a décidé de se consacrer à Dieu et à ses brebis, mais il doit provoquer ainsi la mort d’Albine. Il est devenu adulte en laissant de côté son obsession pour Marie, mais cette renaissance sème la mort autour de lui et le soumet à de grandes tentations. Il était bien plus heureux inconscient. Tel est le destin de l’homme qui ne s’élève qu’à force de questionnements, de souffrances et de chutes, loin de sa mère. Ce destin est cruel mais lui permet seul d’accéder au statut d’être humain, en se rapprochant de Dieu et en abandonnant l’ignorance attachée au concept trop enfantin de pureté.

 

Extrait de « La faute de l’abbé Mouret », chapitre 14 sur la dévotion mariale de son enfance :

La dévotion de l’abbé Mouret pour la Vierge datait de sa jeunesse. Tout enfant, un peu sauvage, se réfugiant dans les coins, il se plaisait à penser qu’une belle dame le protégeait, que deux yeux bleus, très-doux, avec un sourire, le suivaient partout. Souvent, la nuit, ayant senti un léger souffle lui passer sur les cheveux, il racontait que la Vierge était venue l’embrasser. Il avait grandi sous cette caresse de femme, dans cet air plein d’un frôlement de jupe divine. Dès sept ans, il contentait ses besoins de tendresse, en dépensant tous les sous qu’on lui donnait à acheter des images de sainteté, qu’il cachait jalousement, pour en jouir seul. Et jamais il n’était tenté par les Jésus portant l’agneau, les Christ en croix, les Dieu le Père se penchant avec une grande barbe au bord d’une nuée ; il revenait toujours aux tendres images de Marie, à son étroite bouche riante, à ses fines mains tendues. Peu à peu, il les avait toutes collectionnées : Marie entre un lis et une quenouille, Marie portant l’enfant comme une grande sœur, Marie couronnée de roses, Marie couronnée d’étoiles. C’était pour lui une famille de belles jeunes filles, ayant une ressemblance de grâce, le même air de bonté, le même visage suave, si jeunes sous leurs voiles, que, malgré leur nom de mère de Dieu, il n’avait point peur d’elles comme des grandes personnes. Elles lui semblaient avoir son âge, être les petites filles qu’il aurait voulu rencontrer, les petites filles du ciel avec lesquelles les petits garçons morts à sept ans doivent jouer éternellement, dans un coin du paradis. Mais il était grave déjà ; il garda, en grandissant, le secret de son religieux amour, pris des pudeurs exquises de l’adolescence. Marie vieillissait avec lui, toujours plus âgée d’un ou deux ans, comme il convient à une amie souveraine. Elle avait vingt ans, lorsqu’il en avait dix-huit. Elle ne l’embrassait plus la nuit sur le front ; elle se tenait à quelques pas, les bras croisés, dans son sourire chaste, adorablement douce. Lui, ne la nommait plus que tout bas, éprouvant comme un évanouissement de son cœur, chaque fois que le nom chéri lui passait sur la lèvre, dans ses prières. Il ne rêvait plus des jeux enfantins, au fond du jardin céleste, mais une contemplation continue, en face de cette figure blanche, si pure, à laquelle il n’aurait pas voulu toucher de son souffle. Il cachait à sa mère elle-même qu’il l’aimât si fort.

Puis, à quelques années de là, lorsqu’il fut au séminaire, cette belle tendresse pour Marie, si droite, si naturelle, eut de sourdes inquiétudes. Le culte de Marie était-il nécessaire au salut ? Ne volait-il pas Dieu, en accordant à Marie une part de son amour, la plus grande part, ses pensées, son cœur, son tout ? Questions troublantes, combat intérieur qui le passionnait, qui l’attachait davantage. Alors, il s’enfonça dans les subtilités de son affection. Il se donna des délices inouïes à discuter la légitimité de ses sentiments. Les livres de dévotion à la Vierge l’excusèrent, le ravirent, l’emplirent de raisonnements, qu’il répétait avec des recueillements de prière. Ce fut là qu’il apprit à être l’esclave de Jésus en Marie. Il allait à Jésus par Marie. Et il citait toutes sortes de preuves, il distinguait, il tirait des conséquences : Marie, à laquelle Jésus avait obéi sur la terre, devait être obéie par tous les hommes ; Marie gardait sa puissance de mère dans le ciel, où elle était la grande dispensatrice des trésors de Dieu, la seule qui pût l’implorer, la seule qui distribuât les trônes ; Marie, simple créature auprès de Dieu, mais haussée jusqu’à lui, devenait ainsi le lien humain du ciel à terre, l’intermédiaire de toute grâce, de toute miséricorde ; et la conclusion était toujours qu’il fallait l’aimer par-dessus tout, en Dieu lui-même. Puis, c’étaient des curiosités théologiques plus ardues, le mariage de l’Époux céleste, le Saint-Esprit scellant le vase d’élection, mettant la Vierge Mère dans un miracle éternel, donnant sa pureté inviolable à la dévotion des hommes ; c’était la Vierge victorieuse de toutes les hérésies, l’ennemie irréconciliable de Satan, l’Ève nouvelle annoncée comme devant écraser la tête du serpent, la Porte auguste de la grâce, par laquelle le Sauveur était entré une première fois, par laquelle il entrerait de nouveau, au dernier jour, prophétie vague, annonce d’un rôle plus large de Marie, qui laissait Serge sous le rêve de quelque épanouissement immense d’amour. Cette venue de la femme dans le ciel jaloux et cruel de l’ancien Testament, cette figure de blancheur, mise au pied de la Trinité redoutable, était pour lui la grâce même de la religion, ce qui le consolait de l’épouvante de la foi, son refuge d’homme perdu au milieu des mystères du dogme. Et quand il se fut prouvé, points par points, longuement, qu’elle était le chemin de Jésus, aisé, court, parfait, assuré, il se livra de nouveau à elle, tout entier, sans remords ; il s’étudia à être son vrai dévot, mourant à lui-même, s’abîmant dans la soumission.

Heure de volupté divine. Les livres de dévotion à la Vierge brûlaient entre ses mains. Ils lui parlaient une langue d’amour qui fumait comme un encens. Marie n’était plus l’adolescente voilée de blanc, les bras croisés, debout à quelques pas de son chevet ; elle arrivait au milieu d’une splendeur, telle que Jean la vit, vêtue de soleil, couronnée de douze étoiles, ayant la lune sous les pieds ; elle l’embaumait de sa bonne odeur, l’enflammait du désir du ciel, le ravissait jusque dans la chaleur des astres flambant à son front. Il se jetait devant elle, se criait son esclave ; et rien n’était plus doux que ce mot d’esclave, qu’il répétait, qu’il goûtait davantage, sur sa bouche balbutiante, à mesure qu’il s’écrasait à ses pieds, pour être sa chose, son rien, la poussière effleurée du vol de sa robe bleue. Il disait avec David : « Marie est faite pour moi. » Il ajoutait avec l’évangéliste : « Je l’ai prise par tout mon bien. » Il la nommait : « Ma chère maîtresse, » manquant de mots, arrivant à un babillage d’enfant et d’amant, n’ayant plus que le souffle entrecoupé de sa passion. Elle était la Bienheureuse, la Reine du ciel célébrée par les neuf chœurs des Anges, la Mère de la belle dilection, le Trésor du Seigneur. Les images vives s’étalaient, la comparaient à un paradis terrestre, fait d’une terre vierge, avec des parterres de fleurs vertueuses, des prairies vertes d’espérance, des tours imprenables de force, des maisons charmantes de confiance. Elle était encore une fontaine que le Saint-Esprit avait scellée, un sanctuaire où la très-sainte Trinité se reposait, le trône de Dieu, la cité de Dieu, l’autel de Dieu, le temple de Dieu, le monde de Dieu. Et lui, se promenait dans ce jardin, à l’ombre, au soleil, sous l’enchantement des verdures ; lui, soupirait après l’eau de cette fontaine ; lui, habitait le bel intérieur de Marie, s’y appuyant, s’y cachant, s’y perdant sans réserve, buvant le lait d’amour infini qui tombait goutte à goutte de ce sein virginal.

Chaque matin, dès son lever, au séminaire, il saluait Marie de cent révérences, le visage tourné vers le pan de ciel qu’il apercevait par sa fenêtre ; le soir, il prenait congé d’elle, en s’inclinant le même nombre de fois, les yeux sur les étoiles. Souvent, en face des nuits sereines, lorsque Vénus luisait toute blonde et rêveuse dans l’air tiède, il s’oubliait, il laissait tomber de ses lèvres, ainsi qu’un léger chant, l’Ave maris stella, l’hymne attendrie qui lui déroulait au loin des plages bleues, une mer douce, à peine ridée d’un frisson de caresse, éclairée par une étoile souriante, aussi grande qu’un soleil. Il récitait encore le Salve Regina, le Regina cœli, l’O gloriosa Domina, toutes les prières, tous les cantiques. Il lisait l’Office de la Vierge, les livres de sainteté en son honneur, le petit Psautier de saint Bonaventure, d’une tendresse si dévote, que les larmes l’empêchaient de tourner les pages. Il jeûnait, il se mortifiait, pour lui faire l’offrande de sa chair meurtrie. Depuis l’âge de dix ans, il portait sa livrée, le saint scapulaire, la double image de Marie, cousue sur drap, dont il sentait la chaleur à son dos et à sa poitrine, contre sa peau nue, avec des tressaillements de bonheur. Plus tard, il avait pris la chaînette, afin de montrer son esclavage d’amour. Mais son grand acte restait toujours la Salutation angélique, l’Ave Maria, la prière parfaite de son cœur. « Je vous salue, Marie, » et il la voyait s’avancer vers lui, pleine de grâce, bénie entre toutes les femmes ; il jetait son cœur à ses pieds, pour qu’elle marchât dessus, dans la douceur. Cette salutation, il la multipliait, il la répétait de cent façons, s’ingéniant à la rendre plus efficace. Il disait douze Ave, pour rappeler la couronne de douze étoiles, ceignant le front de Marie ; il en disait quatorze, à la mémoire de ses quatorze allégresses ; il en disait sept dizaines, en l’honneur des années qu’elle a vécues sur la terre. Il roulait pendant des heures les grains du chapelet. Puis, longuement, à certains jours de rendez-vous mystique, il entreprenait le chuchotement infini du Rosaire.

Léonidas Durandal

Antiféministe français, j'étudie les rapports hommes femmes à travers l'actualité et l'histoire de notre civilisation.

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Léonidas Durandal

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