Le collectif Tiqqun dénonce à juste titre la conquête des esprits contemporains par celui de la jeune fille. Par contre, si nos sociétés séniles cultivent une virginité douteuse, à l’inverse, la jeune fille est souvent saccagée. Sa présence réelle et bénéfique s’amenuise. Elle est si rare qu’il faut bien prendre le temps de l’observer sur le court espace temps qui va la mener à l’inévitable désillusion. L’esprit de jeune fille persiste dans la société autant que son existence nous fait défaut. Ceci expliquant peut-être cela. Les individus de nos sociétés miment la jeune fille. Ils ne l’incarnent jamais réellement sauf sur une toute petite période de leur vie.
Cette jeune fille, c’est la femme devenue pubère. Tout juste. Sa poitrine ferme et pointant vers l’horizon, parfois rehaussée, la gonfle d’orgueil. Elle se sent investie, enfin. Pleine d’un pouvoir récent, elle a remarqué qu’elle exerçait une nouvelle forme d’attraction sur la gente masculine. Mais plus encore, elle sait qu’il est désormais de son intérêt d’aller au contact. Pourquoi faire ? Pour s’approprier enfin le phallus qui lui manque. En faire son jouet.
La jeune fille s’amuse, sans savoir de quoi il en retourne à vrai dire. Toutefois, tout la pousse vers la reproduction sexuée. Son nouveau corps rempli de générosité dont les limites n’arrivent pas à contenir toutes ses émotions s’adresse au monde, se donne aux regards, s’expose telle une œuvre d’art, fille de la nature elle-même. Elle rayonne, débordante, souvent souriante et enjouée, l’avenir lui appartient. Elle va aller vers l’homme dont elle a besoin pour être fécondée autant physiquement que spirituellement. Ce mâle qui l’attire, comment pourrait-il résister longtemps à sa peau fraîche, à cette innocence prête à être saccagée ou magnifiée ?
Son désir d’exercer son nouveau pouvoir est souvent dirigé vers un homme plus âgé, car la jeune fille est ainsi, elle est mécaniquement attirée par l’homme mûr, celui qui possède l’expérience et symboliquement a acquis plus de pouvoir social. Elle ne calcule pas vraiment. Disons que la nature l’a voulu ainsi, et que toutes les lois du monde ont bien du mal à refréner un tel penchant chez les uns et les autres.
Pour l’empêcher, la société a inventé le concept « d’adolescence » pour dire qu’une fille est pubère sans l’être. Elle condamne désormais les relations charnelles entre une jeune fille et un homme ayant une différence d’âge signifiante, surtout si celui-ci a autorité sur celle-là, allant même jusqu’à parler « d’inceste » dans ce cas-là, pour un homme qui n’est pas le père de la jeune fille concernée. La société moderne ignore aussi magistralement les désirs de ces femmes. Bref, elle tente de criminaliser la nature. Et cette attitude aboutit inévitablement à l’hypocrisie la plus crasse, une hypocrisie qui n’empêche aucun débordement. Ces relations sexuelles ont lieu, par 100aines de millions dans le monde, puis certains hommes ayant cédé à leur pulsion, sont condamnés aléatoirement dans les pays occidentaux, au gré des récriminations de l’amante déçue et plus ou moins vindicative. Je vais y revenir.
Il est vrai que les désirs de la jeune fille s’exercent plutôt sur son environnement proche. Elle a une vision étriquée de l’existence. Mais voilà qui lui importe très peu à son âge. Elle sait que la vie est courte et que la compétition sexuelle ne se paye pas de sagesse. Baiser, aimer, se reproduire, se marier, tout est équivalent dans son corps. Il faut apprendre. Et apprendre, c’est vivre. Et vivre, c’est former couple.
L’homme qui va céder à ses avances est plus circonspect. Déjà, à cause de son âge. Il oscille entre absolutisme et méfiance. Absolutisme lorsqu’il sait de quoi il en retourne et qu’il va utiliser cette mécanique à son propre compte, uniquement, enfin le croit-il. Méfiance lorsqu’il sent que la libido de la jeune fille risque de le déborder et l’emmener sur le terrain miné des attentes déçues. Il sait qu’il joue avec les limites. D’autant plus excitant, d’autant plus dérangeant, pour lui, pour elle.
Car l’homme n’est pas le seul à désirer le danger. La jeune fille le cherche avec une naïveté mêlée d’impudence. Et elle jouit de cette position de tentatrice, s’exposant sans le vouloir, et devenant ainsi défi pour l’homme. Il commettra un faux pas s’il a une paire de couilles entre les jambes. Sinon, il se condamnera lui-même. Même dans ce deuxième cas, elle en sortira gagnante.
Et puis, quelle délectation d’attendre de sa proie davantage qu’elle ne peut donner. La jeune fille se croit capable de remodeler un homme d’âge mûr. Son fantasme de toute puissance s’étend jusque là. Bien entendu, elle ne parlera pas de contrôle mais « d’amour ». Son corps et la dépendance que sa chair créera chez l’homme, lui attachera définitivement le mâle de son choix, qui a du prix à ses yeux. Et ils vivront heureux jusqu’à la fin de leurs jours. Elle sera « particulière » car il aura commis ce péché avec elle. Il aura été jusqu’à renier les lois humaines, voire les lois divines pour la conquérir. Ainsi la rassurera-t-il, et pourra-t-elle lui faire confiance. Tout au moins voilà comment elle se l’imagine.
Car la réalité du côté de l’homme est toute autre. Lui, fantasme une initiation sans lendemain. Une amourette, un passage obligé vers l’âge adulte, un plaisir vite satisfait, une énième conquête. Pour lui, pénétrer sa première femme, c’était devenir un homme. Ainsi croit-il qu’il en est de même pour la jeune fille. Comme sa première maîtresse a fait de lui un mâle, il va la former et la faire grandir.
Or la jeune fille est marquée par son premier rapport sexuel d’une manière très différente. Celle-là s’imagine avoir donné le meilleur d’elle-même, sa capacité à enfanter, à un être particulier. Et la voilà déçue si l’acte n’aboutit pas à une relation plus sérieuse. « Ce n’était que ça ? » va-t-elle penser et ainsi commencer un long chemin de reconquête d’une virginité perdue à jamais.
A chaque fois, et plus elle va devenir vieille, plus ce sera le cas : elle cherchera dans les yeux de son amant, la jeune fille qui aura disparu depuis longtemps, lors de son premier rapport sexuel. Jusqu’à en devenir ridicule et souvent, à faire une bonne dépression.
Car la multiplication des partenaires ne rend pas seulement la femme stérile. Elle la rend hermétique à la grâce. Tandis que l’homme gagne en expérience à chaque nouveau rapport, la femme se banalise. Elle n’est plus alors que l’objet commun usé par des partenaires indistincts, un sac à foutre. A l’extrême deviendra-t-elle incapable d’être mère parce que tout et tous lui seront devenus indifférents et que seul son petit plaisir comptera.
L’homme pourra vivre une expérience similaire avec la première femme à qui il fera confiance, son premier vrai amour, s’il échoue. Ce passage se fera par le coeur. Pour la jeune fille, il se fera par le corps. Et un corps déçu par le manque de romantisme de l’homme excité, entraînera bien des déconvenues morales chez celle-là. Les échecs des premières fois sont d’autant plus marquants.
Après cette expérience sexuelle incomplète, car non féconde, ni spirituellement, ni physiquement, la jeune fille meurt. Ses yeux s’éteignent. Sa peau se trouble. Sa confiance en elle disparaît. Et le regard qu’elle porte sur les hommes devient méfiant, au mieux interrogateur. Il a perdu en curiosité et en excitation. Du coup diminue-t-elle en beauté, tel un ange déchu, banale parce qu’elle a pris conscience de sa banalité, parce qu’elle s’est confiée à un homme qui ne la méritait pas. Elle intériorise un peu plus, et apprend à devenir rusée. Elle n’en est pas encore au stade du renoncement, stade qui touche bien des hommes et bien des femmes au fur et à mesure qu’ils avancent en âge. Mais elle aura fait un pas de plus vers cet état de déchéance final. Et pour prévenir toute nouvelle chute, deviendra-t-elle plus regardante. A moins qu’elle ne se perde définitivement dans le plaisir des sens. Chute encore plus grande, s’il en est.
Je dis que la jeune fille a disparu de nos sociétés parce que le premier rapport sexuel se fait sur la base d’un quiproquo de plus en plus grand. Avant, la société savait quel prix elle devait accorder à la virginité. Il était laissé du temps aux jeunes filles pour devenir femme par le mariage. Elles n’étaient pas poussées à se conformer à un moule de lubricité présenté comme d’une forme de libération, pour en sortir amoindrie.
Désormais, le seul horizon de la jeune fille, est de se faire dépuceler le plus rapidement possible par un proche. Le salopard du collège fera tout aussi bien l’affaire. N’importe qui passant par là en fait. Et la jeune fille disparaîtra précocement. Sa beauté sera celle d’une saison, peut-être moins. Enfin, l’observateur gourmet devra veiller avec attention pour ne pas louper cette fragile éclosion, avant de constater l’inévitable flétrissure, la perte de la noble innocence.
Nos femmes députés françaises ont eu bien du mal à légiférer sur un âge légal pour les relations sexuelles, parce qu’elles ne voulaient pas cautionner l’hypocrisie ambiante. Elle se sont souvenues de leur premier fantasme d’homme mûr, qui s’est parfois réalisé, alors qu’elles étaient jeunes, voire très jeunes. Et malgré le dépit qu’il a entraîné, ou à cause de ce fantasme passé qui nourrit encore leur imaginaire actuel, elles n’ont pas voulu s’attaquer aux illusions de la jeune fille, lui interdire de vouloir aimer, même maladroitement. Elles savaient ici que le remède serait peut-être pire que le mal. Car l’amour, confondu avec le sexe à cet âge, ne peut pas être rendu illégal. Au mieux s’éduque-t-il.
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