Pour être, il nous faut renoncer à être tout. Lorsqu’un enfant apprend à parler, toutes les possibilités de langage s’offrent à lui. Cependant, il ne réussira à communiquer que le jour où parmi l’infinité des possibles, il désirera apprendre celui de son entourage, et en premier lieu, celui de sa mère. Comme d’une longue ascension, l’enfant apprend donc le langage de sa mère, puis le langage de son père. Enfin, s’il arrive jusque là, malgré tous les nombreux défauts de ses parents, peut-être lui sera-t-il donné de parler le langage du Père éternel.
Bien d’autres vertus que la raison, la courage et la grâce existent, toutes aussi nobles à travailler. Mon existence seule m’a porté à privilégier ce mode de vie catholique, que je qualifierais de « guerrier ». Il n’est pas antinomique à toute la réflexion de notre Eglise en matière de vertu. Je dirais plutôt qu’il vient lui apporter une nouvelle pierre en ces temps de troubles, où les vertus anciennes ont été saccagées par un mépris sidéral de la part de notre société envers son Eglise. Je dirais que cette voie que je propose, est une sorte de réponse appropriée aux défis que notre époque. L’esprit guerrier est ce qui manque à notre Eglise d’aujourd’hui, et donc, à notre société.
Au nom de la charité, Celle-ci s’est crue absoute d’avoir à combattre le mal sur terre. Au nom de la grâce, Elle a cherché à éliminer tout ce qui était terrestre tout autant de ses réflexions que de ses actions. Mais l’incarnation n’est pas un vain mot. Cette dernière nous apprend à redescendre sur terre quand des considérations évaporées nous en ont éloigné.
Ainsi la raison, le courage et la grâce se sont offertes à moi comme une forme de triptyque terre à terre, fruit de mon expérience de foi, désertique, en réponse aux questions spirituelles que me posaient notre société sécularisée. Nombre de guerriers catholiques s’ignorent en ce monde. Je leur propose le fruit de ma réflexion pour leur permettre d’avancer, peut-être un peu moins seuls, mais surtout toujours plus forts, toujours plus faibles.
Car la force est inextinguiblement liée à la faiblesse. L’un ne marche pas sans l’autre. Dieu l’a voulu ainsi pour châtier nos orgueils. Et Il a bien fait quand nous voyons ces projets délirants et scientistes de surhomme nous éloigner chaque jour du bonheur.
Mais qu’est-ce qu’être heureux ?
Je dirais que c’est d’abord vouloir se battre. Le cynisme ambiant nous le fait moquer. Les difficultés nous y font renoncer. Les fausses sagesses y ont vu un danger, une folie, un projet fou. Cependant, le catholique doit aimer le combat, d’abord pour connaître le martyre, enfin pour connaître la résurrection. Le martyre et la résurrection ne sont pas toujours l’épilogue d’une vie. Ils sont aussi un quotidien, à accepter tel quel.
Renoncer aux illusions de ce monde, sans mener le combat, est un des principaux dangers qui menace la Foi. C’est offrir nos corps et nos âmes en holocauste à quelque sombre population, au diable, sous prétexte d’harmonie avec l’univers. En aucun cas, le respect pour la nature ne doit nous faire oublier nos obligations supérieures d’êtres humains.
La grâce se surajoute à la nature. Elle peut même s’en nourrir. D’ailleurs, dans la nature, le combat est partout. Et Dieu ne nous a pas créés pour échapper mollement à ce combat, et nous réfugier dans les jupes de nos mères, mais Il nous a institués en tant que vivant, justement respectueux de notre condition de mortels.
Etre mortel, c’est accepter de tuer. Tuer l’herbe que nous mangeons, tuer l’animal que nous élevons, tuer l’homme qui veut atteindre à notre vie ou à la vie d’autres personnes. L’assassinat est le fondement de nos existences terrestres. La question ne se pose jamais de savoir si nous devons ou pas tuer, mais comment le faire.
Le rituel est là pour ça, pour nous apprendre à respecter ceux que nous tuons. Respecter nos victimes dans l’élevage d’abord. Si une plante est morte, stérile, polluée, nous ne pourrons jamais nous en nourrir avec profit. Ensuite, les respecter au moment de l’exécution. Si vous n’avez jamais tué de bétail, si nous n’avez jamais préparé de plat de viande, et si vous êtes en quête de spiritualité, alors vous renoncerez tôt ou tard à cet exercice périlleux qui est de vous sustenter d’un animal. L’anthropomorphisme vous terrifiera et vous n’y verrez que votre propre image.
Cuisiner un plat de viande, vous demandera des efforts, de l’attention, du respect. Ainsi retrouverez vous le sens de ce que vous faites en le faisant. La viande ne vous apparaîtra plus comme un matériau abstrait, mais comme un signe d’amour divin qui vous a été donné pour vous perpétuer. Mais vous me direz, pour accepter de se perpétuer, il faut s’aimer… Là encore, Dieu a placé nos existences sous le signe de l’interdépendance et de l’amour. Celui qui n’accepte plus de dépendre d’une plante ou d’un animal pour sa survie, comment pourrait-il comprendre quoi que ce soit à l’écologie ?
Tous, nous dépendons d’autres personnes, d’autres plantes, d’autres animaux. Nous dépendons de tout en fait, et seule l’autonomie est un objectif atteignable au cours d’une vie humaine, et encore, même pas à la fin. Le scientiste, emprunt de son surhomme, veut sortir de cette dépendance. Alors détruit-il toutes les relations qui nous lient et il fait ainsi de nous des monstres. Les relations de dépendance doivent s’accepter et se cultiver, non pas se refuser dans l’objectif d’atteindre un bonheur non contraint et illusoire. La contrainte grandit l’homme et nous permet de réellement progresser. Quand nos forces humaines nous manquent pour franchir ce genre de marche, toujours, tournons-nous vers Dieu.
En un sens, le scientisme est un refus de se battre. C’est un évitement. Par peur de mourir, bien des personnes se refusent à vivre. Un catholique ne doit pas suivre une tel chemin d’esquive. Il doit se battre, et pour éviter de se faire tuer bêtement, apprendre à se battre.
La raison
Réfléchir en toute logique, voilà ce qui nous est donné en tant qu’homme. Et je veux le préciser ici, en plus de ne parler que de mon expérience personnelle, je ne veux aussi m’adresser qu’à des hommes. Il m’arrive bien souvent de plaindre les femmes qui héritent de nous bien des idées, et qui ont pourtant le devoir d’élargir leur propre culture. Mais finalement c’est un juste retour des choses alors que nous devons dans notre enfance, en tant que garçon, savoir nous extraire du pouvoir de nos mères.
Et puis, le combat que j’ai décrit précédemment, ne l’apprenons-nous pas d’abord de celles qui nous enfantent, et qui donneraient tout, jusqu’à la bêtise, pour leur petit ? Si une femme veut s’accomplir en tant que femme, qu’elle cherche plutôt du côté de la toute puissance maternelle et de la soumission à son mari. Elle héritera de ce dernier la raison qu’il aura cultivé ici même.
J’entends la raison comme logique pour ainsi dire mathématique. Il serait peut-être plus juste de parler de logique philosophique, ou musicale. L’homme aime naturellement les idées, et leur emboîtement, jusqu’à l’idiotie. Il a ainsi tendance à concevoir que la raison seule devrait présider aux affaires du monde. Et il est effaré de constater que rien dans l’histoire humaine, ou si peu, n’a suivi ce chemin. D’ailleurs dans la plupart des cas, il essaie d’échapper à ce constat et de vivre avec l’idée confortable que seule la raison existe. Il vit alors dans son petit monde, enfermé en tant que garçon dans le sein de sa mère, effrayé d’avoir à constater que d’autres vérités que la logique puissent s’imposer, percevant les femmes de manière obscure.
Or même si elle ne suffit pas, la raison est un élément constitutif de notre masculinité guerrière. L’homme cherche la vérité par la raison et à un stade élevé, elle peut même lui permettre d’accéder à des réalités supérieures.
La raison est belle. Elle est rassurante. Elle donne de l’ordre au monde. Cependant, à force de réflexions, nous pouvons en arriver à cette conclusion étrange qu’aussi grande soit la raison, elle ne s’impose pas d’elle-même. Nos vies, et plus largement l’Histoire, nous apprennent que dans bien des cas, le mensonge a payé, et quand j’entends mensonge, j’entends mensonge pour nuire. Les orthodoxes parlent du diable comme étant le mensonge et le père du mensonge.
Le malin gagne bien des batailles face à la raison, voire en utilisant la raison. Etrange dans un monde catholique où la Vérité devrait vaincre. La raison ne se suffit donc pas à elle-seule pour s’imposer. Le guerrier catholique doit ainsi cultiver une autre vertu qui la complète.
Le courage
Le courage ne va pas seulement permettre au guerrier catholique de s’incarner en ce monde. Le courage est aussi un mode opératoire de la raison. Car avant d’aller guerroyer sur des terres inconnues, il faut d’abord être au clair avec soi. D’où le rôle, par exemple de la confession (Saint Ignace de Loyola).
Avoir du courage, c’est donc cultiver la force de remettre en question ses idées. Et puis c’est aller les confronter à d’autres. Et enfin, acquérir la force de les défendre. Il faut du courage pour tout cela, car imaginez combien il est confortable de ne penser qu’avec soi, toujours de la même manière, sans s’impliquer dans la cité. La raison seule, aussi grande soit-elle, peut donc être assimilée à une forme de masturbation. Il lui faut du courage pour grandir et sortir d’elle-même.
Cette qualité, l’homme vertueux doit la demander à Dieu si la grâce ne l’en a pas pourvu. Elle est la condition de l’existence de la raison, tout autant que de sa victoire.
Pourvus de raison et de courage, le guerrier catholique pourrait se croire à l’abri. Il pourrait s’imaginer savoir quelles vertus conquérir et comment. Seulement il est encore trop enfermé sur lui-même. Le voilà qui raisonne d’homme à homme, avec ses moyens limités, tourné vers ce qu’il est et non vers ce qu’il pourrait devenir. Ainsi pour sortir de ce cercle infernal, le guerrier catholique a-t-il besoin de la grâce.
La grâce
La grâce, c’est la prière tournée vers Dieu, pour devenir meilleur, pour devenir nous-même, pour devenir ce qu’Il veut que nous devenions. Sainte Thérèse d’Avila affirme que notre âme est comme un immense trésor en nous. La prière vers Dieu peut nous permettre d’en prendre conscience, de nous y retrouver à l’intérieur du château de notre cheminement spirituel, et parfois parce que nous sommes faibles, de nous indiquer l’emplacement même de ce château ou de ses pièces.
Faire notre volonté, et faire la volonté de Dieu, n’ont ainsi rien de contradictoire, car nous nous réalisons en même temps que nous accédons au bien. Les fruits d’une volonté mauvaise sont l’expression d’un détournement du moi. Dans ce cas, nous collaborons, souvent par omission, au diable. D’où l’importance de la raison et du courage dans la grâce, qui vont nous amener à nous interroger sur nos actes, pour les améliorer. La raison sera un outil pour nous comprendre. Le courage nous permettra d’aller plus loin. La grâce nous donnera la raison et le courage qui nous manquent.
Comme je relie la raison au bien et donc à l’intelligence, je relie le courage au bon et donc à l’effort du coeur. Quant à la grâce, elle tend vers le beau qui est un effort de l’âme.
Bien des guerriers ont cultivé le beau et il n’y a rien de contradictoire entre le fait de savoir donner la mort et de rechercher une volonté esthétique. Si tel n’était pas le cas, les samouraïs ne nous auraient pas donné cet exemple merveilleux d’accord parfait entre le combat, la poésie, la préparation du thé et l’arrangement floral.
Dans « La guerre de Troie n’aura pas lieu », Jean Giraudoux regrette que la poésie soit une forme guerrière de la langue qui pousse les hommes au combat en les gargarisant. Il n’y a aucun regret à avoir en la matière. Faire de la poésie c’est assumer notre existence humaine, et donc accepter de faire des erreurs. Les décisions pures n’appartiennent pas à ce monde, si jamais elles appartiennent à l’autre. La guerre fait partie d’erreurs que nous devons assumer, le cas échéant, quand nous n’y sommes pas contraints par les circonstances. Le diable aime à se jouer des hommes pacifistes tout en finissant par leur montrer la vanité de leur passivité. Au début, il leur présente pourtant leur lâcheté comme un devoir de croyant, et ce croyant lâche, trop heureux de pouvoir échapper à la mort qui l’atteindra bientôt, souscrit aux vues du diable.
La Suisse est en cela un pays exemplaire en ce qu’il a su éviter les conflits inutiles tout en cultivant un esprit guerrier parmi sa jeunesse. Et tant que ce peuple prendra les décisions qui le concernent, contrairement aux nôtres, il me semble que cela durera.
D’ailleurs il m’est d’avis que seuls les très mauvais guerriers s’engagent dans des guerres inutiles, ou renoncent aux armes quand ils se voient menacés. Ceux-là sont l’envers d’une même pièce faite d’incompétence et de désincarnation.
Articuler la raison, le courage et la grâce avec les autres enseignements de l’Eglise
Traditionnellement, l’Église a développé une conception faite de raison et de foi. Mais cette logique dualiste est sclérosante. Foi et raison finissent par s’affronter, même si comme le décrit si bien Benoît XVI, ces deux jambes du croyant devraient équilibrer la marche. Le courage est certainement l’état d’esprit qui peut leur permettre d’aller de l’avant.
Une foi faite de raison, de courage et de grâce, les englobant, me semble donc plus parlant et logique. En tant que guerrier catholique le triptyque « raison, courage et grâce » est une expression de la Foi. Mais il peut l’être aussi bien pour les deux autres vertus théologales : l’espérance et la charité. Et en vérité de toute autre vertu. Je ne propose ici qu’une démarche pour progresser et s’incarner en ce monde. Cette démarche ne supprime en rien la Vérité. Elle peut seulement lui permettre de prendre corps.
Il ne faut pas avoir de mépris pour les moyens pratiques. Ils sont aussi le reflet d’une volonté de bien faire et de laisser une place dans son coeur au royaume de Dieu.
La théologie des témoins de Jéhovah pousse à l’extrême le mauvais chemin suivi par bien des catholiques en matière d’affadissement guerrier. En quelque sorte, ceux-là professent qu’il y a le monde du mal et les personnes qui seront sauvées, qu’il est inutile de se battre dans un monde où le diable est vainqueur. Ce faisant, ils laissent le monde au diable et forment communauté contre lui.
Or il y a bien des vérités à acquérir dans la lutte, et bien des mensonges qui s’imposent dans l’entre-soi. Le guerrier catholique ne doit pas s’exempter d’un combat qui le fait grandir dans la foi. S’il est important de reconstituer à l’heure actuelle, des communautés pleines d’amour, ce travail ne peut nous exempter d’un dialogue avec le monde, et même d’un dialogue avec le diable.
Trop souvent, le diable n’a pas besoin de vaincre avec nous. Nous le laissons gagner parce qu’il nous a pétrifiés. Et comme des Témoins de Jéhovah, nous nous résignons alors à le laisser régner. La Foi doit nous amener à d’autres sommets. L’horizon du guerrier catholique est celui du martyre. Martyre pour le monde afin d’être sauvé. Martyre comme d’un chemin.
Il est donc impossible comme le professent les témoins de Jéhovah d’être sauvé sans aller à l’affrontement. Dans leur histoire, le monde est parfois venu les chercher, pour qu’ils renient leur foi. Il me semble qu’alors, ils ont bien plus appris d’eux-mêmes qu’en toute autre occasion. L’Église en est arrivée bien plus loin, tout en étant tentée au quotidien par cette forme de régression. Loin de renoncer à se battre, il lui faudra poursuivre Son chemin en renonçant aux solutions faciles.
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"Vivre en samouraï moderne, selon Patrice Franceschi", Breizh du 09/04/2019.
"Apte, à ce titre, de traverser les temps et de « [bâtir] des ponts entre ce qui valait dans le monde d’hier et ce qui vaudra toujours dans le monde de demain » (Propos 143)."
"Celui de votre condition de mortels : devenir vous-mêmes. »"
Devenir soi-même = individualisme. Quant à bâtir des ponts entre le monde d'hier et de demain, ce concept est aussi le fait d'une société occidentale, pas du tout japonaise. Il y a bien des choses à prendre de l'esprit samouraï, mais certainement pas cela.
Saint Raphaël Arnáiz Barón (1911-1938)
moine trappiste espagnol Écrits spirituels, 15/12/1936 (trad. Cerf 2008, p. 268, rev.)
« Abandonnant tout, l'homme se leva et se mit à le suivre »
Il y a des jours où des avions traversent le ciel à des vitesses prodigieuses, survolant le monastère. Le bruit de leurs moteurs effraye les petits oiseaux qui nichent dans les cyprès de notre cimetière. En face du couvent, traversant les champs, il y a une route goudronnée où circulent à toute heure des camions et des voitures de tourisme qui ne s'intéressent pas à la vue du monastère. Une des principales voies ferrées de l'Espagne traverse aussi les terres du monastère... On dit que tout cela est liberté... Mais l'homme qui médite un peu verra comme le monde se trompe, au milieu de ce qu'il appelle liberté...
Où se trouve donc la liberté ? Elle se trouve dans le cœur de l'homme qui n'aime que Dieu. Elle est dans l'homme dont l'âme n'est attachée ni à l'esprit ni à la matière, mais seulement à Dieu. Elle est dans cette âme qui n'est pas soumise au moi égoïste ; dans l'âme qui s'envole au-dessus de ses propres pensées, de ses propres sentiments, de son propre souffrir et jouir. La liberté est dans cette âme-là dont la seule raison d'exister est Dieu ; dont la vie est Dieu et rien de plus que Dieu.
L'esprit humain est petit, il est réduit, il est sujet à mille variations, des hauts et des bas, des dépressions, des déceptions, etc., et le corps, avec une telle faiblesse. La liberté est donc en Dieu. L'âme qui passant vraiment par-dessus tout fonde sa vie en lui, on peut dire qu'elle jouit de la liberté, dans la mesure du possible pour celui qui est encore dans ce monde.
"Condamné, le cardinal Barbarin va remettre sa démission au pape", AFP du 07/03/2019.
Voici la situation typique à laquelle nous ne devons plus arriver. Un faux procès. Un refus du combat. Un écrasement. Une défaite sans martyre.