Dans notre monde où toute forme d’opposition crédible aux puissances d’argent/étatiques semble avoir été décapitée, trouver une réponse à cette question devient cruciale : qu’est-ce qu’un chef ?
Josy Eisenberg , dans son émission Judaïca, faisait régulièrement allusion à ce trait d’humour qui circulait dans la communauté juive : « Comment un peuple rempli de gens aussi intelligents (Israël) peut se choisir des chefs aussi médiocres ».
J’ai mis longtemps à trouver la réponse, mais pour moi, maintenant c’est clair, le choix d’un chef a très peu à voir avec l’intelligence. Les personnes intelligentes peuvent être des personnes intéressées, mauvaises, égoïstes, dont le coeur est corrompu. L’intelligence peut servir le mal et ne sera jamais un gage de transformer une tribu en civilisation. Certes, l’intelligence est aussi vertu. Mais elle n’est qu’une petite vertu parmi de nombreuses autres, surtout en matière de choix d’un chef.
La Vertu avec un grand « V » commande donc seule de se choisir un grand chef. Mais pourquoi et comment ?
Après chaque élection, les citoyens déçus de leurs choix, se disent que la prochaine fois, ils auront plus de nez. D’autres finissent par abandonner l’espoir démocratique. Dans l’imaginaire collectif d’aujourd’hui, l’idée d’une sorte de messie politique qui nous guérirait de tous nos maux, est revenue en force.
Beaucoup de petits imaginent que le chef est tout, qu’il est le guide des peuples, qu’il va les former à ses idées et les guérir du médiocre train-train démocratique. Ainsi, parmi la dissidence, des groupes de pensée vénèrent la mémoire d’un Napoléon. D’autres rêvent du retour d’un roi, tandis qu’au même instant un Emmanuel Macron, un Nicolas Sarkozy ou un François Hollande est élu.
Que ce soit par un choix majoritaire ou dans l’idée qu’une minorité pourrait imposer la félicité à une majorité, tous échouent actuellement en France à se trouver un chef à la hauteur de leurs attentes. Ils rejettent la faute sur l’absence de choix, les circonstances, les mensonges des uns et des autres. En vérité, ils échoueront encore longtemps tant qu’ils n’auront pas recouvré des vertus civilisationnelles.
Le premier manque de vertu d’un peuple qui se fourvoie, c’est de se positionner en enfant qui attendrait tout de son papa monarque, tendance bien présente en France. Les peuples d’enfants ne peuvent se choisir qu’un chef qui les entretiendra dans leur immaturité.
Le choix d’un chef doit donc être ancré dans l’idée que le chef ne privera pas les individus de leur autonomie, qu’il n’est pas là pour cela, mais au contraire pour exalter la force de chacune des familles de patriotes.
La promesse démocratique de payer les citoyens pour obtenir leur vote est une régression tribale qui cloisonne les individus à un stade enfantin, tout comme le désir d’un tyran ou d’une bureaucratie qui nous priverait de toutes nos libertés parce que nous serions incapables de les exercer. C’est rassurant mais médiocre.
Un grand peuple est aussi capable d’affronter la réalité. Il ne se réfugie pas derrière de grandes idées résumées souvent par des mots creux, « liberté, égalité, fraternité », ou des slogans « il est interdit d’interdire », qui n’ont jamais amené que le servage, la guerre et l’indifférence.
Accepter le propre de la réalité est une qualité d’adulte. L’enfant a tendance à se réfugier dans son imaginaire quand le monde ne lui convient pas, auprès de sa mère dans le soin. Il fantasme que nous soyons tous égaux avec des fonctions différentes, divers dans nos êtres sans avoir à affronter de différenciation sexuelle par exemple et pour développer un exemple propre à notre époque.
En effet, dans notre société, pleins de personnes intelligentes rêvent d’amour comme d’une valeur générale et très abstraite qui suffirait à vaincre toutes les difficultés, notamment familiale. Perverties par leur propre vécu, elles n’imaginent aucunement que l’amour puisse s’ancrer dans la différence sexuelle, dans l’engagement, dans le respect de la loi naturelle. Les exceptions sont érigées au rang de règles pour permettre à l’individu de continuer à s’imaginer que tout est possible.
Idem en matière de différences culturelles ou encore génétiques. Ces peuples infantiles sont capables de parler de progrès au moment même où ils stérilisent la société, où ils l’euthanasient, où le non sens n’a jamais été aussi répandu. Toutes les réalités objectives prouvant l’échec grandissant de leurs idées ne les empêcheront aucunement de persister dans l’erreur, tant ils ont plus peur du changement, qu’ils n’ambitionnent une quelconque prise de risque intellectuelle.
Pour ce faire, il leur faudrait avoir cultivé une grande humilité. Non seulement pour accepter d’avoir tort, mais de surcroît dans le choix même du chef.
Sans humilité, les gens préfèrent se mettre en avant plutôt que de mettre en avant quelqu’un de compétent. Ils veulent se servir plutôt que servir. Parler quand il est l’heure d’écouter. Et écouter quand il faudrait prendre courageusement la parole.
Les grands chefs sont de grands serviteurs. Ils sont mis au pouvoir par des personnes assez humbles pour leur laisser la place. Et en sont récompensées d’autant.
Pour bien comprendre cette mécanique, il faut imaginer combien elle agit au plus bas de la hiérarchie sociale. Combien de présidents d’associations ou autre, aujourd’hui, médiocres s’accrochent à leur poste, jalousés par de plus médiocres qu’eux.
Ainsi, dans une société sans humilité, à la base, les plus avides l’emportent, couronnant les personnes les plus immatures, assoiffées de pouvoir, enfermées dans une soumission symbolique au sein de leur mère, des Napoléons. Ils dégoûtent de l’exercice du pouvoir et en écartent les personnes les plus aptes. Quand ils n’entraînent pas une population au génocide…
L’air du temps, la mode ne portent pas non plus, à l’élection d’un grand chef. A l’inverse, la tradition, l’expérience doivent y présider pour éviter les erreurs basiques que commettent tous les débutants. Elire un chef parce qu’il est jeune ou vieux, est ridicule au possible, parce qu’il est femme l’est encore plus. Les circonstances président certes à l’élection d’un chef, mais elles ne doivent pas être confondues avec les humeurs, des opinions volatiles basées sur un ressenti court.
Du coup, le bon chef ne nous est pas donné par hasard. S’il est jeune, il doit toujours être mis en poste par des personnes plus âgées que lui. Plus que le chef, l’électeur doit être expérimenté : connaître le monde professionnel, avoir affronté des épreuves, être capable physiquement ou moralement d’en affronter d’autres.
Faire voter tous les jeunes de 18 ans comme cela se fait aujourd’hui, sans expérience professionnelle, vivant au sein de leur famille, hommes ou femmes, c’est de la démagogie pure. Certains le peuvent. Pas la majorité. Certains sont déjà impliqués politiquement, associativement, militent depuis plusieurs années. La plupart ne le fera peut-être jamais.
De même, élire un vieillard qui n’a plus de force d’insoumission en lui n’est pas digne d’un peuple fort.
En cela, le choix de l’électeur est encore plus important que le choix du chef, car l’électeur définit qui pourra être chef, et il faut une masse très importante d’électeurs éclairés pour nommer un seul chef capable.
Le profil idéal du chef est donc celui d’un homme entre deux âges, même si cette règle peut souffrir d’exceptions. Si une société n’arrive pas à se trouver une personne de ce type, c’est à coup sûr qu’elle a préféré quelqu’un de plus incompétent pour des raisons futiles, voire délirantes (l’égalité par exemple).
Vous aurez compris que seule une religion bien ancrée dans la société, une religion lucide peut influencer les peuples pour leur faire choisir de bons chefs. Car la vertu morale ne peut pas naître d’une éducation bureaucratique.
Dans les temps anciens de guerre, il était facile de discerner le bon chef qui écrasait l’opposition, était puissant physiquement et dont la survie de tous dépendait. L’humilité était alors forcée par les conditions de vie.
Le confort et les excédents actuels font vaincre d’autres règles, celles de mollesse et de l’intérêt tribal. Or la religion peut remettre du sens là où à chaque fois dans la société, il a tendance à se perdre.
La meilleure de toutes les religions, qui remplit à la condition d’humilité, est par essence la religion catholique. Jésus l’affirme : « Le premier d’entre vous sera le serviteur de tous les autres ». C’est la règle de base du clergé dont le pouvoir civil en Occident s’est inspiré durant des siècles pour construire une civilisation hors du commun.
Les autres religions sont bâtardes du service, faisant du roi un quasi dieu, du sultan un dominant, de l’empereur un tyran. En catholicité, l’empereur défend une idée de bien commun, pas d’exploitation, de conquête matérielle pour elles-mêmes, ou de régression.
Certes, toutes les grandes sociétés se sont défiées des abus de pouvoir des princes. Mais elles les ont subi aussi à cause des défauts de leur religion. Bien entendu, la perfection ne sera jamais de ce monde, mais l’influence de l’Église sera toujours plus bénéfique que celle de quelque autre basée sur le respect strict et non réfléchi des règles, ou encore sur une religion qui n’en est pas une en ce qu’elle propose une philosophie de vie plus qu’une relation transcendantale.
Lorsque les vertus d’un peuple sont saines, le chef est facile à désigner. Devenir chef dans ce cas, c’est avoir plus à perdre qu’à gagner. C’est même avoir tout à perdre et rien à gagner.
En l’occurrence, le chef sera démis s’il ne se met pas au service du peuple. En devenant chef, il perdra aussi une tranquillité que par ses qualités il préférait à l’agitation des foules. Il sacrifiera son temps à celui d’une nation, d’un empire, d’un village, tandis qu’il passait son temps à faire prospérer sa famille, ses amis, lui-même. Il prenait son plaisir dans les échanges humains alors qu’il lui sera demandé ici de s’occuper d’une collectivité.
Si jamais un roi catholique se fait jour dans le futur, ou une sorte de dictateur, ce sera la personne la plus contrainte du monde. Elle devra choisir le chemin difficile de la justice contre celui des vils appétits, le chemin de la Vérité contre toutes les compromissions, le discours de sincérité contre celui de la séduction. Elle n’aura que des opposants surtout si elle n’est pas soutenue par un peuple animé des mêmes valeurs.
En vérité, j’y reviens encore, sans un peuple fort qui appréciera en lui ce genre de qualité, elle ne pourra exercer aucun pouvoir. Toutes les institutions lui feront obstacles et les gens ne comprendront pas ses actes ni ses discours.
Le vrai pouvoir ne se situe donc pas dans la présidence artificieuse de quelques institutions. Ici-même, j’exerce un bien plus grand pouvoir que ne le feront jamais aucun président de la République : celui de faire progresser les consciences individuelles.
D’ailleurs, si vous avez approché de près quelques unes de ces personnes de « pouvoir » d’aujourd’hui, combien avez-vous pu souvent les trouver faibles moralement, idiotes, et surtout imbues de leur personne. Notre époque en regorge. Vous les voyez plastronner, encouragées en cela par un peuple sans morale. Elles sont nulles et ne s’en aperçoivent même pas, ridicules au possible pour la plupart. Le bassesse du peuple qui les admire n’en est pas moindre. En fait, tous les deux entretiennent une relation de séduction sado-masochiste, où l’élu n’est qu’une façade de réussite que l’électeur de base jalouse. Mécanique de notre société de consommation. La morale est absente de cette relation. Seul y préside un mimétisme destructeur et toujours en passe de céder la place à un effondrement individuel ou collectif.
Là encore, le vrai chef se distingue du clown assez facilement. Le vrai chef abandonnera ses responsabilités de chef avec un soulagement extraordinaire, alors qu’il aura réussi. Cela veut dire qu’il les aura exercé malgré lui et qu’il réussirait partout ailleurs. Le chef de pacotille se sentira dépossédé quand il abandonne son poste, et il le sera effectivement. Il ne saura plus quoi faire, tandis qu’un autre aurait pu réussir aussi bien que lui à son poste.
Regardez par exemple la grandeur, et la douceur, d’un chef tel que Ahmed Chah Massoud à qui il était demandé ce qu’il ferait si la guerre s’arrêtait demain : et devant la caméra, de répondre, « devenir instituteur de mon village ».
Selon Platon, il faut que la société aille chercher de vrais chefs, et les oblige presque à exercer le pouvoir. Depuis que notre société a eu accès à l’espérance catholique, en plus d’aller chercher des personnes pour exercer le pouvoir, nous avons aussi la possibilité de nous choisir des personnes animées par le sens du sacrifice, par le désir de justice. Si leur démarche peut se confondre avec celle des arrivistes, la rigueur et la rugosité de leur discours les en distingue.
Car il est facile de distinguer l’arriviste du chef. Ce premier vous dira ce que vous avez envie d’entendre. Il ne vous froissera pas. Il enrobera son discours pour se ménager vos votes, et votre amitié.
A l’inverse, un chef dira même ce que personne ne veut entendre si c’est vrai. Il risquera d’être répudié de sa société pour cela. Il sera conspué par tous les lâches, les imbéciles, les rapaces, les jaloux. Ainsi n’émergera-t-il que dans une société qui peut faire le clair avec elle-même et remplie de ces vertus cardinales : la chasteté, la tempérance, la prodigalité, la charité, la modestie, le courage et l’humilité, l’humilité étant la plus importante de toute puisque d’elle découle toutes les autres. Du côté de l’ennemi, il faudra compter sur l’orgueil, la gourmandise, la luxure, l’avarice, la colère et l’envie, la paresse.
Certains de mes lecteurs peu habitués au dogme catholique peuvent se demander ce que font chasteté et luxure dans la définition d’un chef, ou encore la tempérance. Eh bien, vous n’avez qu’à songer à ce qui est arrivé à Harvey Weinstein ou à Dominique Strauss Kahn. Tous les deux étaient les plus compétents dans leur domaine. Ils ont pourtant chuté à cause de leur manque de chasteté. Ils auraient très bien pu avoir des relations sexuelles avec leur femme régulière. Mais ils ont été entraînés dans la démesure par leurs appétits. Démesure qui les a condamnés. Il en a été de même pour un Mouammar Kadhafi même si cela apparaît de manière moins évidente au premier abord, et pour beaucoup d’autres qui ont été dominés par leurs pulsions désordonnées envers les femmes.
Si vous étudiez l’histoire sous cet angle, vous vous apercevrez alors combien de grands hommes doivent leur chute à leur manque de morale. Le fantasme d’un chef tout puissant qui pourrait agir comme bon lui et faire le bien, ne navigue que dans l’esprit enfantin de citoyens immatures. Ce chef tout puissant n’existe pas et n’a jamais existé. Un vrai chef est toujours le reflet de son peuple. Récriminer contre le chef, c’est souvent récriminer contre des manques collectifs. Même un Joseph Staline se terrait tout en haut de l’état dans sa hantise d’être assassiné, parce qu’il faisait le mal. Rien de ce qu’il a pu faire n’a servi son peuple qui se débrouille désormais beaucoup mieux sans lui. Il n’a rien laissé derrière lui que le désir d’abandonner le système communiste.
Il faut distinguer ici le tyran du dictateur. Le premier n’est qu’un malade mental qui guide un peuple tout aussi malade que lui vers son propre effondrement. Le deuxième, positif, peut surgir à des époques où les corps intermédiaires sont trop corrompus pour se réformer d’eux-mêmes, et où un seul homme doit concentrer tous les pouvoirs entre ses mains pour qu’un peuple fort puisse se purger et continuer d’avancer.
Les Staline, les Napoléons ne sont pas des accidents de l’histoire. Ils ont été conduits là par des peuples corrompus qui en ont payé le prix. L’idéologie communiste, socialiste, les lumières, qui ont la prétention de concurrencer la catholicité, ont massacré leurs populations des milliers de fois plus que n’a pu le faire l’Eglise quand elle tentait d’influencer le pouvoir civil. Le peuple coupable a cru à de telles balivernes et y croit encore. Il en paye à chaque fois le prix.
L’Eglise elle-même a déchu quand elle a cédé sur le plan de la morale. Il n’y a qu’à songer combien Elle a été laxiste avec les turpitudes des derniers rois de France, préférant la compromission, et combien elle l’a payé cher plus tard. Les mêmes péchés actuels envers l’idéologie libérale ou communiste, nous conduisent aux mêmes effets.
En tant que catholiques, nous sommes appelés à ne souffrir aucune compromission avec les puissances du moment et à nous ériger contre toutes les idéologies du temps présent qui ont la prétention folle de répondre aux aspirations profondes de leurs contemporains. A cette seule condition, le peuple français retrouvera son Eglise, du pouvoir, et de la souveraineté, même s’il faut pour cela, bien d’autres traversées du désert.
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