Cet article est entièrement constitué d’extraits du livre de Catherine Ternynck
La féminisation, l’indépendance des femmes
p56
Témoignage d’une patiente :
« J’ai grandi avec l’idée de construire une autonomie qui devait me préserver de toute dépendance, explique une quadragénaire. Il fallait rompre avec le schéma de domesticité ancestrale. Je suis aujourd’hui plus libre que d’autres femmes, plus seule aussi. Parviendrais-je à adoucir de telles exigences ? Est-ce que je le souhaite ? »
Au-delà de cette sensibilité égalitaire, ce qui participe à la mutation en cours des rapports hommes/femmes, et en constitue l’élément le plus nouveau, c’est la féminisation de plus en plus marquée du modèle de la ressemblance. Si hommes et femmes se rapprochent, c’est, pourrait-on dire, en terre féminine, dans un espace de féminisation de plus en plus marqué. Alors que le féminisme du début du 20ème siècle s’était donné pour mission de combattre la différence des sexes « à la loyale », c’est à dire dans une vision éminemment contestataire, le postféminisme contemporain procède, de façon moins frontale, par englobement, par contagion. Il s’étend à l’insu de tous par capillarité, créant de nouvelles façon d’être à l’autre et à soi-même.
Les stratégies développées par les femmes, intemporellement vouées à la résignation, se révèlent progressivement être leur force. Les vertus féminines d’écoute, d’accueil, de sensibilité, de compréhension, de disponibilité à autrui, cessent d’être perçues comme les marques stigmatisantes d’un sexe faible. Ces valeurs se retrouvent, au contraire, recréditées, réhabilitées, appelées à devenir des références dans la vie familiale et sociale. Les femmes ont des mots, des gestes et des recettes. Elles sont, dit-on, du « sexe de la sollicitude » (Fabienne Brugère). On assiste à l’intériorisation lente et progressive d’une pensée du féminin qui se mêle à des données inédites, des représentations plus anciennes et des comportements hérités.
Dans ce monde gagné aux valeurs et aux idéaux féminins, le masculin pourrait presque s’apparenter à un handicap. L’homme est moins à l’aise dans le maniement des sentiments, moins disposé à parler à s’épancher, à partager ses émotions et sentiments. Son autorité ne va plus de soi. Son agressivité dérange. Il est pressenti inapte aux soins et à l’assistance auxquels aspire toute une société inquiète et fatiguée de se porter. « Si seulement les hommes pouvaient être des femmes… », soupirait un analysante. Tout se passait comme si on s’habituait à l’idée que l’avenir de l’humanité devait se chercher du côté féminin ou, plus précisément, du féminin maternel.
Le manque d’autorité des hommes et la pédophilie.
p87
Dans notre société libérale, de nombreuses figures d’autorité sont trop fragilisées pour pouvoir soutenir la confrontation avec les jeunes générations et supporter la part de violence qui circule inévitablement dans toute collectivité. Mais où se déchargera cette violence si personne ne l’endosse ? On en vient à penser que le bouc émissaire prend les coups en lieu et place du chef, du père ou du maître qui, dans bien des cas, ne sont plus en mesure de supporter l’adresse de la violence. La même question se pose : le collectif pourrait-il vouloir inconsciemment se réassurer sur le compte du pédophile ? La chasse aux sorciers serait-elle là pour exorciser nos peurs ?
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Si l’enfant est devenu une figure inquiétante, c’est qu’il exerce une force d’attraction considérable, une formidable mobilisation érotique et narcissique sous laquelle couve une haine indicible.
Ce qu’on appelle pédophilie est en réalité une pédophobie, une fascination doublée de peur et d’agressivité. Si notre culture est devenue pédophobe, c’est paradoxalement qu’elle manque de philia, cet amour distancié et respectueux de l’altérité. L’enfant d’aujourd’hui est plus aimé d’éros que de philia. Voilà ce qui l’offense.
Il existe une réalité pédophile et celle-ci doit être punie. (ndt : l’auteur se sent obligée de faire un rappel à la loi alors que son propos était pourtant clair sur ce point. Elle a donc peur de servir de bouc-émissaire à une société en plein délire mimétique) Mais sataniser les coupables ne saurait nous innocenter. D’autres maltraitances, plus subtiles, existent probablement auxquelles nous participons naïvement. D’autres violences, d’autres formes d’emprise s’exercent à bas bruit qui n’entrent pas dans les appareils grossiers du signalement. Ce que nous dit le crime pédophile, parfois jusqu’à l’horreur, et que nous ne pouvons plus, ne pas entendre, c’est notre difficulté à aimer l’enfant. A l’aimer bien. Sans passion. A l’aimer pour ce qu’il est et non pas pour ce bout de rêve démiurgique, cette promesse d’éternité qu’à travers lui nous cherchons encore pour nous-mêmes.
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Voilà trop longtemps qu(e l’enfant) a pris la parole… voilà trop longtemps qu’on lui demande d’être un adulte avant l’heure. Il a autre chose à faire. Grandir, c’est un travail considérable.
Sur l’abandon des enfants.
p157
« J’ai toujours pensé que j’étais une grande personne, disait cet adulte particulièrement anxieux. Enfant, on disait de moi que j’étais « avancé ». J’avais à comprendre, à savoir, à décider pour moi-même… Il me manque d’avoir été petit ».
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Le drame de l’autonomie précoce, c’est qu’elle est usurpée… Laisser croire à un enfant qu’il peut se construire tout seul, c’est le laisser parle r d’un lieu qui n’est pas le sien. C’est lui laisser penser qu’il est possible d’aplanir ou même d’inverser l’ordre des générations. C’est le maintenir dans l’illusion qu’il peut être le maître de sa vie, l’auteur de son existence… L’enfant trop vite autonome n’est pas nécessairement un sujet en construction… L’autonomie véritable n’a rien à voir avec une telle débrouillardise. Elle est le fruit d’une conquête, indissociable de la responsabilité, c’est à dire de la capacité de répondre de ses actes et de ses paroles. Elle procède de l’étape franchie, de la difficulté vaincue, de l’épreuve surmontée. Pour devenir autonome, il faut avoir longtemps arpenté les chemins de la dépendance, il faut avoir consenti aux lois et s’être soumis à ceux qui les imposent.
Sur le risque généralisé d’inceste dans les sociétés féminisées.
P173
Dans certaines familles, il arrive qu’il n’y ait plus beaucoup de père pour faire contrepoids, interpeller, objecter. L’enfant grandit dans un espace saturé de mère… a ce constat s’ajoute le fait qu’au-delà de la famille, dans les cercles élargis, les mères se bousculent : elles sont enseignantes, infirmières, médecins psychologues, juges… Le petit enfant fait son entrée en maternelle et, d’une certaine façon, il y reste jusqu’à l’adolescence. Il grandit et se façonne sous l’aile des mères. Comme le note Michel Schneider : « Les hommes ont presque disparu des activités où l’enfant se façonne… Le sort éducatif, médical, juridique des enfants dépend des femmes. »
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p176
Ce qui caractérise l’inceste, c’est la fascination de l’origine, la volonté de la retrouver. L’origine, c’est toujours la mère, c’est le mou de la mère, son ventre, sa fécondité profonde et mystérieuse, son puissant creux de vie… (T)outes les relations entre mères isolées et enfant ne sont pas des pousse-au-crime. Mais si la violence et la délinquance augmentent, si tant d’adolescences sont jalonnées de gestes auto-destructeurs et de tentatives de suicide, ce n’est peut-être pas étranger à un excès de maternel dans le lien à l’enfant… La psychanalyse Mària Török parlait d’une nécessité de « dématernement ».
Sur le refus de considérer le mal.
P219
Les dogmes de la déculpabilisation n’ont pourtant pas apaisé totalement le sentiment de culpabilité. Ils l’ont transformé et de toutes évidence, complexifié : « Je consulte, disait cette jeune femme, quelques mois après une interruption de grossesse volontaire décidée pour des raisons qualifiées de confort, parce que je me sens coupable… non, de mon geste lui-même, mais plutôt de me sentir coupable. ». Devant mon étonnement, elle poursuivait : « Mon compagnon, mes proches ne me comprennent pas : ce geste était légal. Je le souhaitais et je ne le remets pas en question. D’où vient alors cette mauvaise conscience qui ne me quitte plus ? Que dois-je en faire ? » Cette introduction, qui avait le mérite de poser assez clairement le débat, illustre un aspect de la culpabilité contemporaine. Le dilemme se situe moins entre le désir et l’interdit qu’entre la norme et la réalité subjective : tout me dit que j’ai le droit, et pourtant je me sens coupable. Pourquoi ?… Des exemples de ce type abondent dans la clinique. Ainsi dessaisie de son objet, sans le support d’une faute réelle, la culpabilité ne parvient plus à s’inscrire dans le champ des représentations collectives. Elle n’a plus de lieu pour être, et dès lors, plus lieu d’être. Elle devient diffuse, flottante, comme peut l’être une certaine dépressivité par rapport à une dépression avérée… si l’effacement de la faute ne draine plus la culpabilité consciente, la question du mal n’est pourtant pas évacuée. Elle se pose simplement en des termes différents : que faire du mal si, dans nos contrées complaisamment psychologiques, il n’y a plus personne pour le reconnaître et le désigner ?
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