Un homme de 88 ans s’est débarrassé de sa femme de 93 ans parce qu’elle lui avait servi de la soupe trop chaude. Avec Libération, j’en suis tout abasourdi. Comment un mari a pu tenir aussi longtemps avec une épouse qui ne savait pas faire la cuisine ? Elle était au courant pourtant, depuis 70 ans, Gérard aimait la soupe ni trop chaude, ni trop froide. Il la voulait comme la faisait sa mère. Rien de plus, rien de moins. Il avait accepté de prendre une femme plus vieille que lui, d’être cocu, que son intérieur soit un vrai capharnaüm, que ses enfants ne soient pas les siens, qu’elle lui pourrisse les oreilles de ses médisances, mais il était intransigeant en matière de cuisine. Il fallait que la soupe lui soit servie à point.
Tel Esaü, toute une vie de soumission contre une soupe. La coupe se remplissait, années après années. Attendre juste un peu, eût été l’annihilation complète. Il est certain que mes amies féministes me répondront qu’il pouvait bien lui céder aussi cela, puisqu’il lui avait cédé sur tout le reste.Et puis à un tel âge canonique de 93 ans, est-ce que Gérard n’aurait pas pu lui pardonner, considérant en cela la diminution de ses capacités intellectuelles ? Seulement, notre bon Gérard, même à 88 ans, surtout à 88 ans, en avait gros sur la patate. La jeune fille fraîche et espiègle avait laissé place à une vieille rombière acariâtre depuis au moins 50 ans. Si vous faites le compte, Gérard s’était là aussi fait entuber. 50 années de vieille baderne contre 20 de pratique sexuelle quasi acceptable. Ce fut cher payé. Trop diront certains.
Ensuite, être nonagénaire, ce n’était pas une raison valable pour manquer de respect à son mari, même une seule fois. Pour l’occasion, Gérard rétablit l’ordre et la justice à titre définitif. Qui lui jettera la première pierre ? Certainement pas moi. Qui suis-je pour juger Gérard et ses 70 années d’oppression matriarcale, toutes les petites provocations sournoises de sa mégère, tous ses renoncements, et le laisser aller grandissant de celle-ci ?
Que les féministes se payent maintenant sur la bête et racontent l’histoire de Gérard à leur seul profit, voilà aussi qui ne manque pas de toupet. Gérard avait des règles. Il entendait bien les faire respecter sous son toit. C’était son droit inaliénable de mari dans un monde qui part à la renverse. Peut-être un de ces héros modernes cachés ?
Et puis, là encore à sa décharge, il avait prévenu Paulette : « Toi ma petite caille, si tu me refais ce coup là, je te loge une balle entre les deux yeux. » Il n’a tenu que partiellement parole en atteignant l’oeil, mais Gérard n’avait plus toutes ses facultés. Cela faisait au moins 10 ans qu’il n’avait pas pris un permis de chasse, pour ne pas mettre en danger ses copains depuis qu’il savait que sa vue avait diminué. Gérard était un bon camarade, à l’ancienne.
La chasse a eu trois avantages dans la vie de Gérard. Premièrement, grâce à elle, il a pu se soustraire au pouvoir domestique de Paulette, tous les longs dimanches d’hiver. Deuxièmement, il a pu vivre des amitiés extraordinaires. Troisièmement, au moment de tirer son dernier gibier, il ne l’a pas manqué, ce qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques, même pour Paulette. Imaginez qu’il ait atteint le poumon et que les médecins se soient mis en tête de la réanimer. Non, au lieu de cela, pas de langueurs en longueur, pas de fin dans un triste hôpital, ni de maladie interminable et invalidante, mais un départ en feu d’artifice. Une seconde top chrono pour remettre son âme à Dieu. La Paulette peut le remercier en un sens.
Ainsi, les féminicides ne se terminent pas tous de manière aussi dramatique que veulent nous le raconter nos journaux républicains. Et quand on veut se mêler des affaires des autres, il faut le faire jusqu’au bout, en essayant de comprendre les tenants et les aboutissants.
En ce sens, pourquoi ne répertorier que les histoires de femmes tuées ? Pourquoi ne pas faire chialer aussi en racontant les histoires de veuves noires, telle Jacqueline Sauvage ?
A la décharge de Libération, répertorier toutes les histoires de femmes tuées par leur conjoint de manière partiale, c’est autrement plus faisable que de raconter la vie de millions d’hommes victimes de séparation, exploités par leur compagne, voire assassinés. Moins il y a de victimes, plus il est facile de mettre leur histoire particulière en avant, en faisant les poubelles des faits divers et en parant cette démarche d’éboueurs, de la caution des sciences humaines. Faire chialer les jeunes filles prépubères sur des histoires personnelles en très petit nombre, pour qu’elles s’engagent dans des parcours hystériques qui les rendra malheureuses et alimentera ainsi la catastrophe féministe, c’est toujours plus facile que de faire un vrai travail scientifique d’homme ou de littérateur.
Personnellement, j’ai décidé de ne plus trop pleurer sur ce genre d’histoires, même si j’ai de la compassion pour Gérard. Elles ne font qu’alimenter une sensiblerie toute féminine qui nous mène droit dans le mur en matière de relations hommes femmes, voire dans la société entière. Gérard avait ses raisons, j’en suis certain. Mais un journaliste honnête doit éviter de se pencher sur les fonds de culotte des autres, pente trop naturelle chez lui, tandis que son fondement est mordoré.
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