Nous sommes tellement riches que nous ne pouvons plus accueillir nos aïeux sous notre toit. Il faut qu’ils crèvent seuls chez eux ou que nous les placions en maison de retraite, là, loin de leurs enfants, de leurs voisins, de leurs rituels, de leurs amis qu’ils ne reverront plus jamais, au milieu d’inconnus soucieux de leur salaire, de leurs enfants, de leur smartphone, de leur petite vie médiocre, étrangers à leur sort. Le pire dans tout cela, c’est que la prochaine génération ne pourra même pas se payer ce luxe là.
Nous sommes tellement riches que nous vivons seuls, et de plus en plus, isolés. Le moindre incident, et c’est la catastrophe. Si un mercenaire ne vous soigne pas, qui le fera ? Ce n’est pourtant pas lui qui vous veillera, ni si vous êtes malade, ni après le trépas.
De toutes les manières nous sommes tellement riches que plus personne ne veille ses morts. Un croque mort les emporte loin de la maison. Il ouvre le funérarium à horaires fixes et vous l’embaume pour un petit prix. Il vous soulage du temps que vous ne pouvez plus perdre loin de votre travail. Parce que vous êtes devenu tellement riche que vous ne pouvez plus vous absenter très longtemps pour une telle raison. D’ailleurs comme cela, vous n’avez plus à vous poser trop de questions.
L’handicapé, trisomique, fou, idiot du village, n’a plus sa place en société. Il fait peur, il détourne de la production à laquelle nous sommes réduits. Du coup, nous sommes tellement riches que, contrairement aux générations d’avant, nous n’avons pas les moyens d’accueillir dans nos familles, dans la société, des personnes avec leurs fragilités. Tacitement, nous préférons les éliminer. Les tenants du nouveau culte à mammon disent que c’est un choix individuel. En vérité, ils savent que toute leur société ne pourrait fonctionner si les handicapés n’en étaient systématiquement soustraits.
D’ailleurs nous sommes tellement riches qu’un enfant qui vient sans nous avoir prévenu, il nous faut l’assassiner parce que vous comprenez, il n’était pas désiré. Nous sommes donc tellement riches que nous n’avons plus le désir d’accueillir un petit enfant si nous ne l’avons pas programmé, alors même que nous en manquons, et qu’à cause de cela, nous avons recours à l’immigration.
Nous sommes tellement riches que nous mangeons des produits de moins bonne qualité que les générations qui nous ont précédées, produits parfois qui génèrent des maladies, nous handicapent, polluent l’environnement, voire nous sont interdits sous prétexte de santé publique. L’alcoolique a tué le bon vivant qui n’est plus un bon gros, mais un être bourré de graisses étranges qui lui collent à la peau, au derrière, aux jambes et en font un monstre disproportionné. Celui là est pauvre, et il vit dans une société tellement riche qu’il n’a pas les moyens de se payer de la nourriture de qualité, et que si comme lui, tous les pauvres se mettaient à en demander, il serait difficile d’en trouver. Il faut produire mon ami, sans réfléchir, créer un monde de toute pièce, qui fonctionne moins bien qu’au naturel, nous asservit, nous rend malades et même pire : tue en nous le sens de la liberté, du bien fait, de l’esthétique, tout ce qui fait notre humanité.
Nous sommes tellement riches que passé l’enfance, nous ne voyons les membres de notre famille qu’épisodiquement, au jour de l’an, peut-être, pour nous donner bonne conscience. Les parents vivent bien, sur le dos de leurs enfants avant qu’eux-mêmes, ne les traitent égoïstement. D’ailleurs nous sommes tellement riches que le peu d’enfants que nous avons, nous ne les aurions pas si l’État ne nous donnait d’allocations. Et nous sommes aussi tellement riches que bientôt il est à se demander si nous nous reverrons tant le prix du voyage est conséquent, matériellement, moralement.
Nous sommes tellement riches que le cas de conscience que j’ai, présentement, est un luxe qu’un riche d’aujourd’hui ne peut pas se permettre, qu’il doit balayer d’un revers de la main en disant : « Réactionnaire ! ». Si tel n’était pas le cas, vous comprenez, il perdrait son métier, ce serait un révolté, il finirait déclassé. Or nous sommes tellement riches, qu’il n’est plus besoin de penser, quand bien même ce serait autorisé. Si vous n’avez plus la possibilité de lire, de batifoler, de perdre du temps à déambuler pour rien, c’est pas grave, vous possédez de nombreux autres biens.
Nous sommes tellement riches que nous ne rencontrons plus de vrais gens, que nous nous croisons sans nous regarder, que nous passons notre temps dans de grands canapés, à visionner des séries télévisées tellement réalistes qu’elles nous vendent un monde prospère qui devrait arriver, on l’espère. C’est certain, nous sommes riches à crever, notamment de vent. D’ailleurs l’État et les grandes sociétés privées, en la matière, préservent notre capital. Elles font ce qu’il faut pour que sur les réseaux dits sociaux, à la télé, à la radio, nous continuions à croire, quand nous-mêmes, tout seul, comme des grands, nous ne nous censurons pas.
Nous sommes tellement riches que nous divorçons chacun dans notre coin pour aller vivre dans des cages à lapin, au milieu de nulle part, défiants du voisin. Et puis il faut le dire, nous sommes tellement riches à crever que ces cages à lapin prospèrent à ce point qu’il faudrait qu’elles représentent la moitié de tous les appartements des grandes villes, pour que les gens soient bien logés.
Par contre, sur le reste du territoire, 90 %, nous sommes tellement riches que les maisons sont abandonnées, qu’il n’y a plus de vie, que les paysages sont constitués de grands champs pollués et désolés au-dessus desquels passent des avions dont le kérosène est détaxé. Au propre comme au figuré, comme dans les rues d’une grande ville du moyen-âge, ces aéronefs nous chient dessus pour que quelques riches puissent économiser sur le prix du billet. Nous sommes tellement riches d’ailleurs que pour ces gens-là, la nature n’existe pas. Elle pue. Il faut la traverser le plus rapidement possible, aller tout droit, à travers la campagne, même au moyen de grandes lignes de rail dispendieuses et inutiles. Leur temps, c’est notre argent. Et nous sommes tellement riches que nous appelons cela la bonne gestion du territoire, que des élus locaux très intelligents se font une gloire de participer à un tel cauchemar. Dans les villes où les gens peuvent se passer de voitures, s’ils n’ont pas d’enfants en bas âge, l’air est irrespirable. Dans les campagnes vidées, le gazole est taxé outre mesure parce que nous sommes si riche qu’on ne peut plus rouler en voiture alors que c’est obligatoire, pour aller travailler, pour aller chercher à manger, pour entretenir son toit.
Et ne parlons pas des routes. Elles sont impraticables parce que mal entretenues ou parce que des élus ont décidé d’installer des dos d’âne pour que nous roulions à l’allure d’un trot de cheval. Le progrès… Pour avancer, il faut donc contourner les centre villes ralentis que nous sommes par moult rond-points inutiles, sauf au financement de partis politiques, et de plus en plus souvent, payer l’octroie sur des autoroutes privées parce que nous sommes si riches que la montagne d’impôts levés ne permet plus à l’État de remplir ses missions de base. L’État, il préfère bénir les unions stériles, troubler l’identité des enfants, excuser les puissants dont il est dépendant, ou bien, ce qui revient au même, excuser tous les débordements des populations insolvables qui ne lui rapporteront rien.
Bon sang, nous sommes si riches que dans notre pays les enfants sont éduqués par n’importe quel citoyen. Heureusement car nous sommes si riches que les mères n’ont plus le temps de s’occuper de leurs enfants en bas âge, les parents en général n’ont plus le temps de les voir, et ils n’ont même plus l’occasion d’en avoir, ça coûte trop cher, ça prend du temps. Nous sommes si riches que l’enfant est devenu un luxe, qu’il faut en profiter quand la vie est passée, quand nous sommes devenus fatigués, quand le temps d’être parent n’est plus d’actualité. Et puis, il faut dire que nous crevons tellement de richesses que nous devons attendre l’âge de la stérilité pour nous installer en couple, que sans cela, il paraît que nous n’y arriverions pas, que c’est nécessaire de d’abord penser à soi.
Car nous sommes si riche que la vie, c’est pas d’avoir des enfants, c’est de profiter de bons moments de loisir, de baiser quand il nous reste un peu de temps, d’oublier de vieillir, d’éviter de penser qu’un jour nous allons tous mourir. La science ne nous a guéri de rien, mais elle nous a donné ce grand trésor, de ne plus avoir à penser à la mort. Grâce à la science, nous pouvons oublier quel sera notre sort. En cas de future amputation nous nous imaginons porter des jambes bioniques alors que dans nos vies, un simple mal au dos ou une bonne vieille maladie de Lyme nous crucifient. Le progrès grâce au règne de l’inconscience. Cette riche science, elle a grande part dans la fabrique à espoirs qui sous-entend qu’il est inutile de nous battre, que nous sommes bien assez riches pour éviter cela, qu’un coup d’anti-dépresseur suffira. Zombis ou étroits d’esprit, nous sommes si riches qu’entre les deux, nous pouvons choisir.
En résumé, nous sommes si riches, c’est le gouvernement, les médias, les fausses statistiques, qui nous le disent, que nous dégénérons petit à petit pour préserver un mode de vie, et les idéaux de quelques uns qui encore en profitent, ceux qui se sont fait un métier de défendre les pauvres alors qu’ils les oppriment, surtout dès que la pénurie se précise, en somme, ceux qui vivent sur le dos des autres en parasites, qui se font payer pour cela en démocratie, et qui accusent les victimes de leurs choix déplorables d’être des saprophytes, de ne pas avoir été à la hauteur de leurs délires.
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