A revenus égaux, à emploi identique, ou diplôme égal, le patrimoine des femmes serait largement supérieur à celui des hommes, de l’ordre de 15 % en moyenne. C’est en tout cas les conclusions d’une étude de l’Insee parue en décembre (tableau 4a et 4b de l’étude 1).
Pour arriver à leurs conclusions, les scientifiques sont partis d’une équation comptable de ce type :
W t+1=(1+r) (Wt + At + Yt – Ct)
avec r : rendement de l’année t. W : stock de patrimoine. A : successions transferts de richesse. Y : revenu de l’année et C : consommation de l’année.
L’équation se lit ainsi :
En l’année t+1, l’accumulation de patrimoine est constituée des transferts de patrimoine et de la différence entre revenus gagnés et consommés, le tout multiplié par la valorisation de ce patrimoine.
Or, en utilisant cette équation, les auteurs de l’étude auraient dû arriver à identifier les différences entre hommes et femmes de manière stricte. Cela n’a pas été le cas. Le patrimoine des femmes s’est révélé certes inférieur à celui des hommes, mais bien moins qu’il n’aurait dû l’être à revenus, diplôme et métier équivalent. En somme, les femmes travaillent moins que les hommes, ont des métiers moins rémunérés, mais se retrouvent proportionnellement avec plus de patrimoine. On pourrait donc en arriver à la conclusion que les femmes sont favorisées par la société française, ou que les hommes sont discriminés.
Nos journalistes, notamment du Figaro, en sont arrivés à la conclusion exactement inverse (2). Ils pensent certainement que leur lectorat est trop bête pour comprendre, et qu’il faut lui donner des chiffres bruts tout en l’abreuvant de pensée commune pour le satisfaire. C’est dommage.
Pour aller encore plus loin, je propose donc à ceux qui seraient curieux de creuser la question de regarder les aspects faux de l’étude. Je veux ainsi montrer quels points pourraient être creusés pour obtenir des chiffres réels, qui ne manqueraient pas de faire apparaître, je n’en doute pas, une domination conséquente des femmes en termes patrimoniaux dans notre société, même en valeur brute.
Les défauts de l’étude.
D’abord, il faut souligner que les chiffres bruts ne sont pas disponibles car l’Insee s’amuse à les réserver aux « chercheurs officiels » dans le cadre d’une demande motivée. Ce genre de pratique issue d’un autre âge, permet de contrôler l’information et d’éviter que le microcosme universitaire et des professionnels de la statistique ne soit remis en cause, et n’ait à se justifier. Il y aurait pourtant du travail à faire en ce moment étant donné le niveau général de la recherche en France. En l’absence de chiffres bruts, je n’ai donc pu effectuer mes observations que sur les informations qui nous avaient été transmises par les chercheurs qui ont pu y avoir accès pour leur étude sur les différences hommes-femmes. Celles-ci révèlent déjà pas mal d’incohérences de l’enquête de base. Et la première de celle-ci :
Demander aux Français combien d’argent ils possèdent dans une société où l’argent est tabou…
Avec ce genre de méthodologie, les résultats de l’enquête devraient se révéler particulièrement faux. Et c’est bien le cas.
Grâce au tableau de l’Insee et aux calculs effectués ici, on peut arriver au chiffre de 43 843 000 d’hommes et de femmes dans les ménages en France en 2010. Avec un patrimoine français évalué à 10,203 milliards, on en arrive donc à une moyenne de 232 718 euros par homme ou femme dans les ménages français. Or selon les chiffres de l’enquête de l’Insee, les hommes déclareraient en 2010 un patrimoine moyen de 120 141 euros et les femmes, de 107 595 euros. Même si l’Insee avait attribué un patrimoine aux enfants mâles et femelles, manière de procéder qui serait complètement absurde pour calculer les différences de patrimoine hommes-femmes, même en réintégrant le patrimoine professionnel, il est clair que le fossé resterait abyssal.
L’étude ne peut être considérée comme significative. On pourrait peut-être imaginer qu’hommes et femmes évaluent mal leur patrimoine, exactement de la même manière et que les différences entre eux pourraient être significatives dans cette étude. Or, tout comme on sait par exemple que les femmes répondent moins en matière de relations sexuelles que les hommes, tout comme il apparaît qu’elles ont une aversion pour le risque supérieure aux hommes selon de nombreuses études citées en référence de cette enquête patrimoine, et que cela doit influencer leur manière de répondre etc etc… il est à penser qu’elles ont masqué une partie de leurs réponses. Or cet effet n’est pas étudié. Tout comme, n’y sont pas étudiées la présence ou non d’incapacités à évaluer correctement un portefeuille quand on est homme ou femme. Bref, ça ne colle pas vraiment, voire pas du tout.
La question de l’équation :
Le rendement r, n’est pas le même pour des biens immobiliers et des revenus financiers. Les auteurs le remarquent et constatent des différences entre hommes et femmes. Les femmes moins à même de prendre des risques choisiraient des placements stables, notamment dans la pierre, stratégie qui se révélerait payante en tant de crise, comme en ce moment. Cette hypothèse, au lieu d’être évoquée en conclusion pourrait servir de base à une étude différenciée des stratégies patrimoniales dont la question serait : « Sur quoi les femmes misent-elles, en dehors même des rapports monétaires ? », car il s’agit principalement de ça ici : d’identifier des stratégies humaines qui aboutissent à des différences mathématiques, et non de partir d’une équation mathématique pour expliquer tous les comportements humains.
Autre problème qui en résulte : la différence entre revenus et consommation est masquée par le fait qu’une partie de la consommation des hommes peut payer des dépenses pour des femmes.
De même, la femme peut bénéficier de l’usage du capital d’un homme, ou de disposition particulières notariales qui lui permettront de compenser la différence de capital après un divorce, ou à la mort du mari (disposition leg au « dernier vivant » qui est plus souvent une femme). Les jugements de divorce montrent d’ailleurs à quel point une telle équation a tout d’aléatoire et comment en pratique, les juges rétablissent une forme d’égalité en faveur de la femme. Sans parler des pensions alimentaires qui peuvent servir à troubler la variable explicative « revenus ». Ainsi, il me semble, les stratégies d’accumulation de capital par les individus s’inscrivent plus dans un modèle qui cumule des variables légales, d’influence politique, autant que de ressources et de dépenses. Il existe des modèles de valorisation du capital en comptabilité, système de provisionnement et autre, dont le fonctionnement pourrait être calqué sur ce genre de recherche…
Ce cadre d’analyse faux et incomplet débouche forcément à des résultats d’analyse difficiles à identifier, des variables non expliquées importantes… Le couple est difficilement sécable en deux entités individuelles. Ainsi la notion de moindre revenus d’une femme au foyer mariée est un non sens complet. Tout comme celui de moindre capital, ce que les auteurs remarquent eux-même page 12 :
De nombreux couples mettent en effet en commun leurs ressources, facilitant l’accumulation de patrimoine par le conjoint avec des caractéristiques associées à une moindre richesse.
…
et p 13 :
Une autre piste pouvant expliquer une accumulation plus importante des femmes à caractéristiques observées comparables est une différence d’aversion pour le risque, ou encore de préférence temporelle.
Les femmes profitent donc pleinement du mariage, mais cela ne les empêche pas de désirer divorcer. Leur aversion au risque serait financièrement payante en tant de crise. Alors qu’on parle toujours de domination des hommes, ici, il n’est pas fait mention d’une domination des femmes en termes patrimoniaux…
Des femmes plus dépensières, ce qui pourrait expliquer certaines différences d’accumulation de patrimoine :
Un des exemples fréquemment donné est celui de Lundberg et al. (1997) qui, en s’appuyant sur une réforme de politique sociale au Royaume‑Uni, ont montré que la consommation moyenne des enfants avait sensiblement augmenté suite à la décision de verser les allocations familiales à la mère plutôt qu’au père. P2
Dans les stratégies d’accumulation de capital, le fait de dépenser plus (pour qui, pour quoi), de se réapproprier les ressources étatiques est également un fort levier d’accumulation de capital. Imaginez une femme qui mise sur ses enfants, puis devenue plus vieille, profite du patrimoine de ceux-là. Comment une telle étude pourrait se pencher sur ce genre de rapports humains ? On voit ici que le refus de prendre en considération les us et coutumes des êtres humains, ou la volonté de les ignorer pour éviter d’entrer dans des « stéréotypes », nous éloigne d’autant de la vérité. A mon avis, cette prise en compte « d’usage de patrimoine réel » ne serait pas anecdotique, car elle pourrait aboutir à des résultats qui sont plus ou moins consciemment rejetés par notre société moderne : le constat d’une baisse du patrimoine accessible aux femmes, la précarisation de ces dernières depuis que la société du divorce a pris pleinement place dans notre civilisation, le divorce provoquant forcément une baisse « d’usage » d’un patrimoine élargi (qui n’appartient pas aux femmes mais dont elles profitent tout de même).
D’ailleurs, les différences de patrimoine s’observent plutôt entre couples et individus isolés et qu’entre hommes et femmes !
La plupart des articles étudient les inégalités de richesse entre les sexes en comparant les ménages isolés et les couples. Schmidt et Sevak (2006), sur données américaines (Panel Study of Income Dynamics, PSID), observent ainsi que la richesse nette moyenne des couples est plus de deux fois supérieure à celle des isolés, hommes ou femmes. P4
Or le couple est composé de plus d’enfants. On peut donc considérer que l’état de couple génère un patrimoine véritablement supérieur par adulte à celui d’individu isolé. Cependant une autre constatation est faite par les auteurs : le patrimoine des femmes isolées est dans ce cas inférieur à celui des hommes isolés. Les hommes sont donc plus indépendants financièrement en moyenne que les femmes, moins dépensiers ou gagnant plus d’argent. La « valeur » d’une femme se révèle donc en couple où elle permet à l’homme de conserver son niveau de patrimoine tout en lui/se procurant une descendance. C’est le schéma traditionnel classique auquel personne, même dans notre société dite moderne a su échapper jusque là. D’ailleurs les mères isolées sont les plus pauvres en patrimoine. La société du divorce peut donc être véritablement considérée comme une attaque financière frontale envers les femmes,
Fremeaux et Leturcq (2013) observent ainsi, depuis la fin des années 1980, un recul de la mise en commun des biens du ménage au profit d’une individualisation croissante causée par le recul du mariage et le recours accru au régime de la séparation de biens parmi les mariés. P2
mais attaque décidée par les femmes mêmes, qui dans notre société riche, avec moins de patrimoine, peuvent réussir à vivre correctement. Les femmes utilisent donc le divorce ou refusent de se marier alors que cela les rend moins riches, ou plus pauvres. Il serait intéressant d’étudier leurs raisons, en imaginant bien entendu qu’elles le savent avant d’agir, et je leur ferais personnellement confiance là-dessus.
Pour tenter d’avancer un début d’explication, il est à souligner qu’elles veulent atteindre un idéal de perfection qui semble inatteignable, et que ce désir est la source même de leur choix de changement. Je m’explique, on peut distinguer deux motivations différentes chez des femmes qui divorcent ou qui refusent de se marier et qui fondent pourtant famille : celles qui sont animées par un idéal sexuel et individualiste. Et les autres qui déplorent de n’avoir pu construire un idéal de couple comme elles l’imaginaient. Les premières divorcent ou ne se marient pas pour satisfaire objectivement leurs envies. Les secondes parce qu’elles voudraient vivre pour un autre de manière pleine. Dans ce jeu, les montures hommes semblent s’échanger au gré des lubies de ces dames, ce qui ne pousse pas ces premiers à adopter des comportements fidèles, mais au contraire, à devenir de plus en plus séducteurs et à participer donc à des unions de plus en plus instables. La perte de repère de vie en couple, et l’abandon des efforts nécessaires à son accomplissement (tout n’est qu’efforts dans le couple) risque de se payer quand la société deviendra moins riche. Il est alors à penser que les femmes se remettront avec des hommes pour qui elles auront le plus grand mépris et que la situation se dégradera brutalement entre hommes et femmes, sans parler des familles pauvres dont le nombre devrait exploser. En attendant, on peut déjà faire ce constat objectif : l’état marital favorise patrimonialement hommes et femmes, il permet à la société de se perpétuer, et pourtant, cela n’empêche pas les femmes de vouloir divorcer. Les femmes semblent moins soumises/attachées aux questions financières et elles ont les moyens de vivre leur indépendance dans notre société moderne, même si c’est dans une relative pauvreté par rapport aux hommes. La conception du pouvoir chez les femmes ne peut donc se définir stricto sensus en des termes matériels comme évoqué plus haut.
La part des anges de l’étude.
Tout mes observations sur l’insuffisance de ce modèle sont d’ailleurs corrélées par un constat des auteurs eux-mêmes. En dehors du revenu, de la carrière ou autre, une part inexpliquée de patrimoine en plus se retrouve dans la poche des femmes, différence qui si elle devait être traduite de manière morale pourrait signifier une préférence pour les femmes ou une domination de leur part, ou encore une forme de misandrie envers les hommes.
Le patrimoine des hommes calculé avec les caractéristiques sur le marché du travail des femmes serait ainsi très inférieur à leur patrimoine observé. (p11) (de même pour les diplôme ou l’âge)
Le fait que cet effet inexpliqué soit négatif à tous les points de la distribution signifie que les femmes disposent d’un patrimoine plus élevé que les hommes à caractéristiques données (p12)
Rappelons que tous nos journalistes grassement payés, en tous cas beaucoup plus que moi, en sont arrivés à la conclusion inverse.
Une méthode plus juste.
Serait de collaborer avec les notaires sur des cas réels de succession anonymisés. Le panel sélectionné pourrait être presque parfait, les résultats seraient extrêmement fiables puisque réels. Et on pourrait constater objectivement, qui des hommes ou des femmes finissent leur vie avec plus de patrimoine, en y intégrant bien entendu, les legs qui auraient été faits avant de mourir… A n’en pas douter, en plus de souligner combien notre société est favorable aux femmes, on constaterait qu’avec moins de revenus, elles finissent leur vie avec plus de capital que les hommes, notamment par le simple fait que mourir quelques années après leur mari les avantage de manière décisive puisque dans nombre de cas, elles bénéficient d’une disposition « dernier vivant » et du relatif attachement de leurs enfants.
Intégrer des chiffres globaux : puisque les auteurs ont la prétention de comparer hommes et femmes, pourquoi veulent-ils le faire individuellement ? Pourquoi ne pas regarder comment les femmes arrivent à mieux se débrouiller collectivement pour bénéficier d’un patrimoine d’usage supplémentaire aux hommes ? En effet, si on prend les hommes dans leur ensemble et les femmes dans leur ensemble, il est à penser que les résultats seraient bien plus en faveur des femmes, puisque, même s’il y a plus d’hommes qui naissent, ils finissent par être beaucoup moins nombreux dans des tranches d’âge qui possèdent le plus de capital, d’où un effet masse en faveur des femmes, et une possibilité d’user d’une forme de domination matriarcale par le pouvoir de l’argent, des lois et des coutumes.
Il reste une question à laquelle je n’ai pas vraiment réfléchie mais d’un autre côté, ce n’est pas mon travail. Il faudrait trouver un moyen d’évaluer objectivement les différences hommes-femmes au cours d’une vie. Certainement, comme avec les successions, il doit exister une méthode d’évaluation fiable qui n’utiliserait pas ces enquêtes déclaratives pour lesquelles j’ai la plus grande suspicion lorsque l’étude concerne un domaine où le citoyen lambda évalue mal, ou a des réticences à expliquer sa situation objective (3).
1 « Quels facteurs pour expliquer les différences de patrimoine entre hommes et femmes », Insee 2014, Carole Bonnet , Alice Keogh , Benoît Rapoport.
2 « Pourquoi les femmes ont moins de patrimoine que les hommes », figaro du 18/12/2014.
3 « Les résultats truqués des violences faites aux femmes : du constaté au fantasmé », Aimeles du 04/07/2013
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