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(Roman : La grande libération #10) La danse du feu

« Eh bien, nos 10 patriarcaux ont été réunis dans un même appartement pour cette émission exceptionnelle qui marquera les annales ! Vous, mon cher public, vous êtes venu pour les soutenir dans leur mission : devenir de meilleurs hommes. Car vous le savez, la ruche n’est pas là pour écraser la gente masculine. Non, non, elle sait trop bien à quel point elle a besoin des hommes. Moi-même n’en suis-je pas un ? Mais ceux-là ont une mission particulière à accomplir. Ils ont fauté, ils sont la lie de notre société, vous allez le découvrir,  et pourtant, un désir est né en eux. Un désir fort de progresser. Et nous sommes là pour les accompagner sur ce chemin. Pour savoir s’ils sont prêts à tout pour devenir meilleurs, nous allons leur fire passer des épreuves de sélection. L’or doit être purifié ! Ils vont subir 10 épreuves. Et s’ils les réussissent, ce sera autant de jours de prison qui leur sera enlevés. Voilà pourquoi nous avons nommé cette nouvelle émission, « les 10 travaux du patriarcal ». Nous nous rappelons que notre noble ancêtre, Hercule, a dû se dépasser pour acquérir l’immortalité. Nos 10 patriarcaux seront-il de cette trempe ? Vont-ils nous faire rêver pour devenir des hommes déconstruits, des hommes promptes à vivre auprès d’une femme de la ruche, des hommes comme nous n’en avons jamais vus !!!!!!! »

Le présentateur s’était emporté, mais l’immense foule s’était mise à l’acclamer, alors il continua de plus belle :

« Vous le comprendrez, il n’y aurait pas d’intérêt pour eux, pour nous, à voir leurs efforts s’ils n’étaient pas récompensés. Alors la ruche a mis la barre très haut. Pour nous prouver, pour vous prouver sa bonne foi et l’espérance qu’elle place en chacun de ceux-là, des réductions de peines de prison ont été décidées d’un commun accord avec le ministère de la justice. Mais attention, il faudra d’abord prouver que la réinsertion est là, qu’elle est déjà acquise, et que ces patriarcaux pourront de nouveau fréquenter des femmes, sans qu’ils ne soient des dangers pour elles. Pour le moins motivé, celui qui échouera le premier, il n’y aura pas de prison en moins. Pour le second : 1 mois de prison en moins ! Puis comme avec vos impôts sur le revenu, le dégrèvement augmentera ! Mais pour le gagnant, ce ne sera pas 1 année, ni même 5 ou 10, qui lui seront ôtées, mais une amnistie totale. Oui, je dis bien totale ! »

La foule s’était mise à hurler de toutes ses forces. Cette fois, le présentateur intervint pour calmer ses hardeurs. Il reprit la parole pour l’obliger :

« Vous savez ce que ces 10 énergumènes ont commis ? »

« Non » répondit la foule en délire.

« Vous voulez que je vous le dise ? »

« Oui » reprit-elle avec plus de force.

« Numéro 1 avancez. »

Tout avait été prévu dans la mise en scène. Les 10 criminels étaient habillés pour rappeler à chaque téléspectateur les circonstances de leur crime. Une musique nerveuse résonnait dans l’immense arène. Les éclairages rappelaient l’épouvante et l’extraordinaire. Des scènes hologrammiques faisaient revivre les lieux du crime. Un maquillage de circonstance accentuait les traits durs et masculins de leurs visages. Plein la tête, plein les yeux. Du jamais vu, ce qui avait réjoui par avance, le scénariste de cette pièce de théâtre, Luc Fréminot. Enfin allait-il marquer les esprits, plus encore : son époque. La ruche se souviendrait de génération en génération comment il avait éradiqué le mal.

Numéro 1 avança donc et puis tout s’éteint. Une lumière unique resta braquée sur lui. Le présentateur reprit :

_ « Numéro 1 vous retrouverez le droit de porter un nom quand vous sortirez de prison. Jusque là, vous resterez un numéro. Ce soir et avec votre accord, je vais dévoiler l’odieux crime que vous avez perpétré contre une femme, contre toutes les femmes. Cher public, cet homme que vous voyez et qui n’a pas l’air bien méchant, a osé menacer une femme qu’il ne connaissait pas, dans la rue ! »

Et ce ne furent que d’immenses cris sauvages contre lui. Numéro 1 pleurait presque même s’il essayait de se contenir, car il se sentait coupable. Il ne s’en était pas vraiment remis. Toute cette foule, c’était trop pour lui. Et quand cette dernière vit qu’elle pouvait le faire craquer, elle redoubla de haine et d’admonestations. Alors numéro 1 craqua et pour éviter que la foule ne soit prise d’un mouvement de compassion à son égard, ou d’un mouvement de violence, le présentateur reprit habilement la main.

« Passons maintenant à numéro 2 »

Les lumières s’éteignirent avant que numéro 2 n’apparaisse sous les hourras et les cris du public. Nouvel homme, nouvelle mise en scène.

« Numéro 2, vous êtes devant nous pour avoir touché la main d’une femme qui n’y avait pas consenti. Regrettez-vous votre geste ? »

Mais numéro 2 n’eut pas le temps de répondre, que les huées du public avaient envahi l’espace. Le présentateur menait le spectacle de main de maître.

« Je crois l’avoir entendu répondre « oui » ! »

Et tous y passèrent à la suite comme au peloton d’exécution :

« Numéro 3, vous avez harcelé une femme en lui envoyant plus de 3 messages à la suite alors qu’ils étaient restés sans réponse ! »

« Numéro 4, vous avez terrorisé une femme en la regardant dans les yeux avec insistance ! »

« Numéro 5, vous avez écarté les jambes en public, désirant ainsi montrer votre pouvoir de patriarcal. »

« Numéro 6, vous avez dénigré une femme devant vos enfants ! »

« Numéro 7, vous avez forcé vos enfants à travailler ! »

« Numéro 8, vous avez dessiné une femme sans son consentement. »

« Numéro 9, vous avez tenté se séduire une femme. »

« Et enfin, j’ai gardé le meilleur de tous pour la fin, celui que vous attendez tous et que vous connaissez même par son prénom tant il est célèbre. Ce soir, je vais vous demander de ne pas le nommer. Lui-aussi, lui surtout, doit faire ses preuves. Numéro 10, avancez vers nous. »

Alors Donald marcha jusqu’à l’avant scène d’un air presque détendu. Cette humiliation, il la trouvait toute relative depuis son passage en prison. Et même, un sentiment étrange de fierté était né en lui. Fier de quoi au juste, lui qui avait commis le plus horrible des crimes, attenter au physique d’une femme ? Il ne savait pas. Et pourtant, toutes ces lumières réveillaient chez lui un instinct assoupi depuis longtemps.

« Nous n’extirperons jamais la mal patriarcal de notre société si nous n’arrivons pas à convertir celui-là. Celui-là qui a osé. Celui-là qui a fait plus que toucher, plus qu’attenter à la pudeur d’une femme, plus que de la déranger, celui-là qui a voulu la tuer. Oui, je dis bien la tuer. Numéro 10, vous êtes ici parce que vous avez mis une gifle à une femme, oui je dis bien une gifle à une femme. Où vous seriez-vous arrêté si le voisin n’était pas intervenu ? Dîtes-le moi. Nous qui dans la ruche, luttons chaque jour pour extirper le mal patriarcal, nous qui connaissons l’histoire de l’oppression des femmes, nous qui savons combien les progrès ont été difficiles, vous avez piétiné tout ce travail, vous l’avez remis en question d’une seule gifle. Est-ce le backclash que vous espériez ? Croyiez vous que nous allions revenir aux temps préhistoriques où les femmes étaient traînées par les cheveux dans la fange du désespoir. »

Et la foule s’était mise à rire.

« Numéro 10 répondez ! »

Il n’y avait rien à répondre mais Donald ne voulait pas aggraver son cas, alors il dit ce qu’on attendait de lui :

« Je suis là pour expier mes fautes. Je vous demande pardon à toutes et à tous. Je vais donner mon maximum pour vous convaincre qu’un homme, malgré ses défauts, ça peut changer. Je n’aurai jamais dû. Je m’excuse. »

Ainsi Donald conquit-il le coeur du public, mais pas son désir de rage.

« Que voilà de bonnes paroles, que nous attendions. Pour l’instant numéro 10, je dois vous le dire, vous êtes à la hauteur de nos attentes. Nous espérons que cela dure. Autant pour vous, que pour nous. Voilà, désormais que tous les candidats ont été présentés, ils vont rejoindre la grotte. Ainsi avons-nous appelé l’endroit où ces patriarcaux arriérés resteraient et subiraient les épreuves, jusqu’à la libération. Ce jour là, les sauvages sortiront de la grotte pour revêtir l’habit de l’humanité, celui de leur rédemption, et laissez-moi être un peu philosophe, peut-être endosseront-ils aussi l’habit de notre propre rédemption. Nous accueillerons, le gagnant bien entendu, mais aussi tous les perdants, tous les exclus pour une grande fête de la ruche. Je vous promets un moment mémorable que vous n’êtes pas prêt d’oublier. En attendant cher public, restez attentif. Vous le savez, nos patriarcaux seront détenus sous votre œil attentif, des centaines de caméras ont été logées à tous les endroits possibles et imaginables. Et ces caméras, ont un rôle à jouer. Le premier d’entre vous qui appellera pour constater une infraction aux règles de la grotte, ou plus simplement, aux règles de la ruche, celui-là obtiendra des droits à circuler qui pourront s’élever jusqu’à 1000 kilomètres ! Vous entendez bien, 1000 kms de liberté pour aller où vous voudrez ! N’est-ce pas que la ruche est généreuse ? N’est-ce pas qu’elle pense à vous ? N’est-ce pas qu’elle veut votre bien ! Cher public, je vois votre excitation monter, et nous ne pouvions pas nous quitter comme cela ce soir. Nous le savions, alors nous avons préparé pour vous une petite surprise, une épreuve. Oui, vous avez bien entendu. Une épreuve qui va vous ravir. Un apéritif en quelque sorte. »

La musique nerveuse du début était revenue, et le présentateur s’était mis à parcourir la foule grâce à son équipement de sustentation. Pendant qu’il courait au-dessus des têtes, il encourageait chacun et chacune à crier aux sons de la musique, à lever les mains, provoquant sur son passage une vague humaine. Tous étaient-ils en communion, serrés les uns contre les autres, ignorant les corps mâles et femelles, dans un délire hormonal dont la ruche avait le secret. La folie battait son plein quand il regagna la scène. Là, la musique stoppa brutalement. Et le public se tût. Tel un magicien, le présentateur resta devant le grand rideau qui empêchait de voir ce qu’il y avait derrière. Il leva le bras comme pour lui ordonner de se lever, et celui-ci sembla répondre à ses attentes. Devant le public, les 10 patriarcaux debout, alignés les uns à côté des autres, semblaient attendre de manière anxieuse, la suite.

« Ces patriarcaux, ces terribles hommes, ces brutaux, ces arracheurs de femmes, ce soir, la ruche a décidé de les faire danser. Sous leurs pieds, vous voyez des charbons, qui pour l’instant sont éteints. Mais quand vous entendrez de nouveau la musique, alors les charbons monteront instantanément en température. Miracle de la technologie. Et alors, vous les verrez danser ces patriarcaux. Ils devront danser jusqu’à ce que le premier craque et sorte du cercle qui lui a été attribué. Celui-là qui n’aura pas su résister, qui n’aura pas su contenir ses pulsions de patriarcal, et qui quittera son doux foyer, celui-là dis-je, sera automatiquement, prestement, et immédiatement renvoyé en prison. Quant aux autres, ils auront gagné une épreuve de sursis, et quelques jours de prison en moins. C’est parti. »

Et le public se mit à crier. Mais le spectacle ne débutait pas. Absence de musique. Absence de feu. Les patriarcaux ne s’étaient mis à danser. Alors le public n’ayant rien à se mettre sous la dent, progressivement, fit silence. Quelques cris de désapprobation retentirent même lorsqu’une vieille chanson d’un autre millénaire parcouru les mégaphones.

« C’est la danse des canards qui en sortant de la mare se remuent le popotin et font coin coin… »

Le public éclata de rire, surtout lorsque les patriarcaux se mirent à sauter en l’air pour éviter la mortelle blessure du feu, alternant pied droit et pied gauche pour les refroidir alternativement. Tous voulaient rester sur leur instrument de torture et nombre d’entre eux s’étaient mis à suer à grosses gouttes, rouges, peut-être à cause de la chaleur, plus certainement à cause de l’angoisse. D’autres essayaient de donner le change en souriant, car ils voulaient ramener le public à eux. Connaissant la ruche, ils en auraient besoin par la suite. Cependant, le groupe des perdants se distinguait déjà des autres. Chez eux, ni honte, ni faux sourire ne les avait secoués, mais une irrémédiable terreur qu’ils ne pouvaient plus contenir. L’un s’était pissé dessus, l’autre avait chié dans son froc. La chaleur exaltait les odeurs que le public au premier rang pouvait sentir. Et leur regard qui déviait, cherchait une échappatoire qui ne se trouvait nulle part, la certitude de devoir retourner en prison et d’être brisé. La certitude de sa propre faiblesse de patriarcal. Pourtant l’épreuve dura. Pas autant que la chanson, mais elle dura, car malgré la faiblesse, l’instinct de survie parlait pour eux, même chez les plus faibles. Enfin, numéro 1 s’évanouit, et il fallu que l’équipe technique se précipite sur lui pour éviter qu’il ne meure brûlé par les flammes. Il en garderait des cicatrices à vie. Les autres sautèrent dans la bassine d’eau pour se refroidir les pieds. Et certains firent même du zèle à rester sur les charbons ardents. Les mêmes qui voulaient s’attirer les bonnes grâces du public. Mais Donald n’en était plus là. Les épreuves de sélection qu’il avait passées pour pouvoir se marier à Caroline, se rappelaient à lui. Il savait qu’il devrait ménager sa monture s’il voulait aller loin. Les fioritures étaient dangereuses.

Alors quand ses pieds furent entièrement refroidis, il sortit de la bassine, le rideau avait été baissé, il s’assit à terre et se sécha avec la serviette qui lui avait été tendue. Puis il se mit à regarder autour de lui. Derrière le rideau, il entendait le présentateur congédier les spectateurs et leur donner rendez-vous prochainement devant leur système hologrammique pour une expérience immersive des plus troublantes, au milieu des patriarcaux. Ses phrases résonnaient en arrière plan de sa propre vie. Elles n’étaient pas son centre d’attention principal. Ce sont les autres détenus qui rallumèrent son cerveau. Ils étaient tous très différents de lui, et très différents les uns des autres. Mais tous avaient une espèce de regard gentil. Etait-ce la raison de leur présence ici ? La gentillesse ? Peut-être la gentillesse était-elle un crime en certaines circonstances. Ou plutôt, peut-être poussait-elle au crime, puisqu’ils étaient vraiment coupables ? Peut-être que la gentillesse était le crime des crimes, celui que la ruche ne pouvait pardonner en aucun cas, et qui était l’apanage du patriarcal, source de sa violence ?

Absent de sa propre vie depuis qu’il avait été violé, Donald jugeait le monde avec une sorte de distance intérieure. Beaucoup d’indifférence, mais aussi une acuité qu’il n’avait jamais connue jusque là. Il était devenu perçant et la nature humaine ne lui était plus inconnue.

 

Chapitre 1 : Le mariage de Caroline

Chapitre 2 : Donald arrive chez Caroline

Chapitre 3 : La cérémonie de mariage

Chapitre 4 : La cuisine et le suicide

Chapitre 5 : la grand messe hologrammique

Chapitre 6 : Un papa parfait

Chapitre 7 : La scène

Chapitre 8 : Le patriarcal derrière les barreaux

Chapitre 9 : Le petit voyage de Donald en prison.

Léonidas Durandal

Antiféministe français, j'étudie les rapports hommes femmes à travers l'actualité et l'histoire de notre civilisation.

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Léonidas Durandal

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