(Roman) « La grande libération » #4 : la cuisine et le suicide

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Le monde s’enquit bizarrement de la blessure de Donald, surtout au travail, surtout les femmes. En rigolant, elles lui demandèrent s’il avait voulu jouer les guerriers en bricolant, comment ce pauvre chéri s’était fait mal, est-ce que ça faisait souffrir ?

D’habitude, quand il disait la vérité, Donald laissait septique son auditoire. Par contre avait-il remarqué que ses mensonges étaient très bien accueillis auprès de ces femmes. Qu’une explication devienne illogique et nombre d’entre elles s’empressaient de prendre ses dires pour paroles de ruche. Qu’au contraire, il veuille être sincère, et alors, son auditoire le jugeait durement, d’un oeil sévère, comme s’il avait commis la plus grande des fautes, comme si dire la vérité était devenu inconsciemment et chez tous, un péché. Seul un vrai personnel survivait dans les égofictions où l’intime s’était imposé, jusqu’à l’écoeurement en ce qui concernait les derniers rebelles de ce microcosme. Peut-être parce que l’intime n’a rien à voir avec la vérité.

Donald lui, ignorait encore les raisons de ce comportement. Il l’avait observé, et en profitait. Voilà tout. Du coup, cette branche d’arbre imaginaire qui faillit se planter dans son oeil et qu’il avait même eu de la chance, frappa les esprits. Ce récit combla les fantasmes de ses collègues, pour qui la nature était synonyme de danger. La fatalité avait voulu que Donald en réchappe. Les reines étaient avec lui… même s’il fallait faire attention !

Si Donald avait voulu plaire, sentiment banal à en juger par le comportement de ses collègues, il ignorait pourquoi son renoncement l’étouffait. N’était-il pas libre de dire la vérité ? S’il refusait la puce, qui diable avait autorité pour la lui remettre ou même le contredire sur le sujet ? Personne. Les représentantes de la ruche ne le répétaient-elles pas à satiété : “Les femmes et les hommes vivent libres et égaux dans notre belle et grande ruche amicale”. Et Donald en était convaincu, il aurait eu la possibilité de s’exprimer et de refuser la puce ouvertement. En parallèle, son instinct l’avait pourtant mis en garde et l’avait empêché d’agir ainsi. Comme si deux personnes coexistaient en lui, l’une ayant appris à appliquer les règles de la ruche de manière scrupuleuse. Et l’autre s’étant plantée un ciseau dans la tempe et le cachant, fulminant de ne pouvoir l’assumer aux yeux de tous, même face à sa Caroline, pour qui il avait inventé le mensonge du bouton gratté jusqu’au sang.

A ce jour, ces deux entités se supportaient l’une l’autre. Le Donald véridique avait même accueilli le Donald cachottier comme d’un soulagement, parce qu’il l’avait libéré de quelque poids qu’il n’était plus en peine de supporter. Et cette deuxième entité avait grandi jusqu’à gagner une autonomie de décision, les deux agissant encore en cohérence tout en respectant des règles de vie contradictoires.

Le bon Donald aimait Caroline. Il avait été éduqué à la chérir et à la servir jusqu’à ce que la mort l’emporte. Le Donald cachottier la trouvait directive. Le bon Donald s’émerveillait devant le fonctionnement de la ruche. Le Donald cachottier la jugeait menteuse. Car oui, il savait qu’elle mentait, et tout comme lui, tous ses collègues aussi le savaient, mais ce constat ne les empêchaient pas de la juger supérieure et de considérer ses erreurs à la marge, comme d’un mal nécessaire, ou comme d’une raison qui les dépassait tous. Lui Donald, s’était demandé si la ruche n’était pas que mensonge, si l’illusion ne vivait pas en eux, illusion entretenant cette immense machine.

_ “Tu rêves Donald ?”. Stéphanie avait besoin des foetus surnuméraires et Donald avait pris les échantillons avec tant de lenteur qu’elle s’était demandé s’il le faisait exprès.

_ “Tiens, te les voilà. Le code énergétique a été extrait. Sur les 2,5 billons de vibrations enregistrées, j’en ai détecté 800 milles qui pourraient faire l’affaire. Tu ne t’es jamais demandée ce qu’ils allaient devenir ?”

Le visage de Stéphanie se décomposa. Malgré toute sa science à feindre, elle n’avait pu s’empêcher de hausser le ton :

_ “Mais de quoi tu parles ?

_ Je me demandais ce qu’ils devenaient tous ces foetus, et puis d’ailleurs d’où ils viennent ?

_ Et ça t’es venu comme ça ?

_ Tu ne te poses jamais la question ?

_ A vrai dire non. Je ne vois pas très bien où tu veux en venir. La ruche a besoin des foetus pour le plus grand progrès de l’humanité. Nous faisons ce qui nous est demandé. Un point c’est tout. Et je ne vois pas ce qu’il y a à rajouter.

_ Ca me donnerait du courage de comprendre.

_ Donald, je t’aime bien mais il serait temps de grandir un peu. Cela ne te concerne pas, pas plus que moi d’ailleurs. Quelle drôle d’idée as-tu eu dans ton songe ! Comprendre, comprendre, la ruche n’est-elle pas là pour tout nous expliquer ! Nous sommes à notre poste et nous ne sommes pas au niveau d’intégration requis. T’immisçant dans le travail des autres, as-tu songé que tu les priverais de leur liberté et qu’un autre pourrait agir de la sorte à ton encontre ? Veux-tu priver d’argent celles qui sont payées pour ça ! Bénie soit la ruche de nous donner un travail qui corresponde à nos capacités, qui nous donne de l’argent, qui nous permette de vivre. Ton travail Donald, c’est d’identifier le nombre de vibrations exploitables sur ces embryons. En te posant des questions absurdes, tu dépasses le cadre de tes affectations et tu nous mets tous en danger.

_ Comme tu es dure…”

Stéphanie avait blanchi. Elle lui avait révélé toute l’ampleur de sa conviction en pure perte. Elle le savait pourtant. Il n’était qu’un enfant, un modèle d’homme comme les autres et qui ne comprendrait jamais rien aux nécessités de l’existence. Oui, elle, Stéphanie, était dure. Elle savait être dure car elle savait l’importance du travail et de la lutte quotidienne pour survivre et conquérir son autonomie au sein de la ruche. Elle était de la race des reines, sans conteste. Et elle avait bien l’ambition de grimper l’échelle hiérarchique peu à peu, ce qui lui demandait de ne surtout pas se poser les questions que Donald lui mettait sous le nez. Ceux qui voulaient ignorer l’existence de cette compétition, n’étaient que des imbéciles, naïfs certes, mais idiots aussi. La liberté et l’égalité, le vivre ensemble, il fallait y travailler avec acharnement pour préserver la ruche. Chacun à son poste constituait le maillon d’une immense chaîne. Que l’un s’arrête ou se mette à douter, et toute la chaîne était fragilisée. Stéphanie l’avait compris. Pas Donald. Constatant à quel point il était dépassé, elle avait repris avec beaucoup plus de douceur :

_ “Allez continuons, nous nous poserons des questions un peu plus tard.”

La sirène retentit alors dans tout le laboratoire. Stéphanie et Donald se précipitèrent à la fenêtre. En face d’eux, des milliers de laborantins s’étaient eux-aussi collés à la vitre. Les plus proches sur la droite interrogeaient Stéphanie avec des regards et des gestes désordonnés. Stéphanie mimait son ignorance. A 1 km en face, Stéphanie avait du mal à distinguer les expressions. Pourtant il lui semblait entrevoir des comportements également dubitatifs. Tout d’un coup à 300 m en contre-bas, elle crut distinguer un incident au niveau du train de fret. Celui qui passait au travers de la structure ovoïde de part en part pour livrer et acheminer les fournitures, était recouvert de sang au niveau du premier wagon. Voilà qui augurait d’une coupure dans le travail.

Si le flux était interrompu, impossible de continuer sans affecter les autres services, les surcharger et provoquer le désordre. Stéphanie et Donald rangèrent donc leur espace de travail, avec tout le soin et la propreté qu’on leur avait enseigné. Ils placèrent les foetus dans le congélateur, terminèrent les dernières analyses, puis mirent sous clefs le stock d’embryons avant de laver les sols et les plans de travail. Puis ils se rendirent dans l’espace réunion prévu à cet effet et où déjà, d’autres collègues affluaient. Avant l’arrivée des communicants, chacun eut bien le temps de s’enquérir auprès des autres de l’incident sans que personne ne fut très au fait. Une sorte de deuil qui ne disait pas son nom occupait l’espace. Tous se sentaient comme coupables d’un crime qu’ils n’avaient pas commis, sans qu’aucun ne puisse savoir duquel.

L’incident qu’ils espéraient et redoutaient secrètement venait d’avoir lieu, celui qui les sortirait de leur torpeur, de leurs petites vies étriquées. Sans le connaître, ils savaient avoir commis ce crime, d’avoir voulu l’arrêt de la ruche, de cette bonne vieille ruche qui les nourrissait tous. Jamais ils ne se le seraient avoué, jamais même auraient-ils osé s’opposer à la ruche, ou simplement exprimer une opinion en ce sens, mais un autre l’avait fait à leur place, un autre qu’ils avaient poussé au crime, collectivement.

Un des chefs de la section “ressources “humaines” prit le micro ¾ d’heures après l’arrivée de Stéphanie et de Donald. Le silence s’imposa de lui-même. Le ton de ce communicant fut des plus circonstancié qui soit :

_ “Comme vous l’avez entendu tout à l’heure, la sirène qui ordonne l’arrêt immédiat des opérations s’est enclenchée. Nous reprendrons le travail demain matin aux horaires fixés habituellement. En ce qui concerne l’incident, un homme aurait percuté la locomotive de fret.”

Une sorte de murmure grossit dans la salle de réunion. Le communicant habitué aux annonces de ce type, attendit que le ton baisse avant de reprendre :

_ “Nous ne connaissons pas les motivations de cette personne, mais une enquête minutieuse va être diligentée par la police de la ruche. En attendant, en tant que victimes, vous avez droit à un soutien psychologique qui sera pris en charge par la ruche. Nous en saurons plus dans les semaines à venir. Si vous avez des questions ?”

Après avoir laissé un temps d’introspection suffisant pour que chaque membre du personnel puisse s’interroger, le communicant vit une main volontaire se lever :

_ « Et l’enfant ? »

_ « L’enfant, mais de quoi diable parlez-vous ? »

_ « Il a été dit d’un petit enfant a été retrouvé avec l’homme, serré dans ses bras. »

_ « Et d’où tenez-vous cette information grotesque ? »

_ « Le service de la comptabilité aurait assisté à l’événement. »

_ « Bon, je note… »

Une main se leva. 

_ “Est-ce que cela a quelque chose à voir avec l’incident du mois dernier.

_ A priori, il n’y a aucun rapport. Mais nous ne le saurons vraiment qu’après enquête.”

Une autre personne voulut prendre la parole. D’un bref geste, le communicant l’autorisa à ce faire :

_ “Est-ce qu’il est mort ?

_ A priori, il n’est pas récupérable. Cependant, il a été pris en charge par l’hôpital de la ruche qui met tout en oeuvre pour le réanimer le cas échéant. Nous en saurons plus dans les jours à venir.”

Un quatrième individu leva la main :

_ “Est-ce que cet incident va remettre en cause les objectifs de rendement de la ruche ?

_ Il est évident que nous n’atteindrons pas la mesure qui nous avait été fixée. Cependant, au vu des circonstances exceptionnelles, la direction devrait négocier un abaissement du plafond afin que vous ne soyez pas désavantagés en termes de primes.”

Le principal ayant été abordé, la réunion fut levée. Le communicant prit la tangente en cachant sa mauvaise humeur et en se promettant d’intervenir auprès du service comptabilité. Quant à Donald, il put s’en retourner vers son foyer, l’esprit presque libre. Les incidents s’étaient accumulés ces derniers temps sans qu’ils ne changent rien au fonctionnement de la ruche. Bien entendu, il y avait toujours le petit frisson à l’annonce, pour ainsi dire, mais autrement, il s’y était habitué.

Puisque Donald était en avance, que les papiers de son ménage étaient en bon ordre, ainsi que leur maison, il s’autorisa à flâner. Au coin de la première rue, le dernier restaurant qui vendait de la viande organique dans Médicis, attira son attention. Il en avait entendu parlé lors de nombreux procès médiatiques, mais il n’avait jamais osé même vouloir y entrer, par peur de commettre quelque crime. Et puis durant sa formation, on lui avait appris que les humains étaient des animaux et que manger des animaux, c’était manger des êtres humains, qu’une telle barbarie était d’un autre âge désormais que la ruche avait généralisé la nourriture assemblée.

Cependant, il fallait le lui concéder, le restaurateur avait su présenter son affaire. Pour rassurer le client, les plats avaient été photographiés et exposés en vitrine. Et l’artiste n’y était pas allé de main morte pour magnifier les oeuvres du cuisto. Que du boeuf, puisque le reste avait été interdit, mais quelle luminosité sur les rouges, quelle mise en perspective du gras jauni et qui indiquait une viande d’exception maturée comme elle ne l’était plus sur aucune autre planète. De très légères bulles de lipide dans le jus mordoré glissaient le long de la chair rôtie et que l’on devinait persillée, venaient s’affaler sur l’assiette blanche et éclatante, sans toutefois imprégner les pommes de terre grillées au beurre sur le côté. Une noix de crème coulait délicieusement au sommet du chef d’oeuvre. Donald s’approcha et lu : “Steack frites”. Le steack frites, ça avait l’air bon. Il consulta son solde social. Caroline lui avait laissé juste de quoi se payer un tel plat. Et dans une grande inconscience, il se décida à faire le premier pas. Il poussa la porte d’entrée de ce restaurant désert à 17h30.

Le patron fut décontenancé par l’entrée de ce nouveau client. Il lui demanda s’il voulait un renseignement. Donald lui répondit qu’il voulait goûter le “steack frites”. Le patron saisit l’extrémité de sa moustache, prit un temps pour observer Donald d’un œil noir et accepta de le prendre malgré l’horaire insolite. Le steack frites, c’était facile à préparer, mais surtout, les clients ne courraient plus les rues ces temps-ci, à ce point qu’il songeait à fermer son établissement. Et comme si ça ne suffisait pas, y-avait-il la pression de tous ces nouveaux fanatiques qui ne comprenaient rien à son monde. La vitrine était régulièrement taguée avec une croix gammée. Il devait nettoyer et nettoyer et nettoyer à nouveau, prenant sur lui puisque la ruche le laissait seul à son dénuement.

Donc, malgré les règles strictes qu’il s’était donné, et le niveau d’exigence qui était le sien à vouloir fournir de la qualité à ses clients, notamment en termes de réception, sa précarité économique actuelle l’obligeait à répondre favorablement à l’incongruité de son hôte, en prenant la lubie de Donald au sérieux. Faisant contre mauvaise fortune, bon coeur, il lui sortit même le grand jeu en lui donnant la meilleure table, où trônait un vrai bouquet de fleurs des temps anciens, au centre d’un décor hologrammique de bord de rivière jouxtant une guinguette de bois et de broc. Comme pour la vente de viande organique, le patron avait réussi à obtenir une dérogation l’autorisant à exposer des fleurs coupées, ce qui ne se faisait plus depuis au moins une génération.

Professionnel jusqu’au bout, notre tenancier testa Donald pour savoir s’il désirait la conversation. Mais Donald répondit maussadement à son “Vous êtes sorti du travail en avance !”. De ce fait, il se concentra sur ses préparatifs, entrebâilla la porte de sa cuisine pour en atténuer les bruits et laissa Donald à ses pensées.

Ce dernier ne comprenait pas pourquoi le plat mettait tant de temps à être préparé. Il y avait au moins 5 minutes qu’il attendait et toujours pas de nourriture ! Presque inquiet de la disparition du patron, il alla toquer à la porte du chef :

_ “Ca va, vous n’avez pas de soucis ?”

Le chef laissa deux secondes ses ustensiles et vint lui répondre :

_ “C’est la première fois que vous venez dans un restaurant à l’ancienne ?

_ Je dois vous avouer… oui.

_ Alors ne vous inquiétez pas, c’est normal. La nourriture est préparée par mes soins. Il n’y a pas de miamboum ici. Mais vous n’attendrez pas bien longtemps, je vous en prie.

_ D’accord, excusez-moi, je n’avais pas compris.”

Donald n’en revenait pas. 5 minutes, quel toupet tout de même. Il savait maintenant pourquoi les gens fuyaient ce genre de restaurant. N’avait-on pas idée de faire attendre les clients aussi longtemps. Après 10 minutes supplémentaires, il était prêt à s’enfuir sans demander son reste quand le patron arriva avec son assiette, blanche comme sur la photo, juteuse aussi, mais laissant transparaître ce qu’il appelait “deux ilôts de civilisation”, l’un constitué d’une masse ambre et l’autre sang. Donald en oublia les douleurs de l’enfantement et l’odeur le délivra de sa mauvaise humeur.

Pendant quelques secondes, il resta stupéfait devant le plat, tandis qu’à quelques mètres de lui, le chef riait dans sa moustache. Ce n’était pas tant le visuel qui l’émerveillait, bien que… certes, le miamboom réussissait à recomposer des plats grandioses mais leur perfection même parlait contre eux. Jamais une aspérité, jamais une molécule ne dépassait l’autre. Le mode “aléatoire” restait sec. Ici, la caramélisation grillagée de la viande délimitait les contours d’une rocheuse magnifiée par le temps, et le rouge rebondissait comme le bout des seins d’une femme généreuse. Et que dire des pommes de terre alors que chacune d’entre elles avait une couleur différente à cause de la cuisson au beurre !

Cependant, voilà des considérations qui s’effaçaient devant l’odeur. Etrange pour Donald qui n’avait jamais mangé de viande si ce n’est des morceaux artificiels reconstitués par le miamboom. Il aurait dû détester. Rien dans son éducation ne le portait à pouvoir apprécier un tel plat. Pourtant, avant même d’en manger, il sut qu’il en raffolerait. Ainsi avait-il conscience d’entrer dans un monde plus large. Ses narines dilatées le prévinrent. Quand son couteau, qui n’était pas électronique, il faut le préciser, eût tranché la viande en lui demandant un effort proportionné, et qu’il eût gobé, puis mastiqué ce qu’on lui disait être un humain, il éprouva une sorte de contentement sorti du fond des âges, irrationnel et révélateur, comme s’il se fut reconnecté, l’espace d’un instant, à sa nature profonde. Il dévora le reste du plat comme dans un rêve. Et à la fin, encore plus étrange, il connut la satiété, non pas celle du miamboom qui calculait à la calorie près, la nourriture dont vous aviez besoin et le temps que vous deviez prendre pour avaler votre repas afin qu’il vous profite physiologiquement, mais une satiété d’homme content et serein parce que la viande l’a sécurisé, parce que l’odeur l’a élevé, et que la chair de l’animal lui a révélé l’existence de sa langue. Dieu aurait aimé se dit-il, s’il avait existé ailleurs que dans l’esprit de ces anciens barbares patriarcaux.

Comme d’une pelote de laine que l’on dénoue, Donald voulut en savoir plus :

_ “Cet animal a dû souffrir…

_ Il a vécu plus heureux que vous.

_ Plus heureux que moi… qu’est-ce que vous voulez dire…

_ Rien du tout.

_ Parlez-moi de la vie de cette bête.

_ Elle a connu une vie paisible, dans un pré plein d’herbe et bordé d’arbres, non loin d’une rivière, la même que vous voyez en hologramme. Des hommes l’ont aimée et elle a aimé les hommes qui se sont occupé d’elle.

_ Et pour toute récompense, ils l’ont tuée.

_ Vous aurez beau y faire, vous n’empêcherez pas les bêtes de mourir, ni les hommes. D’ailleurs, qui tue quoi, et qui tue qui ? A cause de la nouvelle idéologie, ces animaux ont quasiment disparu. A force de vouloir nous empêcher de mourir, nous avons répandu la mort. D’une autre manière. »

Puis énervé sur les bords, excité plus certainement, le chef s’emporta :

_ « Je vous le dis, malgré toutes ces rumeurs, nous avions trouvé un bon compromis avec les bêtes. Voilà la vraie histoire. Dans les premiers temps, nous avons tué leurs nobles ancêtres au hasard, bêtes qui restaient sauvages et subissaient les affres de la nature, tout comme nous. Par la suite, nous les avons sorties de l’esclavage pour leur offrir de bonnes conditions de vie, paisibles, à l’image de celles qu’elles nous permettaient de vivre. Oui, nous les avons tuées pour notre propre compte mais pas par barbarie. Au contraire, par amour. Plus elles étaient heureuses, plus elles avaient bon goût, et plus elles avaient bon goût, plus l’humanité prospérait. Et il en fut ainsi pendant bien des siècles avant, avant… ce que vous savez. Dire que nous avons esclavagé les bêtes, c’est dire que la nature les a esclavagées, mais en pire. Oui, nous avons offensé la nature en les soustrayant à une mort à laquelle elle les destinait, mais pour leur offrir une vie meilleure. Ce fut pour notre propre compte. Je n’y vois pas un péché. Elles n’en auraient pas échappé pour autant à la mort. Elles n’auraient même pas vécu. Et de toutes les manières, il y a du bon dans la mort, beaucoup de bon. Mais voilà que je m’emporte…

_ Non, vous ne m’embêtez pas, je suis juste un peu… surpris. Et en plus, je dois partir.

_ A bientôt peut-être.

_ Au revoir.”

Donald était comme KO debout. Tout se mélangeait dans sa tête, surtout la nourriture qui l’avait transformé, plus que les mots du chef. Les vaches et leur cornes qu’il imaginait le long de la rivière… Seul un tag sur un mur put le sortir de son ébriété. En rouge, il y avait inscrit : “Elles vous mangent !”. “Qui mange qui ?” se dit Donald en reprenant sa route.

A la maison, Caroline l’attendait. Elle était en période de cycle ovarien favorable et programma une fécondation. Bizarrement, Donald y prit goût. La viande, les frittes, avaient excité ses appétits. Sa femme le sentit, tout comme elle sentit une odeur particulière sur lui. Après l’acte, elle lui demanda comment ça s’était passé au boulot. Il reprit dans les grandes lignes le fil de sa journée, omettant toutefois de lui parler du restaurant. Elle en déduit qu’il aurait dû arriver plus tôt et lui demanda pourquoi tel n’était pas le cas. Le Donald cachottier prit alors le relais et lui affirma qu’il avait voulu se délasser au parc, qu’il avait rencontré un homme étrange qui lui avait dit des choses bizarres. Caroline voulut savoir lesquelles et Donald lui répondit ainsi, car dans un bon mensonge, il faut toujours un peu de vérité :

_ “Il s’imaginait que les bêtes et les hommes pouvaient vivre ensemble, et qu’il était normal de manger des bêtes.

_ Encore un dinguo de la vieille époque. »

Donald acquiesça. Il replia le bras sur Caroline comme la ruche le lui avait conseillé après la fécondation, et ils allumèrent l’écran d’information.

 

Chapitre 1 : Le mariage de Caroline

Chapitre 2 : Donald arrive chez Caroline

Chapitre 3 : La cérémonie de mariage

2 réponses à “(Roman) « La grande libération » #4 : la cuisine et le suicide”


  1. Avatar de Cyrus
    Cyrus

    Bonjour M. Durandal,

    De quoi se réjouir : Elle EXIGE d'être mise à la KOUIZINE – YouTube

    La place de la femme c'est à la KOUIZINE – Vidéo originale – YouTube

    À 2:09:50, c'est l'explosion.

    Et puis, il y a ça : Tu as moins de tentation parceque tu es laid(e) 😂😂 Sois humble ! – YouTube

    Les Africains sont des humoristes nés. 

    C'est un spectacle de drôlerie intense. 

    On croirait du Dieudonné imitant ses '' frères '' africains. 

    Cordialement,

    Cyrus


    1. Avatar de Léonidas Durandal

      Bonjour M Cyrus,

      Super les vidéos. Celle de la tentation, j’en ai déjà fait un coub. Pour l’autre, ça ne saurait tarder.

      Cordialement.

      M.D


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