Je crois que nos médias français attendaient cela depuis longtemps. Quand c’est arrivé, ils ont cru tenir le bon pigeon avec Serge Charnay. Enfin un homme allait relayer la cause de pères à un niveau national. Il allait faire contre-poids à ce que le moins claire-voyant des observateurs aurait pu juger comme d’un désert. Elle est immense cette faiblesse des hommes dans nos sociétés. Même les féministes ont toutes les peines du monde à maintenir leur mythologie de la domination patriarcale, à cause du refus des pères de combattre. Beaucoup de gens sentent que ce n’est pas bon toute cette colère enfouie, qu’il lui faudrait une expression politique, une bouche pour s’épancher. Car ce désert du silence, en plus d’être un grand signe de manque d’amour des hommes pour ce monde, alimente la haine féministe. L’enfant à qui l’on autorise tous les abus, n’arrête pas. Il persiste et devient fou.
Et tandis que les hommes s’obstinent à faire advenir la régression matriarcale, la société veut s’imaginer qu’il existe encore un peu de force de par chez nous, juste pour ne pas sombrer entièrement dans la maladie. Car si rien ne peut arrêter cette machine à détruire notre civilisation, peut-être les pères oppressés le pourraient-ils, eux qui en ont été les principales victimes ? Oui, si les pères montraient enfin de la force, la société pourrait se dire que tout n’est pas perdu, qu’elle possède encore un peu de vie en elle, de quoi rebondir après un petit affrontement.
Ainsi, phénomène pour le moins étrange, des journalistes viennent au pied d’une grue pour attendre qu’un homme en descende. Il n’a tué personne, il n’a pas d’otages, il ne travaille pas là-haut, il ne veut pas attenter à sa vie et pourtant, ils font venir leurs caméras. Ils procèdent aux interviews des proches. Puis ils attendent impatiemment que le père bafoué délivre son message romantique. Et plus le temps passe, plus le fantasme grossit, plus son silence prend valeur de révélation. Intelligence, force, on va voir ce qu’on va voir. Serge Charnay va vous montrer ce que c’est qu’un père et ce qu’il a à dire. Et il va falloir que tout le monde l’entende, qu’un papa c’est beau, c’est fort, cela accomplit des actes poétiques et politiques sans commune mesure. On va enfin pouvoir dire qu’on fait une place aux pères dans notre société. Et reconnaître aussi en quoi la domination patriarcale existe …
Révélation.
D’un certain point de vue, la sortie de Serge Charnay a été une vraie révélation, même si ce n’était pas celle que les journalistes attendaient. Serge Charnay ne leur a pas offert de quoi alimenter le débat contradictoire qu’ils désiraient entre père et société. Il a été lui-même, simplement lui-même, à l’image des hommes de notre monde, brut de décoffrage, féministe malgré tout. Ainsi n’a-t-il pas combattu l’horreur de notre société, il l’a incarnée. Mais il ne lui a pas servi de caution non plus. Leur donnant la faiblesse en miroir et sa volonté de force pour toute incarnation, sa réponse a d’autant plus révulsé les journalistes présents, faut-il le rappeler, éminents représentants de cette société moderne. Pourtant au moment où ils rejetaient son propos, c’étaient bien notre faiblesse qu’ils abhorraient.
Pour bien vous faire saisir la complexité du problème, je veux reprendre la phrase extraordinaire que Serge Charnay a dite en descendant de la grue.
“Ces bonnes femmes qui nous gouvernent se foutent toujours de la gueule des papas. Elles pensent toujours qu’on sait pas changer la couche d’un gamin et s’en occuper”
Sans aucune ironie de ma part, je pense que cette phrase a été lumineuse, tellement directe qu’elle en était inaudible. Il a tout dit en la prononçant, et en premier lieu, que les pères étaient incapables de jouer le jeu médiatique auquel on prétendait les faire adhérer. Ce père qui était monté sur une grue, n’était pas un super héros comme on l’attendait, ou un digne représentant de la « domination patriarcale », mais le plus normal des citoyens, qui aurait voulu parler face aux caméras comme s’il avait été chez lui. On attendait de l’intelligence dans le combat de la part de Serge Charnay ou un discours mou et consensuel, on eut un homme Français moyen persuadé d’être en terrain conquis. On attendait de l’extraordinaire, un leader, un maître de la langue de bois, on s’est pris en pleine tronche une réaction de bon sens que nous aurions pu tous avoir dans une conversation intime. Et quelle réflexion que celle qui disait tout des hommes de notre monde. Pour l’oreille de celui qui a bien voulu entendre, chaque mot prononcé par Serge Charnay a pesé comme un révélateur de l’état de notre société et du fossé qui s’est creusé en son sein entre image féministe des rapports hommes femmes dans la famille, et sa réalité :
- – « Ces bonnes femmes » : terme péjoratif adressé à l’endroit de dames, soit le pire tabou social actuel. Quoi, des femmes seraient capables de faire le mal ! Ah non, pas de ça chez nous. Les femmes sont une espèce fragile à protéger, dont aucune parmi elle ne devrait être critiquée. Vous ne saviez pas cela Serge ?
- – « qui nous gouvernent » : comment cela, vous n’admettez pas que nous sommes dans un patriarcat et que seuls les hommes dirigent. Pour votre gouverne, si des femmes dirigent notre monde, c’est au service de la « domination patriarcale » même quand toute la politique familiale et judiciaire leur est spécialement dédiée.
- – « se foutent de la gueule » : langage du commun, doublement péjoratif et vulgaire. Les femmes, ces êtres délicats, ne « foutent » pas, et n’emploient pas le terme de « gueule ». Seuls les hommes sont capables de mettre de tels mots dans leur bouche.
- – « papas » : terme utilisé dans l’intime. Le papa en plein débat social, ça fait très homme-féministe. Or Serge, vous ne pouvez être féministe puisque vous contestez les droits des mères.
- – « elles pensent toujours » : sous-entendu qu’elles sont pleines de préjugés, puisqu’elles pensent « toujours » et qu’elles n’ont donc pas été capables d’évoluer dans le temps.
- – « qu’on ne sait pas changer la couche » : mépris pour le travail historique de la mère et/ou pire encore, volonté de s’approprier le travail de la mère, travail qu’on méprise et qu’on ne juge pas bien compliqué.
- – « gamin » : terme familier et péjoratif. Les hommes ont plus de distance avec leurs enfants. Ils les éduquent et parfois ils les rudoient un peu. Ils peuvent donc les appeler « gamins ». Mais cela n’a rien à voir avec le travail de maternage décrit juste avant. Ainsi dans cette fin de phrase, un homme qui croit pouvoir remplacer une femme parce qu’il juge que son travail est anecdotique, ne comprend pas en quoi il a une vision différente concernant l’éducation des enfants. Et il s’imagine qu’en tant qu’homme singeant une femme, il serait capable de faire aussi bien, ce travail qu’il vient pourtant de mépriser ouvertement. La totale.
- – « et s’en occuper » : comme si on « s’occupait » d’un « gamin », comme s’il ne s’agissait pas en premier lieu de lui donner l’amour différencié d’un père et d’une mère.
Le discours égalitaire dans la bouche de Serge Charnay.
On voit ici comment Serge Charnay n’est qu’un homme de notre époque et qu’il n’a même pas dû comprendre qu’il lui en soit fait reproche (1). Car, Serge Charnay en prononçant cette phrase a incarné l’idéal égalitaire féministe par bien des aspects :
- – Il a parlé d’égal à égal à des femmes.
- – Il a jugé que le rôle des hommes et des femmes étaient interchangeables.
- – Il a dit vouloir s’occuper des tâches domestiques et des enfants.
- – Il a montré toute sa fragilité d’homme.
- – Il a eu des expressions de prolétaire. Il ne pouvait donc se faire un représentant de la « domination patriarcale ».
Dès lors, comment comprendre que ces médias toujours à même de faire la promotion du féminisme, remplis de journalistes femmes de plus en plus acquis à la cause, n’aient pas voulu faire de Serge Charnay leur idole et que ce dernier ait jeté l’effroi parmi eux mais aussi parmi une grande partie de la population :
En vérité, l’image des femmes et de leurs aspirations véhiculées par le féminisme ne représentent absolument pas leurs désirs profonds. Les femmes et les féministes ne défendent pas des idées comme se l’imaginent de nombreux hommes, mais leurs intérêts, raison pour laquelle elles ne pouvaient adhérer aux propos de Serge Charnay. Voilà comment une femme « normalement constituée » a d’ailleurs pu ressentir sa phrase :
- – Cet homme est violent parce qu’il utilise une syntaxe violente. Il est donc dangereux pour moi. Il me met en insécurité.
- – Il méprise mon rôle de mère.
- – Il parle comme un ouvrier, ce n’est pas un dominant, ni un leader, ni un interlocuteur valable.
- – Il est faible parce qu’il ne connaît rien à la communication.
- – Il ne place pas les femmes au-dessus des hommes : c’est un ingrat.
Voici maintenant ce que la part féministe d’une femme a pu rajouter à cette analyse :
- – Un ouvrier comme représentant des pères, c’est une incohérence par rapport à mon idéologie de domination patriarcale. Plus qu’une incohérence, c’est peut-être un piège.
- – Il veut se servir de l’égalité pour rétablir la domination des hommes sur les femmes.
- – Il veut se servir des enfants pour imposer cette domination.
- – Il est certainement coupable de violences domestiques avec sa façon brutale de parler.
- – Il se fait plaindre en montant sur une grue : voilà le genre d’opération marketing qui me fait horreur.
En utilisant le cadre idéologique de chacun, on comprend bien le dialogue de fou qui s’est joué à cette occasion. Les féministes ont voulu plaquer leur cadre de domination patriarcale à un homme qui avait adhéré à l’idéologie féministe. La part féminine des féministes s’est effrayée de voir un homme les mépriser en tant que femme. Enfin, un homme croyant répondre aux attentes féministes de toute une société n’a fait que lui inspirer la terreur parce qu’il avait gardé une expression virile, et que notre monde féminisé déteste plus que tout la moindre expression de ce genre de sentiments qu’elle assimile à de la violence et à une forme d’insoumission dangereuse.
L’homme Serge Charnay contre le féministe Serge Charnay.
Chaque protagoniste de cette pièce de théâtre s’est donc enfoncé dans l’incompréhension. Les féministes et l’ex-compagne de Serge Charnay, l’ont dénoncé comme un homme violent. Les femmes non concernées l’ont méprisé… Le citoyen moyen s’est dit qu’il avait de sacrés efforts à entreprendre pour réussir à s’exprimer devant une caméra. Bien entendu, tous ces groupes auront majoritairement compris que Serge Charnay n’ayant que peu conscience des contradictions qui étaient les siennes et de celles de la société, acquiesçant au féminisme, mais parlant comme un homme, s’il n’était pas un danger dans le débat d’idées, serait par contre difficilement récupérable puisque idéologiquement, il se proposait de faire advenir le féminisme contre des intérêts féminins ! (alors que les femmes sont justement en train d’abandonner le féminisme pour continuer à pouvoir défendre leurs intérêts).
La faiblesse ayant cela de touchant, après sa bourde monumentale, les médias ont quand même voulu continuer à lui donner la parole et à en faire un représentant des pères. De son côté, Serge Charnay n’a pas abandonné son idéal. Il a enrobé son propos, et a parlé en tentant de gommer la moindre de ses aspérités langagières d’homme. Puis il a compris qu’il n’était pas fait pour ça. Il a repris l’action, revenant à sa nature première. Et pour avoir voulu aller jusqu’au bout de ses contradictions, il a volé psychologiquement en éclat, refusant de porter plus longtemps la croix qui était la sienne et l’injustice que lui et son fils vivaient. La société cherchait en lui un homme qui aurait réussi à transcender sa masculinité, elle n’a eu qu’un père déchiré intérieurement et qui réclamait justice. Certaines souffrances sont si grandes…
Le tort de Serge Charnay.
Au-delà de sa faiblesse, Serge Charnay a eu un tort terrible. Il a voulu croire en notre société, jusqu’au bout, malgré notre société. Il a cru que sa dulcinée « égalité » avait un sens. Et plutôt que de se remettre en question, lui et toute son éducation, il s’est armé de son courage et il est parti combattre comme un homme mais contre ses propres moulins à vent. Serge Charnay est un Don Quichotte de Nantes des temps modernes. Accompagné de son Sancho Panza (Nicola Moréno), il a pensé pouvoir abattre les géants de son impuissance en montant sur des grues. Il s’est dit qu’après sa mission accomplie, la justice traiterait peut-être les hommes de manière plus égalitaire. Tout au moins, il n’aurait pas à rougir de son sous-statut de père. Pour le calmer, la justice lui a fait entrevoir quelques châteaux en Espagne dans son dossier personnel. Il a couru entre deux chimères et il s’est immanquablement perdu. S’il se soumettait dans son dossier, il revoyait ses enfants en validant son statut de sous-citoyen et celui de tous les autres pères. S’il ne se soumettait pas, la justice pouvait arguer lui avoir fait une proposition honorable. Il était donc plus coincé qu’il ne l’imaginait.
L’insoumission pour réponse à l’injustice.
Le monde a changé, mais Serge Charnay ne l’a pas encore accepté. C’est aussi ce qui le rend beau. Oui, il a refusé de voir que les temps de chevalerie et des grands sentiments s’étaient éteints depuis longtemps. Les chevaliers au grand cœur sont raillés, ils ne vivent que dans les romans. Inacceptable pour un homme de sa trempe. Alors personne n’a pu l’en empêcher, et avec sa vieille rossinante, il est parti son fils au bras, cheveux au vent, loin, très loin, pour vivre enfin son rêve d’enfant. Il est allé aussi loin qu’il a pu, tellement loin qu’après, un juge ne peut pas imaginer. Durant quelques heures seulement, il a été libre, durant quelques heures pourtant, mais qu’il doit les savourer ces quelques heures en y repensant. Ces instants d’éternité, combien de pères donneraient toute leur persévérance pour avoir sur leur langue ce goût d’honneur retrouvé. Ce ne fut qu’un détail quand la gendarmerie l’a rattrapé et quand la porte de fer derrière lui s’est refermée. Toujours une partie de nous dira, contre toute logique et avec émoi : cours Serge, cours Serge et ne te retourne pas. Cours Serge, ils ne te rattraperont pas. Continues à croire en tes fadaises, tu échoueras, qu’importe, d’autres plus forts que toi le mèneront à terme ce combat.
Serge Charnay fait horreur et il fascine.
Serge Charnay fait horreur parce qu’il est pétri des contradictions de notre société. Il a pensé pouvoir conjuguer féminisme et masculinité, mais n’a pas réussi pas à se départir de sa carapace d’homme. Il fascine aussi parce que, objectivement dans l’erreur féministe et aussi dans celle de l’impatience, il a persisté à trouver une issue à sa lutte. Allant jusqu’au bout de cette logique, il a voulu faire sens sans avoir conscience qu’il ne pouvait affronter seul, un abîme de mal. Il est à l’image de cette espèce d’homme que notre société a produite en masse, indépendante, logique, productive, isolée, incapable de communiquer ou de se coaliser, pro-féministe. Qui pourrait lui en vouloir ? Nous avons tous été éduqués comme ça. Il se dit féministe, il se comporte en homme, sans le savoir. Baigné au sein d’un environnement féminin qui lui a appris à remplir un rôle de seconde mère, il n’a pas voulu lâcher le peu qui lui avait été légalement octroyé. Il n’a pas su comprendre en quoi le monde était en train de changer, combien d’un côté certaines femmes avaient décidé de la mort de toute forme de masculinité, et combien au contraire, d’autres voulaient aujourd’hui nous redonner un rôle plus différencié. Pris dans un étau idéologique où la notion d’égalité perdait tout sens, il n’a pas su trouver un chemin pour s’adapter rapidement à ces nouvelles demandes féminines qui précédemment, elles en ont fait le constat plus rapidement que nous, avaient échoué. Serge Charnay est l’exemple même de cette génération de pères qui a été sacrifiée à ce jeu. Il y a celle, majoritaire et qui s’est tue en courbant l’échine. Elle a survécu dans l’asservissement. Celle de Serge Charnay a joué le jeu féministe et s’est prise parfois les pieds dans le tapis, l’a eu mauvaise et a fait beaucoup plus de bruit. Espérons qu’une nouvelle génération d’hommes arrive, qui refusant l’indifférenciation ou le jeu de la différenciation orchestrée en sous-main par ces dames, saura endosser ses rôles d’époux et de père en gardant le plus de distance possible avec les exigences féminines de son entourage. Il en va de la pérennité de notre civilisation qui lorsque les femmes ne sont plus à leur place, gâche tout ce qu’elle touche. Espérons aussi que Serge comprenne qu’il n’y a pas d’autre chemin que celui du sacrifice et de la patience, car un monde de paix, n’est qu’un legs fait par amour à la génération suivante. Nous n’avons pas reçu notre part, mais c’est un détail : un père digne de ce nom doit pouvoir s’élever au-dessus de la perte de ses enfants.
1 « Papa divorcé, un an après Serge Charnay témoigne. », Huffington post du 16/02/2014
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