La plupart des théories économiques se basent dans leurs développements sur l’avidité des individus. Implicitement, elles supposent que nous orienterions notre consommation, nos investissements, notre épargne en fonction de l’intérêt monétaire que nous aurions à le faire. Mais cette règle connaît de nombreuses exceptions. Les élasticités prix des produits ne sont pas tous égales à 1, ce qui veut dire en gros qu’une augmentation du prix de 1 ne se traduit pas par une baisse de 1 de leur consommation. Le pétrole, par exemple, est un cas typique de consommable dont le prix peut être augmenté autant et autant sans que ses ventes ne baissent, enfin jusqu’à un certain point, nous l’avons découvert ces dernières années. A partir d’un moment, les gens finissent par s’organiser différemment, et se tourner vers d’autres comportements/produits de substitution. L’idée reste pourtant que l’individu minimise, dans une certaine mesure, ses dépenses, et choisit tel ou tel achat par avidité. Pourtant le manque d’élasticité de ce genre de produit ne peut s’expliquer uniquement par leur manque de substituabilité avec d’autres ou les efforts coûteux pour changer de comportement pour un individu. Une autre variable entre en jeu, une variable qui a bien été identifiée par le marketing : le désir.
Dans une société de survie, la question de l’élasticité ne joue pas. Les produits deviennent tous substituables entre eux, car il en dépend de la vie du groupe et de la société entière d’adopter les comportements rationnellement les plus efficients. Voilà d’ailleurs vers quoi des ultra-libéraux comme Gaspard Koenig cherchent à nous faire revenir : un monde simple où nous nous ajusterions de manière naturelle à notre nature d’homo economicus. Evidemment, ce monde, c’est aussi le nôtre. Tel que l’énonce la théologie catholique : nous devons vivre en correspondance avec la loi naturelle. Ce genre de théorie comporte donc des aspects très séduisants. Mais en même temps, en misant toujours sur notre animalité, notre avidité, il lui arrive d’être complètement à côté de la plaque. La vie d’un homme ne peut se résumer à ses aspects matériels, et des psychologues comme Maslow nous ont d’ailleurs avertis sur ce point : nous suivons des besoins de plus en plus élaborés qu’il serait plutôt convenable d’appeler désirs pour nombre de ceux-là. Pire, nous ne suivons pas un chemin linéaire en matière de désirs, et des hommes peuvent très bien vouloir satisfaire leurs « besoins » de spiritualité ou de reconnaissance sociale bien avant nos nombreuses aspirations matérielles.
Ainsi, dès que nous sortons d’une économie de survie, se pose la question de nos désirs. Ceux-là font économie et l’oriente selon la spiritualité que nous nous donnons. Et dans une économie moderne, vu le niveau de richesse que nous avons atteint, ces désirs devraient être au centre de nos équations. Pourtant si le champ du désir reste très étudié en matière de propagande, il l’est très peu en matière d’orientation économique. L’avidité semble avoir tué la spiritualité définitivement et nous ne l’intégrons plus dans nos calculs. Nous assimilons désir et avidité, et évacuons ces questions spirituelles compliquées et jugées inutiles. Or par un retour de bâton prévisible, là où notre spiritualité a créé les conditions propices à l’apparition d’une forte prospérité, notre manque de spiritualité est en train d’hypothéquer notre futur.
Pour les besoins de la démonstration, imaginons donc qu’au lieu d’avidité, les hommes soient mus par le sens de leur existence anthropologie et donc, leur capacité à désirer, espérer, aimer. Imaginons que les crises économiques que nous avons connues, n’aient jamais été, à aucun moment, des crises financières ou de survie (dans nos sociétés de surproduction).
Difficultés liées à l’opinion commune en matière d’histoire économique
Dans l’esprit des gens, la finance est souvent responsable des situations dramatiques sociales extrêmes que nos ancêtres ont vécues. La crise de 1929 serait une crise financière. La crise de 1973 et 1979 deux crises pétrolières. La crise de 2008, une crise des subprimes. Et pourtant, une analyse correcte de ces périodes de nos histoires montre qu’en 1929, plus qu’une crise boursière, la société de l’époque surproduisait des biens de consommation. Idem en 1973 et 1979, la crise pétrolière cacha un retournement réel de l’économie et dont les signes avant coureur auraient pu être identifiés au vu des dévaluations successives en France notamment. De suite, de nombreux pays occidentaux utilisèrent des politiques monétaires/budgétaires agressives qui permirent à leurs gouvernants de rester en place en se donnant l’apparence de la réussite auprès de leurs populations. Ce genre de dumping budgétaire fit entrer les pays européens dans une fuite en avant, les uns contre les autres, et fragilisa la monnaie des pays faibles comme la France. Pour beaucoup de ceux-là, l’euro apparu comme une porte de sortie prompte à leur permettre de continuer à emprunter dans de bonnes conditions sans être obligés de dévaluer. En 2008, commença le bouquet final budgétaire. Beaucoup de personnes politiques mis en face de la situation réelle de leur pays, firent exploser les taux endettements de leur nation pour conserver leur mainmise sur le pouvoir. Ils faillirent faire exploser l’Europe et rançonnèrent l’Allemagne qui en tant que pays le mieux géré profitait pleinement des fruits de l’union monétaire. Il fallut dévaluer l’euro par des choix de banque centrale de plus en plus permissifs. Les pays occidentaux faibles s’étaient tant et tant montés les uns contre les autres en augmentant leurs déficits publics et en jouant sur des liquidités de plus en plus douteuses, qu’ils en avait oublié leur économie réelle qui battait de l’aile. Enfin seulement certains d’entre eux, mais qui entraînèrent les autres parce que notre économie s’était globalisée. Aujourd’hui en 2016, le déni est si grand que les banques centrales en sont venues à rendre possible les emprunts à taux d’intérêts négatifs. Même Etienne Chouard n’aurait pas imaginé une solution aussi stupide. Certainement croient-ils réinventer l’économie. Pour ma part, je pense qu’il est urgent de sortir de ce cadre d’analyse reliant avidité et politiques monétaires/budgétaires et revenir à la racine de nos maux actuels : le désir.
L’endettement masque l’état dégradé de nos économies
Ces crises ne peuvent pas s’expliquer financièrement parlant. A partir du milieu des années 70, des monceaux de monnaie ont été injectés dans l’économie française, et pourtant son état n’a cessé de se dégrader (chômage, désindustrialisation…). Les déficits publics ont seulement permis de cacher notre affaiblissement structurel, tant et si bien que si nous devions les rembourser ou si nous devions mettre un terme à ce système, notre patrimoine national en France serait amputé automatiquement d’1/7ème de sa valeur (de mémoire, la valeur patrimoniale en France est équivalente à 7 fois le PIB alors que nous avons emprunté 1 fois la valeur de notre PIB). Ce chiffre grandit au fur et à mesure que l’endettement public augmente. Il peut paraître faible, mais son remboursement serait lourd de conséquences, entraînant une perte immédiate de valeur générale de nos actifs de 16,6%. L’annulation de la dette serait encore pire, puisqu’une partie de nos actifs nationaux perdrait de sa valeur, mais aussi ceux placés à l’international puisqu’en réaction, d’autres pays ne manqueraient pas d’annuler leur dette. A cela, il faudrait rajouter une perte de croissance d’au moins 4 points par an puisque cette dernière est financée à auteur de 4 %/PIB/an par des déficits publics.
En vérité, nous sommes déjà en récession depuis un bon bout de temps. La possibilité de faire exploser nos taux d’endettement nous a masqué cette situation. Nous entamons une fraction toujours plus importante de notre capital national pour éviter de voir la récession. Ce faisant nous nous empêchons d’apporter des solutions à des problèmes que nous faisons mine d’ignorer. Et nous détruisons la richesse passée accumulée, petit à petit.
L’insuffisance de la loi naturelle
Mettre fin à ce système d’entame du patrimoine national ne mettrait pas une fin à nos problèmes structurels. Nous passerions officiellement en récession, simplement. Les économistes néo-libéraux ont bien pris conscience du problème. Ils nous proposent d’éliminer les faibles en revenant à un état de nature, en jouant sur la matérialité de notre société. Pourtant à bien y réfléchir, si leurs solutions sont parfois acceptables, c’est bien une avidité sans borne qui nous a plongé dans la crise actuelle. Avidité des gouvernants qui ont voulu se faire réélire, avidité des citoyens qui les ont élus pour éviter toute remise en question sur leurs croyances, en particulier matérielles, avidité des financiers qui ont proposé des produits pour faire tourner cette immense machine, avidité allant jusqu’à l’illégalité. Ainsi, un retour à une loi plus naturelle et à son avidité, ne suffira pas à nous sortir de la crise présente. Il faudrait encore que nous retrouvions le désir d’acheter. Or il semble bien que le marketing ait atteint ses limites en la matière.
Une analyse historique économique basée sur le désir
Les crises passées peuvent s’expliquer par une baisse de désir, ou un désir désorienté. En 1929, l’industrie permet de produire des denrées alimentaires à foison. L’estomac d’un être humain étant limité, les prix agricoles finissent par baisser, puis par s’effondrer. Les consommateurs sont écoeurés de tant de nourriture ou de tant de produits manufacturés dont ils n’ont plus besoin. Le chômage se propage, les inégalités de revenus aussi, ainsi que la déflation dans beaucoup de pays. A cette époque le marketing échoue à susciter assez de désir pour écouler les capacités de production, et donc à renouveler ses gammes. Le désir de produire a lui aussi été perverti par une recherche de gain aveugle. Il semble avoir disparu.
Le désir va renaître grâce à la tutelle des états, grands travaux aux USA, programme d’industrialisation sous l’Allemagne hitlérienne pour ne citer qu’eux. Le désir du public va donc être réorienté grâce à l’intervention de la force publique vers l’édifice d’une société plus moderne, confortable et prospère. Ce désir sans frein d’expansion pour l’Allemagne provoquera aussi la seconde guerre mondial qui mettra un terme définitif à la crise du désir de 1929. En effet, à cette occasion, les Occidentaux se retrouveront dans une telle pénurie qu’ils se feront une joie de consommer après guerre sans se poser de questions. Enfin, les progrès dans les sciences appliquées seront tels que de nouveaux produits émergeront renouvelant sans cesse l’intérêt du consommateur. Cela ne se compliquera qu’à partir des années 70. Jusque là, l’incompétence totale des gouvernements n’aura pas été un frein à la croissance dans les pays d’économie libérale pour les raisons citées précédemment.
A partir des années 70, si tout le monde ou presque a une voiture, une télévision, de quoi manger, un téléphone, de quoi s’habiller, ou peut espérer le posséder bientôt, il ne reste plus grand-chose à conquérir. L’informatique, oui, les téléphones portables pourquoi pas, si ce n’est qu’ils concentrent le désir vers des activités destructrices d’emplois. En vérité, depuis cette période, le monde nous apparaît de plus en plus pour ce qu’il est : un monde matérialiste et du superflus qui perd de son sens au fur et à mesure qu’il comble nos attentes sans nous rendre heureux.
Cette baisse tendancielle du désir est un mouvement long. D’abord l’individu qui est comblé matériellement ne souhaite plus rien que de jouir. Si ses conditions matérielles d’existence s’améliorent, il ne voit pas sa vie d’humain progresser. Pire, il va même pouvoir constater que l’argent et l’individualisme détruisent ses ancrages sociaux. Ensuite, et avec d’autres, il va pouvoir prendre conscience des effets négatifs du progrès, sur l’environnement par exemple. Il faut plusieurs générations pour qu’une population comprenne que l’hygiénisme, au contraire de la propreté, coupe l’être humain de sa nature, que la quantité rime souvent avec médiocrité, que la pollution finit par se concentrer dans nos organismes, que la consommation ne fait pas le bonheur. Lorsqu’un individu l’a compris, il ne veut plus forcément la croissance et le travail qui va avec. Son désir baisse, et celui des ses compatriotes baissant d’autant, la crise s’installe. Sa dépression n’est plus uniquement psychologique.
Pour faire renaître ce désir, l’intervention de l’État telle qu’elle s’est pratiquée en 1929 n’est plus possible car il s’étend déjà au-delà des limites du raisonnable. Devenus impuissants parce qu’omnipotents, les gouvernants des années 70 ont donc recours à l’immigration et au surendettement. En ce qui concerne l’immigration, ils pensent que l’introduction d’êtres humains avides de consommer et de produire va résoudre la crise. Là encore, cela fonctionne durant un temps jusqu’à ce que le désir meure aussi chez ces gens là et surtout leurs descendants, démultipliant ainsi le problème. L’endettement stimule l’économie au détriment du patrimoine national en favorisant des investissements non rentables. Après avoir donné de l’argent « au petit bonheur la chance », et l’avoir fait supporté par le capital collectif, sur les générations futures diraient d’autres, nos gouvernants constatent leur incapacité à empêcher la dégringolade. Ils imaginent alors rémunérer les investisseurs pour stimuler l’économie. Ce faisant, ils permettent d’emprunter à des taux d’intérêt réels négatifs et cherchent ainsi à provoquer l’avidité des uns et des autres. Or cela ne fonctionne pas, car l’avidité n’est plus la question principale et ne suffit plus à entretenir le désir dans un monde riche.
Pour résumer
L’intervention étatique est devenue négative jusqu’à l’emprunt à des taux maintenant négatifs, et le recours à l’immigration n’est plus une solution alors qu’elle se pratique largement. Les politiques monétaires, simples jeux comptables de réajustement, sont incapables de résoudre cette baisse du désir. Mais par contre, nous sommes encore for heureusement encore dans une de ces crises de surproduction et non de sous-production. Nous avons donc les moyens de nous en sortir sans nous entre-tuer.
Faire renaître le désir
Le désir est mort chez nous, certes face à l’abondance de biens, mais surtout à cause de la perte de sens. L’être humain est spirituel par nature, il a besoin de placer sa croyance dans un Dieu probant. La croyance matérielle lui a fait abandonner sa famille, abandonner ses amis, sa paroisse, bien qu’au début, cela ait stimulé sa consommation. Désormais le voilà déstructuré, finissant seul ses jours, abandonné et prêt à se suicider. Car dans ce cadre moderne, il a bien conscience de coûter à la société plus qu’il ne rapporte au fur et à mesure des années. N’étant qu’un être matériel et sa matérialité disparaissant, il doit être éliminé. De même, les enfants deviennent un empêchement à l’avidité individuelle pour une personne dans la force de l’âge. Ils sont négligés, s’il reste des personnes pour en désirer. Or sans enfant, pas de société. Il faut donc avoir encore recours à l’immigration qui déstabilise toujours plus le corps social en introduisant des individus qui veulent peut-être travailler, mais qui ne sont pas forcément prêts à adhérer brutalement à un système de valeurs mortifère. Le serpent se mord la queue et le marketing n’y peut plus rien.
Le désir ne renaîtra pas sans homme
En féminisant la société de manière totalitaire, en la sexualisant à outrance, nous avons tué le désir. Nous avons permis que des règles immorales et personnelles s’installent. La femme pense à protéger son ventre pour pouvoir accoucher, il est difficile de lui demander de régler tous les problèmes sociaux en sus. Dans ce cas, les sentiments personnels et le contrôle autocratique prennent le dessus. Nous y sommes. Notre Etat n’a jamais autant voulu aider ses membres tout en les dirigeant dans leur intimité. Il a développé un remède anti-économique en son sein comme mode de fonctionnement : l’avidité maternelle. En vérité, notre monde n’aime plus le risque dont les hommes raffolent. Il n’aime plus les règles morales qui font le bonheur des peuples mais qui font horreur aux femmes malades et à leurs fils. Il voit dans le désir masculin, un abus, un danger, voire une perversion. La virilité est poursuivie. Pourtant sans elle, notre monde ne saura pas retrouver le chemin du désir. Il voudra sans pouvoir. Il fera sans aimer. La crise du désir qui est la nôtre est une crise d’érection. Nous avons gaspillé toutes nos énergies dans des désirs bêtes, sexualité et autres laisser-aller, il ne nous reste plus de forces du tout pour construire et désirer ardemment un monde meilleur.
La survie de notre monde en passera par une volonté spirituelle qui redonnera à l’homme sa place qui redonnera à la femme sa place qui redonnera à la nature sa place. Sinon, nous poursuivrons notre long suicide par étapes successives jusqu’à pourquoi pas, la survenance d’une crise de sous-production. L’avidité n’est pas le moteur de l’économie, elle en est son déséquilibre nécessaire et insuffisant. Elle doit être strictement encadrée par des impératifs moraux qui lui resteront à jamais supérieurs. Car ainsi naît la prospérité des nations. Les pays protestants l’illustrent bien, eux qui se sont développés plus que les autres en mêlant individualisme et règles morales plus strictes que chez les catholiques. Désormais que l’individualisme est en train d’emporter leur spiritualité, leurs sociétés se désagrègent en entraînant les autres dans le désordre tout comme elles les avaient poussées auparavant à croître.
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