Voici un témoignage anonyme que j’ai reçu dernièrement et que je publie car je crois qu’il a le mérite de donner un point de vue sur des milieux différents de ceux que la plupart des gens côtoient mais finalement qui convergent vers des analyses communes à celles que j’ai déjà faites.
Plus jeune, j’ai passé une période difficile. Catholique pratiquant, je cherchais un lieu qui pourrait m’aider. Je me disais que des hommes plus âgés pourraient me soutenir sur mon chemin personnel et je me suis naturellement tourné vers ce monastère dont on m’avait parlé.
Des femmes fréquentaient déjà le monastère. Elles n’étaient pas nombreuses. Je me disais : « ce sont des personnes en grande difficulté, ou des habituées de longue date minutieusement sélectionnées ». Il y avait un monastère de femmes juste à côté. Et je ne comprenais pas bien leur présence. Mais elles étaient très gentilles. Peu nombreuses, elles semblaient très flattées d’être accueillies ici. Elles étaient très polies avec les moines et les autres retraitants.
A cette époque l’hôtellerie n’était ouverte qu’aux hommes. Les quelques femmes qui fréquentaient le monastère étaient seulement celles qui avaient les moyens d’être hébergées à l’extérieur, ou qui habitaient à proximité. Elles venaient régulièrement à la messe des moines, fréquentaient la cours, la librairie. Elle s’étaient intégrées progressivement au fonctionnement du monastère.
Tout a évolué, très rapidement.
L’hôtellerie recevait de moins en moins d’hommes. Les moines se sont interrogés sur cette sous-utilisation. Ils ont eu naturellement l’idée d’ouvrir l’hôtellerie aux femmes présentes et aux autres. Les moines les fréquentaient depuis des années, elles ne posaient pas de problèmes, étaient plutôt sages, disciplinées. Ils les voyaient de manière très positive.
En plus du lieu de culte, l’hôtellerie s’est majoritairement féminisée. La présence des femmes s’est accompagnée d’une confusion progressive dans les lieux, puis d’une féminisation très majoritaire.
L’hôtellerie devenant largement ouverte aux femmes, les moines les ont accompagnées, de plus en plus. Les femmes sont très en attentes de repères. Aujourd’hui, elles comprennent beaucoup plus que les hommes l’intérêt d’être suivies, en particulier par un homme. Celui-là les soutient. Le moine homme remplace une image paternelle défaillante ou perdue. Le moine homme les fait progresser dans un lieu de relations sociales où elles sont très à l’aise. Elles posent les bonnes questions, lient des liens d’amitié très vite. Elles sont donc très agréables à accompagner.
Par contre, les hommes arrivent complètement détruits dans ces lieux, ne sachant pas s’exprimer. Ils manquent de mots, de repères. Ils n’ont plus l’habitude de discuter entre hommes. Ils voient les autres hommes comme des concurrents. Souvent, lorsqu’ils viennent au monastère, les hommes en difficulté ne veulent pas donner l’impression d’avoir besoin d’aide ou ils ne sont pas prêts à l’accepter. Ils sont difficiles à gérer, à comprendre, à aider. Il leur faut beaucoup de temps pour accepter d’avoir confiance. Moi-même j’ai été un de ceux-là. Notre accompagnement d’homme est plus difficile, plus chaotique. Je me rappelle quand je suis arrivé combien je croyais pouvoir m’en sortir seul. Plus tard, un peu plus éclairé, j’ai constaté les mêmes défauts que les miens chez de nombreux retraitants hommes.
Le moine hôtelier manquant de temps, c’est presque toute l’hôtellerie qui a été confiée à une résidente in situ. Celle-là, très compétente, discrète et aussi autoritaire que peut l’être une femme, a commencé à s’installer et à régenter l’hôtellerie. Le lieu a gagné en efficacité ce qu’il a perdu en bonhomie. Du coup, pour les hommes et femmes confondus, les règles sont devenues plus strictes. Ce n’était plus les règles réfléchies de la communauté monastique, mais les règles que nous connaissons tous bien quand on fréquente des milieux de femmes : influence personnelle, ou rigidité et règle pour la règle. Si vous voulez faire fuir les hommes, ouvrez un lieu de pouvoir aux femmes, aussi petit soit-il, il attirera ce genre de profil psychologique qui se chargera de faire le boulot. Et le boulot, elle l’a bien fait. Aujourd’hui, j’ai l’impression que le monastère respecte à moitié ses règles d’accueil originelles.
Comment en est-on arrivé là ?
Je crois que les vieux principes d’accueil du pauvre s’il est homme, et de séparation des sexes, ont été vécu de plus en plus négativement par les moines. Je crois que l’image du pauvre s’est imposée comme étant celui d’une femme en quête morale. Cette femme a un double avantage : elle est plus facile à aider tout en donnant l’impression d’avoir plus de problèmes. Il y a de nombreuses femmes, très intéressantes, qui fréquentent le monastère, mais elles prennent vite tout l’espace. Elles occupent maintenant le lieu, en nombre. Les accompagnements spirituels concernent aujourd’hui, une très grande majorité de femmes. La souffrance des femmes a pris toute la place. La plainte et l’apparence de la fragilité se sont imposées naturellement, sans faire de bruit.
Nos petits problèmes d’hommes faisant face aux femmes modernes doivent sembler bien insipides aux moines. Et nous savons si mal nous exprimer. Nous, hommes, nous cherchons à nous débrouiller seuls ou bien nous nous effondrons. Jamais nous ne sommes dans un juste rapport au niveau intime. Nous ne savons pas nous positionner en tant que victime. Et j’ai bien l’impression que c’est notre tort. Nous en sommes moins intéressants. Nous ne voulons pas construire une relation mais trouver une vérité, c’est beaucoup moins agréable pour celui qui nous suit… En présence de femmes, les hommes font pâle figure dans la concurrence à l’aide spirituelle.
Par le passé, je cherchais à remplir mon rôle d’homme. Je croyais pouvoir m’appuyer sur les femmes de mon entourage. Mais quand cette femme est défaillante ? J’ai vu beaucoup d’hommes comme moi, complètement paumés face à l’abandon de leur femme. Pour l’un, elle était entrée dans une secte, pour l’autre, elle avait abandonné sa famille, et tous ces jeunes pour qui ce monde n’avait plus de sens… Oui, j’ai vu beaucoup de jeunes qui ne savaient même plus ce qu’était une famille. Je les ai vus perdus face à un monde qui semblait les trahir à chaque instant. Le jour où nos illusions d’hommes sur les femmes disparaissent, cela fait mal. Nous faisons face à notre propre faiblesse. Le roi est nu.
J’ai souvent trouvé chez les autres, une forme de suspicion quand j’ai été en échec. J’étais suspect de ne pas avoir fait ce qu’il fallait. Les femmes font toujours ce qu’il faut, c’est bien connu. Et quand il y a échec, c’est l’homme qui doit assumer les raisons de cet échec ! Ce genre d’attitude dans la société n’aide pas non plus à s’ouvrir. Quand nous traversons une telle crise, nous ne savons plus que faire. L’homme moderne est trop solitaire, et pas assez solidaire. Comme beaucoup d’hommes modernes, les moines, cherchent à pallier le manque d’image positive masculine chez les femmes. Les femmes cherchent à se guérir de cette défaillance. Et sans l’exemple d’autres hommes, les hommes ne guérissent jamais de leur défaillance. C’est un cercle vicieux.
Quand on nous met en concurrence avec des femmes, nous n’arrivons pas dans la bonne position spirituelle. Il faudrait arriver dans l’abandon pour être accueilli. Mais nous sommes perdus avec nos habitues d’homme moderne et rentable. Nous cherchons les codes qu’on ne nous a pas appris. Nous sommes beaucoup plus dans la défiance. Par contre, les femmes comprennent, vite. Elles auraient moins besoin d’accompagnement que nous de nos jours, mais par une bizarrerie, elles accaparent l’emploi du temps des moines.
Les derniers moines qui font leur travail sont submergés. On en vient à regretter de leur demander de l’aide. Et puis, je pense qu’il y a aussi l’attrait inconscient pour l’autre sexe… Au final, nous formons un public beaucoup moins gratifiant pour les moines. On dirait que les femmes savent demander tandis que nous n’osons pas, en plus du reste. Au bout d’un certain temps, elles sont là, et elles restent, tandis que les hommes s’en vont, progressivement, avant même parfois d’avoir pu entamer une démarche sérieuse. Quand une majorité de femmes a fini par peupler le monastère, j’en suis même arrivé à me demander si l’exercice spirituel n’était pas spécifiquement féminin. Je crois que si j’étais arrivé de but en blanc, sans connaître la situation passée en ce lieu, je me serais dit que ce n’était pas pour moi. Les hommes en France, se sont longtemps dits que ce n’était pas pour eux, tant les femmes étaient majoritaires à l’Eglise. Je crois que cela procède du même mécanisme que j’ai vécu dans ce monastère. Aujourd’hui, je sais combien la présence de femmes restreint notre liberté d’homme. C’est un regard, c’est une façon de discuter, sur ce qu’il faut faire, pas faire, dire pas dire qui change tout. En situation de mixité, nous passons notre temps à échapper aux sujets qui nous préoccupent en tant qu’hommes, pour revenir à la relation comme vérité unique.
En cas de mixité, il faudrait prêter une attention particulière aux hommes. Au milieux d’hommes, les femmes se soutiennent et se font soutenir. Elles savent se faire accueillir. Les hommes ne peuvent approcher des lieux de femmes, tandis que les femmes ont intérêt à fréquenter les lieux d’hommes. Car entre femmes, j’ai remarqué combien souvent la tyrannie régnait. En situation de mixité, les hommes finissent par s’enfermer et se disperser. En de tels lieux, comme celui d’un monastère d’homme, je pense qu’il devrait y avoir une place préférentielle pour la faiblesse des hommes, surtout en cas de mixité. Mais comme plus personne ne comprend même la nécessité de lieux unisexes… J’en suis arrivé à la conclusion que partout où il y avait mixité, il finissait par y avoir féminisation, et qu’il faudrait reconstruire des lieux entièrement masculinisés si nous voulions échapper à cette espèce de contrôle.
Le chemin que nous devons parcourir aujourd’hui est beaucoup plus long qu’hier. Il est devenu beaucoup plus long que celui d’une femme. Hier c’était un ancien guerrier qui imaginait des exercices spirituels. Aujourd’hui ce sont des femmes qui les pratiquent. J’ai compris qu’on nous avait fourvoyé dans notre éducation de garçon.
Et si un monastère d’homme n’est plus étanche, je vous laisse imaginer quels lieux nous restent pour nous construire une identité. Personnellement, je ne sais plus où me tourner.
La dernière fois, que j’ai quitté le monastère, j’ai même vu une femme à l’intérieur de la clôture. Je me demande jusqu’où cela va aller. Je ne crois plus qu’il y ait un seul endroit dans ce pays où les hommes puissent se retrouver entre eux tandis que je vois beaucoup d’endroits où les femmes se retrouvent entre elles. Dernièrement, je suis tombé sur une conversation de franc-maçons sur internet où la pression à l’intérieur même des loges d’hommes était de plus en plus forte. Le « frère » masculin défendant la séparation des sexes avait bien du mal à faire entendre son point de vue. J’ai aussi entendu parler de synagogues où les femmes étaient de plus en plus perçues comme ces pauvres victimes de discriminations, à accueillir à égalité avec les hommes. J’ai l’impression que le monastère que je connais n’est pas le seul. Beaucoup de lieux spirituels se féminisent. Nous sommes de plus en plus exclus des lieux qui pourraient forger notre identité. Nous ne supportons pas la mixité et je ne sais pas bien où nous pourrons nous reconstruire à l’avenir, en tant qu’hommes. Il est vrai qu’aujourd’hui, nous ne sommes plus bien nombreux à désirer nous élever. Mais je ne crois pas qu’en nous noyant au milieu de communautés mixtes, nous y arriverons mieux.
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