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« Vol de Nuit » d’Antoine de Saint Exupéry : du masculin du féminin

Je le dis tout net, ce court roman n’appartient pas à la catégorie des grands chefs d’oeuvre de l’humanité. Pourtant, quand un écrivain de talent se met à vouloir développer une idée, il ne peut la laisser confinée à une forme totale de médiocrité.

« Vol de Nuit », c’est d’abord la tentative d’Antoine de Saint Exupéry de nous faire entrer dans l’univers de l’aviation et particulièrement de l’aviation postale de nuit à ses débuts. Ainsi, ce document n’est pas simplement un écrit romanesque mais également un témoignage historique.

Comme toute industrie naissante, l’aviation postale s’est montée par l’entremise de quelques aventuriers hommes qui lui ont sacrifié beaucoup, jusqu’à leurs vies. Antoine de Saint Exupéry nous dresse le portrait de ces aventuriers, mais aussi d’un de ces mentors qui les ont guidés, ou d’un de ces petits chefs qui se ressemblent tous où qu’ils soient. Son amour pour les avions le conduit à nous donner une description longue de l’atmosphère du vol de nuit en début du roman. Passée cette volonté de partage émotionnel ésotérique, l’action se met doucement en place pour nous offrir une démonstration lumineuse des oppositions entre conceptions masculines et féminines de la vie. Le contraste est saisissant.

M Rivière, le gourou qui guide ses troupes, pousse ses aviateurs à s’affronter aux éléments naturels. Il est obsédé par le gain de temps, raison pour laquelle il a mis en place ces nouveaux vols de nuit, dangereux mais plus rapides. Tel un père autoritaire, il agit comme un repoussoir envers ses troupes. Il les martyrise psychologiquement pour qu’ils donnent leur maximum. Cette attitude se manifeste à travers son exigence, sa volonté de sanctionner le moindre manquement mécanique ou humain, mais aussi ses moqueries envers les comportements humainement lâches de ses aviateurs. Il passe volontiers pour un bourreau, mais son objectif n’est pas de détruire ses hommes, tout au contraire. Son comportement a pour but de sécuriser l’environnement de ses troupes qui doivent se défier de leurs propres peurs pour avoir une chance de réussir. Il réduit ainsi les risques de laisser-aller ou de contagion par la terreur qui ne manqueraient pas de détruire son entreprise. Car Rivière est un velléitaire qui se défie d’une société qui ne cherche que la stabilité et son confort. Personne ne croit à la mise en place des vols de nuit à travers les Andes. Il espère pourtant ouvrir un nouveau chemin par la seule force de sa conviction. Il a déjà bien avancé dans son entreprise quand un incident va survenir et faire s’entrechoquer deux mondes qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre : celui du foyer maternel et sécurisé, avec celui des aventuriers.

En effet, le beau Fabien, aviateur de nuit juste marié, va connaître un imprévu en vol, qui va le conduire probablement à la mort. D’un côté, l’enchaînement implacable de circonstances exceptionnelles va mettre à mal le système mis en place par Rivière. De l’autre, la femme de Fabien va chercher du sens à ce qu’elle perçoit comme complètement futile et risqué.

D’un côté le monde du matériel, du défi, de l’honneur, de la prise de risque, masculin. De l’autre, l’attention à l’autre, la sécurité, l’amour des siens, le cocon, féminin. Rien ne peut justifier la perte de Fabien aux yeux de sa femme, tandis que pour Rivière, son sacrifice n’aura eu qu’un seul but : pousser plus loin l’aventure dans de meilleures conditions. La vie est au centre des préoccupations de chacun, mais de manière opposée. La femme de Fabien ne peut imaginer perdre son mari parce qu’il aura pris un risque. Rivière sait que sans prise de risque, aucune action ne pourrait être entreprise. Cela justifie de son point de vue, la mort de Fabien, tandis que pour sa femme, elle reste à jamais inenvisageable.

Dans « Vol de Nuit », Antoine de Saint Exupéry dénonce l’hypocrisie d’une société féminine qui veut le confort tout en occultant le prix à payer pour l’obtenir. Rivière réalise son aspiration profonde. Il ne s’agit pas de philanthropie pour lui. Cependant, il pense aux conséquences de ses actes. Il les justifie par une pensée masculine et cohérente. Mais il ne peut prendre en compte que la vie de Fabien, dont il lui a été donné de prendre soin, soit issue d’un cadre familial. Le système de pensée de la femme de Fabien n’en est pas moins cohérent que celui de Rivière, même si de son côté, il omet l’origine de ses conditions objectives d’existence et que donc, il ne voit pas au-delà de son intimité.

Il ressort de ce livre que les positions des hommes et des femmes sont à jamais irréconciliables. Dans le monde de Rivière, l’intimité, c’est le risque décuplé. Dans celui de la femme de Fabien, l’extérieur, c’est la prise de risque inutile. Ainsi hommes et femmes ont été placés en ce monde dans des positions contradictoires. L’un et l’autre sont hermétiques l’un à l’autre, car ils procèdent de logiques opposées même si elles relèvent toutes les deux de la vie.

Tout l’objet de mon blog réside ici : le féminisme agit comme une volonté de confondre logiques féminines et masculines. Ce mouvement se pense comme un totalitarisme indifférenciateur. Or je pense au contraire que la différence sexuée entre hommes et femmes est fondatrice et à jamais irréductible, naturellement et culturellement. Les tentatives pour imposer une logique envers et contre l’autre se soldent par une perte de sens dans le monde de l’action, ou bien une stérilisation des foyers de vie, phénomènes que nous connaissons actuellement à cause de la généralisation de l’idéologie féministe. A l’inverse, l’antiféminisme doit se proposer de gérer cette contradiction au mieux, en prenant en compte les raisons de chacun sur son terrain de prédilection.

Vol de Nuit a reçu le prix fémina en 1931.

Extraits sur les deux points de vue irréconciliables :

Du point de vue de Rivière

p 129 édition folio

« Il (ndt : Rivière) était parvenu à cette frontière où se pose, non le problème d’une petite détresse particulière, mais celui-là même de l’action. En face de Rivière se dressait, non la femme de Fabien, mais un autre sens de la vie. Rivière ne pouvait qu’écouter, que plaindre cette petite voix, ce chant tellement triste, mais ennemi. Car ni l’action ni le bonheur individuel n’admettent le partage : ils sont en conflit. Cette femme parlait elle-aussi au nom d’un monde absolu et de ses devoirs et de ses droits. Celui d’une clarté de lampe sur la table du soir, d’une chair qui réclamait sa chair, d’une patrie d’espoirs, de tendresses, de souvenirs. Elle exigeait son bien et elle avait raison. Et lui aussi, Rivière, avait raison, mais il ne pouvait rien opposer à la vérité de cette femme. Il découvrait sa propre vérité, à la lumière d’une humble lampe domestique, inexprimable et inhumaine… »

Du point de vue de la femme de Fabien

p 161

« Elle devinait, avec gêne, qu’elle exprimait ici une vérité ennemie, regrettait presque d’être venue, eût voulu se cacher, et se retenait, de peur qu’on la remarquât trop, de tousser, de pleurer. Elle se découvrait insolite, inconvenante, comme nue. Mais sa vérité était si forte, que les regards fugitifs remontaient, à la dérobée, inlassablement, la lire dans son visage. Cette femme était très belle. Elle révélait aux hommes le monde sacré du bonheur. Elle révélait à quelle matière auguste on touche, sans le savoir, en agissant. Sous tant de regards, elle ferma les yeux. Elle révélait quelle paix, sans le savoir, on peut détruire. »

Léonidas Durandal

Antiféministe français, j'étudie les rapports hommes femmes à travers l'actualité et l'histoire de notre civilisation.

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Léonidas Durandal

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