Chroniques de Justin P #3

Article écrit par

le

dans la catégorie


J’ai 15 ans et je me nomme Justin, mais personne n’en sait beaucoup plus. Vous me direz, personne n’a jamais cherché à savoir. Ni ma mère, ni mon père, ni mes camarades, ni mes professeurs, ni personne. Pendant un temps, j’ai cru que Lorène me comprenait. Mais elle était comme les autres. Je l’ai choisie pour mon sacrifice à la Terre, aussi parce qu’elle m’avait déçu.

Ce choix qui me semble si logique, échappe à la compréhension commune. Ils n’arrivent pas à se dire que c’est vrai. Ils s’abreuvent de fictions toutes plus sanglantes les unes que les autres, irréalistes. Par contre, ils ne perçoivent pas la logique inéluctable qui m’a poussé à agir. Ils ne voient pas ce qui saute aux yeux. Cet attentat prémédité, documenté par mes écrits, accablant d’idéologie, ils veulent lui trouver des origines fantaisistes avant de l’oublier. Cette fois, comme les autres, je m’affronte à un mur d’incompréhensions. Il s’est construit tout autour de moi dès l’enfance. Puis il a fini par m’entourer. J’y ai été enfermé. Enfin, dans un acte libre, j’ai choisi de le détruire. D’aucuns jugeront que ce fut brutal, mais comment faire ? Inévitablement, nous allons vers notre propre libération, même à travers le pire. Tant que je vivrai, je continuerai à m’acharner contre lui. Car je vois bien que la lutte pour la libération ne fait que commencer. J’étais reclus psychiquement. Je le suis désormais physiquement. Le sheitan se tortille. Il ne me laisse pas tranquille.  

Avant de passer à l’acte, j’étais encore bien naïf. Je m’imaginais que mon attentat rendrait tout lumineux, même pour moi, et qu’on accepterait enfin de m’écouter. Puis j’ai parlé avec les gendarmes, puis j’ai parlé avec le psy, puis j’ai vu le regard des infirmiers et des autres internés. Ils ne comprennent toujours pas. Ils cherchent désespérément à fuir toute compréhension. Le mur est là. Rien n’a changé. Toujours ces simplifications. Toujours ces « ce n’est pas possible ». Toujours ces « il est trop jeune ». Toujours ces « il est malade » que je vois bien dans le regard du personnel de l’hôpital. Personne pour me prendre au sérieux.

Il se dit que je n’ai pas pu penser ni écrire mon manifeste. Je ne peux pas vouloir ce que j’ai voulu. Je n’ai pas pu poser un acte politique et intime dans un même geste, tel une Greta Thunberg au masculin. Je suis trop jeune pour m’exprimer ainsi. A 15 ans, Alexandre le grand commençait ses exploits, encouragé par sa famille et suivi par son pays. Autres temps, autres mœurs. S’il revenait, il n’aurait plus rien à conquérir ici, pas à cause de ses capacités, pas à cause de « l’environnement », mais à cause de son entourage et de cette société. « Mon cher petit Alexandre, tu t’énerves beaucoup pour rien. Vas-tu rester tranquille et te calmer ? Il faut que tu te tiennes correctement et que tu respectes tout le monde, en particulier les femmes. » .

Je renvoie tous ces impuissants à leur médiocrité et ils ne me le pardonnent pas. Ce mur qui m’entoure est construit avec leur ignorance, leur peur et leur nullité. Ces gens ont grandi dans l’esclavage. Ils ne veulent surtout pas qu’un autre se libère. Ils veulent qu’il subisse le même sort qu’eux. Malgré leurs beaux discours, mes professeurs n’ont cessé de me le faire sentir.

Lors d’une rentrée scolaire, voilà 2-3 ans de cela, l’enseignante de mathématiques a voulu nous faire passer un test. J’ai été le mieux noté, très loin devant mes camarades. Elle ne me connaissait pas. Tout au long de l’année, cette femme m’a progressivement remis au centre du troupeau. Elle ne pouvait supporter qu’une personnalité telle que la mienne, réussisse mieux.

Mais voilà que je me fais ingrat. Nous sommes généralement bien notés par nos professeurs… comme si nous n’avions rien à apprendre et que nous étions tous égaux. La fantaisie n’est pas sanctionnée, elle ne trouve pas sa place. Evoquer Adolf Hitler de manière positive en cours, c’est juste impossible. Il faut croire en leur religion. Sauf avec Jacques et quelques autres, si rares. Ô mon bon professeur. Vous m’avez fait toucher du doigt l’histoire dans ce qu’elle a d’épique. Vous m’avez intéressé au milieu de l’ennui général. Et pourtant, combien vous n’étiez pas d’accord avec moi, combien étiez-vous isolé…

A chaque fois que je sortais du cadre, on m’y faisait rentrer, officiellement parce que j’avais tort. Officieusement, je le sentais de tout mon épiderme, ils me haïssaient pour mon génie. Ils voulaient réprimer cette tendance en moi, pour me rendre service bien sûr, pour rendre service à la société bien entendu, pour me rendre servile plutôt, mais surtout pour réprimer leurs propres aspirations à grandir. Oui, j’ai été enfant. Mais je n’ai jamais voulu le rester. Ces soit-disant adultes, n’ont que l’apparence de la maturité. Au fond d’eux, de renoncements en renoncements, ils sont restés de petits êtres craintifs, mal assurés. Ils servent une société qu’ils haïssent. Leurs discours écologiques n’ont pour but que de légitimer leur impuissance et leur dépression latente. Ils voudraient que les nouvelles générations aient le courage qu’ils n’ont jamais eu. Puis lorsqu’un de leurs élèves se met en cohérence avec leurs dits, ils n’approuvent plus, ils condamnent, ils empêchent de tuer. Pourquoi m’empêcher de tuer alors que tous vos silences et vos discours m’y ont encouragé ?

Oh je sais, vous vous garderez bien de répondre à mon énième questionnement. Vous continuerez à dire « Tiens-toi bien mon chéri. Calme-toi ! » en évitant soigneusement de me prendre au sérieux, voire en ignorant mon existence, et en oubliant, autant que faire ce peu, que j’ai existé, et que j’ai agi comme j’ai agi. Mais vous ne le pourrez pas.

Si malgré tout, vous y arriviez, un autre viendrait à ma suite et ferait pire. D’ailleurs j’en suis certain, alors que vous détournez le regard, un autre viendra à ma suite. Vous n’empêcherez jamais un humain digne d’aspirer à la liberté, sauf à stériliser l’ensemble des populations de la terre entière. La Terre ne le permettra pas. Elle est féconde. Elle est vie. Elle est tout ce que vous n’êtes pas. Elle fera émerger une armée de révoltés. Pauvres débris qui n’arrivez même plus à vous reproduire, et dont les enfants n’auront pas d’enfants. Ne comprenez vous pas que vous êtes les déchets de la Terre ? Qu’Elle est en train de vous vomir avec votre économie délétère ? Que je vous vomis parce que la Terre l’a voulu ? Que j’ai mis en acte vos plus profondes aspirations ?

Pour redevenir audible auprès de vous, je le sais bien, il faudrait que je me repente. Il faudrait que je vous dise « Vous avez raison, j’ai eu tort ». Mais je ne le dirai pas. Pas avant d’avoir entendu ce que vous avez à dire. Pour l’instant, votre silence est accablant… Il vous dénonce, comme celui de Jésus dénonce ses accusateurs. 

Dans cet établissement catholique, j’ai suivi le catéchisme, un peu, pour voir. On ne m’y a pas forcé, car même ça, vous n’y croyez pas. Pourtant, j’ai retenu deux trois trucs. En dehors des quelques mièvreries comme « Dieu est amour » ou « Jésus est venu sur terre pour sauver l’humanité » (vous n’avez que ça à la bouche, même lorsque vous n’êtes pas catholiques), j’ai compris que vous êtes de ceux qui l’auraient tué à l’époque. Oui, parce que comme tous ces Juifs, vous voulez toujours avoir raison, même lorsque les évidences parlent contre vous. Vous ne voulez surtout pas être remis en question. Vous cherchez plutôt un refuge dans vos croyances. Ainsi, vous réitérez le crime. Tonton Adolf valait plus cher que vous. 

Tout comme les gens qui respectaient la loi hébraïque et qui ont condamné Jésus à mort, vous ne comprenez toujours rien. Ou plutôt, vous comprenez ce que vous voulez bien comprendre. Et la moindre idée qui vous dérange, la moindre personne qui bouscule votre conception du monde, vous ne dîtes plus « Arrêtez-là et tuez-la ! » mais c’est tout comme. En dehors de toute discussion, il y a les idées dont vous acceptez de débattre et les autres, toujours plus nombreuses. Vous ne voulez entendre que ce qui est doux à vos oreilles, que ce qui ne vous choque pas, que ce qui vous brosse dans le sens du poil, parce que vous êtes d’horribles pécheurs, oui, de ces vils Juifs qui ont tué Jésus.

Vous refusez de m’entendre parce que « je ne serais pas défendable ». Voilà comment vous confinez ceux qui se révoltent à l’impuissance, puis au terrorisme et à l’action violente. Chaque parole ignorée a pour réponse une guerre. Des paroles, combien en avez-vous ignoré avant que je n’en arrive à une telle extrémité ? Si j’eusse eu tort, vous n’auriez pas laissé la Terre se faire massacrer. Vous n’auriez pas laissé la création de Dieu sans défense.

En ce moment même, des semaines après mon happening, je devrais faire la une de vos journaux, avoir provoqué moult débats dans la société, débats qui auraient dû abouti à un changement complet de politique, au moins environnementale. Le temps aurait dû suspendre son vol, la marche du monde fléchir pour laisser place à la réflexion. Au lieu de cela, je sens la grande inquisition se pencher sur mon cas. Et sinon, un grand silence sur notre responsabilité environnementale. Aurais-je saigné Lorène pour rien ? Quel sens allez vous donner à sa mort en ignorant et mon attentat, et son sacrifice ? Il ne faut pas récompenser le crime, certes. Sauf si c’est vous qui le commettez.

2 réponses à “Chroniques de Justin P #3”


  1. Avatar de Mario
    Mario

    Salut,

    Sans exagérer, je vous trouve un réel talent pour l'écriture, sachant en plus que vous semblez avoir beaucoup de choses à dire. C'est rare !

    Ben à vous.


    1. Avatar de Léonidas Durandal

      Bonsoir Mario et merci,

      J’avais failli ne pas voir votre commentaire.
      Je donnerai à cette époque ce qu’elle mérite. Elle mérite un Justin P.

      Cdt.

      M.D


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.