Les médicaments… je ne sais plus vraiment ce que je dis, ni même ce que je pense. Je ne suis pas malade. Enlevez-les. Je suis Justin P. J’ai 15 ans. Ou bien 16. Ou alors je suis en enfer, enfermé dans une camisole chimique jusqu’à ce que la Terre me libère. J’ai posé un acte pour La sauver. Je voulais arrêter l’impuissance. L’impuissance m’a condamné. Elle me surveille. Elle ausculte mes entrailles, loin des regards. Elle a honte de moi. Elle me hait. Et elle voudrait pouvoir m’ignorer. J’ai tout fait pour qu’elle ne le puisse pas. Elle semble avoir repris son empire. L’impuissance est de retour et m’enserre, moi le seul vrai résistant de ce monde. Elle veut que je lui cède. Elle veut que j’admette avoir eu tort. Ai-je eu tort de vouloir sauver la Terre ?
En tuant Lorène, j’ai renoncé à l’impuissance. La société pourrie me condamne par jalousie. J’ai été au bout de mon raisonnement. Au bout de mon raisonnement, il faut que les coeurs soient émus, que la souffrance cesse. Il faut tuer la souffrance. J’ai sacrifié Lorène. J’ai tué mon amour et la souffrance qui va avec.
Lorène ? Pourquoi as-tu choisi l’autre plutôt que moi ? Nous étions faits l’un pour l’autre. Nos discussions le prouvaient. Lorène, tu n’as pas voulu vivre notre amour jusqu’au bout. Tu t’es défiée. Inadmissible de se défiler. Une femme n’a pas le droit de sacrifier l’amour. Si elle sacrifie l’amour, elle n’est plus femme. Il est légitime de la sacrifier.
Ô Lorène chair de ma chair. Te laisser à un autre, c’était tuer tout ce qu’il y avait de beau. J’ai préféré sauver la Terre. Toi et la Terre, vous êtes réunis à jamais. Je t’ai remise en offrande à Elle.
Ô te voir avec lui, te voir l’embrasser, te voir lui tenir la main, le considérer. Ce bellâtre, si superficiel. Pouvait-il t’aimer comme je t’aime ? Vous n’aviez pas le droit d’être si beaux, loin de moi. La Terre réclamait son dû. Son destin s’accomplit parce que je n’ai pas voulu que le mensonge gagne. Mon destin m’a poussé à briser cette horreur. Alors pourquoi la souffrance est toujours là ?
Tu es la seule personne qui me parlait. Tu acceptais mes idées. Tu ne m’as pas rejeté. Alors pourquoi l’as-tu rejoint ? Lui, cet autre, ce pas moi, ce corps. Tu veux son corps, je brise le tien. J’ai pas réussi à supprimer le sien. Il est parti. Il a fui le lâche. Après toi, de toutes les manières, il peut mourir et le reste avec. Maintenant, tu m’appartiens. Nous sommes inséparables. Je vais te rejoindre.
Je t’ai tué parce que tu m’as blessé. Et maintenant, tu n’es plus là, j’ai plus envie de vivre. La vie est partie avec toi. Mon couteau a tranché pour moi. Je voudrais qu’il m’emporte aussi. Mais les médicaments, mais la société, mais ce psychiatre, ma mère, une larme même, me retiennent : « Tu as voulu que la souffrance cesse, tu vas souffrir. » semblent-ils me dire.
Je suis ailleurs, ici, partout. La Terre sera mienne. J’ai accompli ton œuvre ô Terre. J’ai tué pour te préserver. J’ai répondu à Tes attentes. Tu m’as dit : « Va et sois ? » J’ai répondu : « J’y vais » et j’y ai été. Désormais, je ne vois plus où je dois aller, ni ce que je peux faire pour Toi. Le monde va-t-il me comprendre et suivre mon exemple ? La société va-t-elle s’arrêter de tuer ? Va-t-elle me célébrer ? Non. Elle demande d’autres sacrifices pour en être convaincu. Mais je suis enfermé et je ne pourrai les accomplir. Ma vie n’a plus de sens, surtout depuis les médicaments. Les mots même m’échappent.
Ainsi, était-ce cela que Tu voulais ô Terre ? Tu me voulais pour la mort ? Je suis né de toi pour te défendre, en sacrifiant ce qui s’opposait à Toi. Je suis encore vivant mais je ne peux plus te défendre. Je suis entre les mains des hommes qui ne comprennent pas et qui veulent que j’admette leurs erreurs. Horrible médecin, crois-tu me convaincre avec tes mots de charlatan ? Ta bienveillance feinte ? Ton désespoir ?
Horrible médecin impuissant, tu penses comme moi, mais tu n’as pas eu le courage de changer et de mettre en cohérence tes actes et tes pensées. Désormais, tu me reproches de délirer ! C’est ton délire que j’ai mis en œuvre, toi qui ne crois plus en rien, qui ne veut plus croire en rien, qu’à ta chimie, qu’à tes médicaments, qu’à l’aliénation humaine. Tu voudrais que les humains exercent leur liberté, mais tu les enfermes médecin. J’ai bien à me plaindre, moi la victime de ce système. Mais au fond de moi, je connais la force et la vérité. Tu es de mon côté médecin. Tu crois faire la vie et la mort tandis que tu ne fais que la mort. Toi aussi, malgré tes grandes idées, tu tues la Terre. Tu la tues en me tuant, par ton attitude. Tu tues, tu me tues, tu es de mon côté. Je ne sais plus bien. Tout s’embrouille.
Sébastien m’en a parlé. Combien de temps je vais tenir ? A la maison de retraite, les médecins de sa grand-mère l’ont gavée jusqu’à la mort. Elle a perdu la tête en quelques semaines. J’ai peur de perdre la tête. Je voulais faire cesser l’impuissance. Les médicaments m’y réduisent. Si je ne trouve pas un moyen d’en sortir, ils vont m’avoir. La famille de Sébastien, les amis, n’ont rien pu. La maison de retraite a même réussi à se faire remercier sur le journal, après sa mort. Il m’a tout expliqué. Comment ils avaient fait. Comment ses proches avaient été sidérés. Comment l’état et les forces de l’ordre ont préservé le corps médical sans penser à elle. Elle n’était rien pour eux, un numéro, une statistique, une bouche de plus à nourrir, une souffrance, une gêne. Il n’a même pas été besoin d’obtenir son consentement. Il a suffi de la droguer. Elle est devenue junkie, puis elle est morte. Pas dans la rue, mais dans une chambre de 12m2. Ca change quoi exactement ? Je ne veux pas finir comme elle.
Mon esprit est bizarre. Je ne me reconnais plus. Sébastien me disait que sa grand-mère souriait toujours mais qu’elle n’était plus là, que ce n’était plus vraiment elle. Ses souvenirs ont été effacés. On lui répondait « c’est l’âge ». Qu’est-ce qu’ils me diront si je les interroge ? C’est la maladie ? Je ne veux pas que mon cerveau s’efface progressivement. Je voudrais conserver ma tête. Je voudrais pouvoir défendre la Terre au tribunal. J’ai peur de ne plus en avoir les moyens quand ils en auront fini avec moi. J’ai peur de devenir une loque à cause de leur manière de punir. La société tue les inutiles, les oiseaux, les plantes, les insectes, les personnes âgées, les fous. Mais elle ne veut pas que ça se sache. Elle va me déclarer irresponsable parce qu’elle est irresponsable, parce que dans ce monde, c’est une faute d’être responsable. Il faut obéir. Tout a été construit pour obéir. Celui qui dévie est identifié et pourchassé. Mais entre criminels de la Terre, l’impunité règne. Tout est permis. Cependant qu’il ne faut pas que ça se sache. Personne ne sait plus rien de moi d’ailleurs et de ce qui m’arrive. Au début, je pense que mon manuscrit a filtré. Et encore… il a fallu que je l’envoie à de nombreuses personnes. Il a fallu que je tue pour qu’on entende ma voix, la voix de la Terre. Désormais, je suis certain qu’ils ne veulent plus en parler.
S’ils avaient pu taire ce « fait divers », ils l’auraient fait. Pour le bien de la population je m’entends. Pour le bien, combien de crimes sont commis ? Pour nourrir le monde, il faut tuer le monde. La nourriture est toujours plus pourrie. Pour sauver la population, il faut réduire la population. Pour réduire la population, il faut l’augmenter par l’immigration. Pour protéger la liberté des personnes, il faut les priver de liberté. Pour les soigner, il faut les intoxiquer. Pour sauver la Terre, il faut tuer la Terre. Pour que les autres se remettent en question, il ne faut pas se remettre en question. De nos jours, tous les discours sociaux sont des injonctions contradictoires. Et après, c’est moi le fou ! T’es tu-vu société ? Vois-tu ce que tu es devenue ?
Société, tu génères deux types de fous : ceux qui te croient et ceux qui veulent t’échapper. Ceux qui te croient, sont fous, c’est entendu. Mais même ceux qui ne te croient pas le sont. Ils s’inventent des coupables, des criminels, tandis qu’ils ne font rien pour évoluer, pour changer, pour sortir de l’impuissance. Je suis la seule personne vraiment saine de ce monde. J’ai ouvert une voie pour ceux qui ne veulent plus participer au game. Ce jeu est truqué. Un jour, vous le comprendrez. Dès lors, arrêtez de vous comporter en criminels, tout en m’accusant de l’être. Vous devez venir à moi, vous laisser travailler par mon geste. Arrêtez de résister. Ce geste admirable est digne de votre future grandeur. Vous n’en voyez pas la portée, parce que vous m’inventez des raisons qui n’existent que dans votre tête. Je suis fou. J’ai été éconduit. Je suis d’extrême gauche. Je suis d’extrême droite. En vérité, je suis votre conscience. La Terre vaincra !
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