Préambule :
Nous avons la droite la plus bête du monde en france, certainement parce que nous avons l’historiographie moderne la plus aveugle qui soit. Les anciens Romains furent eux, impitoyables avec leurs monarques dès qu’ils eurent décédé. Ceci explique pour partie, la longévité de l’empire. Il faut pouvoir se corriger de ses erreurs, aussi grandes furent-elles, et ne pas se perdre dans des considérations oiseuses ou partisanes.
Les historiens modernes me reprocheront mes avis tranchés. Je leur reprocherai leur fadeur toute emprunte de préciosité, leur manque de vision d’ensemble ou d’audace, mais surtout, toute grille de lecture qui se voudrait soit comme une absence de grille de lecture, ou à l’inverse anachronique. Il est évident que nous jugeons du passé à l’aune du présent. Mais ce jugement doit se faire en prenant en compte l’état d’esprit de l’époque. Voilà comment un peuple avance, en cultivant une histoire réaliste mais pétrie de questionnements contemporains. Je veux interroger ici la centralisation, et le pouvoir d’état. Mais aussi, qu’est-ce qu’une politique positive ? Et à travers cela, viser à la redéfinition et à l’enrichissement du concept de « grand homme ». Toute notre masculinité en dépend.
En france, la lecture d’analyses historiques faites à l’étranger, soulage l’esprit. Car chez nous, Louis XIV, Louis IX, Napoléon et dans une moindre mesure, Philippe le Bel sont surtout célébrés pour leurs qualités d’administrateurs, prisme de notre société despotique et servile qui ne voit que par l’ordre étatique. Le bilan positif de ceux-là est à nuancer, voire carrément, à renier s’il faut les juger sur leurs résultats objectifs. Ce travail nous permettra de mieux comprendre nos échecs modernes, surtout à droite. Voilà en tout cas, mon objectif dans cette série d’articles. J’en terminerai par la célébration d’un vrai monarque, qui eut des résultats tangibles, et qui n’est pas reconnu à la hauteur de son bilan : Philippe Auguste (1165-1223). Car il est facile et médiocre de tout critiquer, sans savoir admirer. Je ne voudrais pas également que mon travail soit considéré comme une charge contre la monarchie. Un dictateur éclairé vaudra toujours mieux pour moi, et pour tous les peuples qui la subissent, qu’une démocratie corrompue.
Saint Louis
Difficile de ne pas reconnaître l’ardeur religieuse de ce roi. Il fut rapidement canonisé pour cette raison. Roi pieux, en pratique et en actes, il fonda des institutions charitables comme l’hôpital des Quinze-Vingts pour les aveugles. Il fit également construire la sainte chapelle pour accueillir les reliques du Christ, monument qui interpelle toujours nos contemporains sensibles à la beauté.
A porter à son crédit encore, il chercha une forme de concorde avec les royaumes voisins, à ce point qu’il fut choisi comme arbitre durant des conflits territoriaux qui ne le concernaient pas (Henri III d’angleterre avec ses barons entre autre). Il pacifia aussi les relations avec l’angleterre sur le continent, en cédant des territoires et en échange, en s’en appropriant d’autres. Certes, pacificateur sur le territoire capétien, il n’étendit cependant pas la surface d’ensemble du domaine royal. Par contre, il n’hésita pas à aller guerroyer inutilement à l’étranger pour des questions religieuses, j’y reviendrai.
Il tenta également de contrôler les baillis et prévôts qui étaient des sortes de préfets. S’ils ne put probablement pas prévenir tous leurs abus, il réussit au moins à les réduire. Le peuple put aussi devant lui, exprimer directement ses doléances et obtenir justice, ce qui dut prévenir bien des débords.
Concernant les mesures plus ambiguës à mettre à son discrédit, la création de la sorbonne sous son règne, permit l’édification d’un grand centre intellectuel européen, alors que cette initiative contribua à supplanter les monastères comme pôles intellectuels. Si l’instruction n’est pas du ressort de l’Église, l’éducation l’est. Et la distinction entre les deux est parfois si ténue qu’il vaut mieux garder un pied dans l’un et dans l’autre. Saint Louis autorisa donc une forme d’émancipation de l’élite intellectuelle, qui allait permettre l’avènement positif de chairs de sciences dures autonomes du pouvoir religieux, mais aussi l’avènement de sciences humaines devenant progressivement folles sans l’influence du Christ.
Je sais qu’il est facile de juger a posteriori quand la suite de l’histoire est connue. Cependant, selon les critères de Louis IX lui-même, des critères religieux je veux dire, il commit un péché d’orgueil qui devait forcément aboutir à cette erreur d’appréciation et à l’autonomisation quasi complète des futures universités. Car Louis IX prenant ses décisions politiques, pensait détenir son pouvoir directement de Dieu. S’il fallut attendre Louis XIV pour établir une monarchie de droit divin, son aïeul était déjà porté par le même désir fou de s’émanciper de la tutelle de l’Église, espèce d’aspiration centralisatrice (comme avec la sorbonne) qui ne serait pas pour rien dans la fin de la monarchie. Ces deux là qui auraient ou ont combattu l’hérésie protestante, donnèrent le mauvais exemple en entretenant une relation à Dieu dégagée de tout intermédiaire dans l’exercice de leur pouvoir. Dès lors, pourquoi leurs peuples n’eussent-ils pas été tentés de faire de même ?
L’accentuation de la centralisation est un penchant naturel des décideurs politiques qui y voient là une recrudescence de force et de pouvoir, voire d’efficacité pour le système qu’ils représentent. Voilà qui reste à prouver. Un pays comme la suisse a plutôt réussi à démontrer l’inverse. Et la grande europe en relief de son échec, tout autant. Les individus sont fascinés par la concentration des pouvoirs, et une forme de démesure, qui les mènent toujours à leur perte. La france a été le principal pays à initier ce mouvement en europe. Et saint Louis qui croyait détenir son pouvoir directement de Dieu, n’y a pas été pour rien.
Enfin, dans les mesures en demi-teinte, il céda la guyenne aux anglais contre d’autres possessions et l’obtention d’une vassalité sur ceux là concernant ce territoire, alors que la dispute pour le pouvoir plein et entier sur cette région devait être à l’origine du déclenchement de la guerre de 100 ans. Mais il faudra lui accorder que nul ne pouvait être prescient à ce point.
Concernant les erreurs plus manifestes, celle de l’unification monétaire tient bonne place. Seule sa monnaie fut désormais acceptée sur tout le territoire, tandis que les monnaies féodales furent circonscrites à des usages locaux. Cette multiplicité nuisait, le pensait-il, à son autorité royale. En vérité, cette concurrence fiduciaire apportait une diversité saine qui bénéficiait aux populations. Preuve en est l’explosion de construction d’Eglises nouvelles avant lui et qui finit par se ralentir à la suite de cette mesure. Mais aussi la bonne tenue de la démographie qui connut un pic juste avant le début de son règne, puis un fléchissement durant et après l’application de ses mesures monétaires (la guerre, la famine, et les maladies n’avaient pourtant pas encore donné à plein, loin de là). Cela fait beaucoup de coïncidences.
Moraliste, il voulut interdire le jeu, interdire le blasphème et donc réglementer l’usage de la parole, ou interdire encore le port d’arme pour la sécurité de tous (vous voyez le résultat dans notre société…), en somme, interdire de pécher, comme si cela fut de la compétence de l’état. Dans le même ordre d’idées, il persécuta des prêteurs juifs et ostracisa cette tribu pour des motifs religieux, les forçant à des conversions insincères, même s’il faut bien le dire, les taux d’usure de l’époque étaient criminels. Mais bon, personne ou presque n’était forcé d’emprunter de l’argent.
Par contre, là où sans conteste possible, Louis IX fut très mauvais, ce fut durant les deux croisades qu’il mena. Et le pire, c’est de voir des personnes de droite comme Philippe de Villiers, le glorifier encore de nos jours pour son action. Notre Vendéen aurait pu relever tout ce que je viens d’écrire, y trouver du bon et du moins bon. Non, son admiration va vers un exploit militaire qui est surtout l’histoire d’une déroute absolue, complète et sans retour.
Attention, je ne conteste pas la légitimité d’une bonne croisade. Encore de nos jours, vous voyez ce qui arrive lorsqu’on laisse les Juifs et les Philistins en prise les uns avec les autres. Par contre, je dénonce cet échec militaire qui est entièrement imputable à notre roi. Saint Louis n’était pas un tacticien ni un stratège alors qu’il croyait à sa valeur guerrière. Et pourquoi ne l’était-il pas ? Parce qu’il a toujours agi comme un illuminé religieux, imaginant que la foi seule pouvait donner la victoire. Durant cette partie de son existence, ses décisions parlent pour lui.
D’abord, il engage les barons à le suivre. Ceux là sont sceptiques, anticipant probablement sur le marasme militaire d’un homme qu’ils jugent inapte à mener cette guerre. Et en effet, approchant de la terre sainte, le roi débarque quand même alors que les 2 tiers des bateaux ont été dispersés par des conditions météos médiocres. Régulièrement, il se mettra en danger inutilement. Il ne comprend même pas qu’on le laisse avancer plutôt facilement et prendre Damiette pour mieux le défaire à Mansourah, ce que la chronique de Philippe de Villiers n’a toujours pas intégré d’ailleurs. Le sultan compte à raison sur la chaleur, le manque d’eau, et les maladies pour le finir, sans avoir à le combattre véritablement, alors que notre bon roi n’a pas prévu de ravitaillement pour ses troupes. Résultat, il n’arrivera même pas à se replier sur Damiette et il sera fait prisonnier en cours de chemin dans des conditions ubuesques, tandis qu’il aura autorisé son frère à se faire massacrer juste avant, avec ses meilleurs guerriers, autour de Mansourah. Pour être libéré, il devra donner une fortune à l’ennemi et se retirer de Damiette, sa seule conquête. Autre conséquence de ses décisions, beaucoup de ceux qui l’auront suivi et qui refuseront de se convertir seront massacrés.
Sa maman, Blanche de Castille, gouverne le royaume pendant que son fils s’amuse en orient. Car loin d’avoir accepté sa défaite et son humiliation, puis de revenir après sa libération, Louis IX est venu renforcer les effectifs des dernières villes chrétiennes non loin de jérusalem. Il faut dire que sa mère avait l’habitude de gouverner, ayant déjà assuré la régence durant sa minorité. Seulement, elle finit par mourir, et Louis IX doit s’en retourner à son royaume à regret puisqu’il n’y a plus personne pour le diriger. Il revient la queue entre les jambes après 6 ans d’échecs, de défaites, et de mort pour ceux qui l’auront suivi.
Le peuple l’acclame à son retour le long du parcours. Il a été absent, il a laissé le pouvoir quasi vacant, et la population a profité des idées romanesques de son monarque. Il fête son retour après une défaite. Le contraste est cinglant pour lui. Ce roi leur a foutu une paix royale en interne en guerroyant à l’extérieur, ce qui valut à cette époque d’être plutôt bien vécue par les français : il n’y avait pas de vrai dirigeant sur le territoire, il fut tout absorbé par le symbole qu’il voulut incarner et le pays ne s’en porta que mieux. Au moins fut-il cohérent avec ses idées. Le peuple lui en fut gré.
Mais c’est avec sa deuxième croisade que son mysticisme halluciné atteint des records. Loin d’avoir appris de ses premiers échecs, il persiste et signe. Avant de repartir, il rencontre saint Thomas d’Aquin à la sorbonne qui évoque avec lui cette seconde aventure. A cause de la défaite et de son pitoyable retour, ce roi a été bousculé dans ses croyances, il broie du noir, et s’accroche à l’évocation du théologien comme un désespéré, et ceci au lieu de faire l’effort de se remettre en question et d’être policé par Dieu en intégrant Son refus de lui donner la victoire. Il décide donc de revenir à la charge en direction de jérusalem. Seulement dès qu’il apprend que le roi de tunis va se convertir, il fonce becs et ongles dans le traquenard qui a été construit tout spécialement pour lui. Quelques croyants, aussi illuminés que leur monarque, l’ont convaincu de commencer là sa nouvelle quête. Ben oui, il suffit de prier la vierge Marie pour que ça arrive ! Mais le Mohamétan veut seulement avoir la gloire de se payer du catholique et peut-être de le faire prisonnier pour toucher une forte rançon. Louis IX débarque là bas en toute innocence, et permet à ses troupes de se faire massacrer, principalement de soif et de maladie, il voit son fils Jean tristan mourir, puis meurt à son tour fiévreux sur son lit.
Vite canonisé, il fut célébré dans sa finale folie, la folie d’une époque qui voulut s’extraire de toute contrainte matérielle. Plus tard Napoléon dira : « La logistique suivra », pour un résultat tout aussi parlant.
La question qui n’a toujours pas été abordée dans nos milieux, est : qu’est-ce qu’une foi qui aboutit à des résultats politiques aussi déplorables ? Dans notre communauté catholique actuelle, la question n’a toujours pas été abordée en profondeur. La place que nous donnons au monde change au gré de notre conception de la foi. Le monde est-il un cloaque perdu pour Dieu et qui finira par l’avènement de l’ante-Christ juste avant le retour du saint des saints ? Ou bien au contraire, le monde est-il un lieu de grâces qui nous autorise à être sauvés ? Il faut réussir à articuler ces deux idées paradoxales dans notre intériorité, pour accéder à la rédemption. Dans ce schéma, saint Louis a agi, comme de nombreux catholiques le font actuellement, avec une vision surnaturaliste du monde. Pour celle-ci, la prière et la foi, pourraient éviter le questionnement individuel sur la matérialité du monde. Par exemple, il est dit dans nos milieux que la victoire de Lépante a été obtenue par l’intercession de la vierge Marie. Mais combien de batailles avons-nous perdu en l’invoquant avec ferveur ? Mes frères catholiques ne veulent pas toujours l’envisager. Dans une vision mystique et surnaturelle du monde, il leur est plus confortable d’imaginer que leurs prières pourraient immanquablement faire plier le monde. Puis ils cèdent par amertume devant les résultats généralement déplorables de leur idéologie.
Saint Louis était animé par une telle démarche corrompue. Corrompue, car la théologie a montré depuis longtemps qu’il ne faut pas se poser en tentateur de Dieu avec nos prières. Pour paraphraser Jeanne d’Arc, l’homme agit, et Dieu seul décide. Nos actions ne doivent pas être dénuées de prières, mais elles ne doivent pas être dénuées de raison non plus. Et la prière ne doit pas servir de caution à l’inaction ou à ce qui la précède, l’impréparation. Cette démarche mystique ne nous a pas fait gagner, et bien au contraire, nous a fait subir des défaites cuisantes, son image publique la plus caricaturale étant celle du moine Pierre l’Ermite désirant libérer jérusalem avec de simples particuliers délirants et qui se feront massacrer par dizaines de milliers lors de la première croisade. Il nous faudra reconnaître en saint Louis, cette même image d’homme qui n’était pas fait pour être roi et pour décider, et qui s’est fourvoyé à chaque fois qu’il se laissa emporter par des considérations déconnectées de toute matérialité, qui en paya le prix, et en fit payer le prix à ses compagnons d’arme. Tout le crédit qu’il faut lui apporter, il faut le remettre à sa volonté de ne pas être un roi, mais un juge, un chrétien, un artiste, un pacificateur. En un sens, si saint Louis fut le seul roi de france à être canonisé, ce fut essentiellement pour des raisons qui ne concernèrent pas son efficacité dans l’exercice du pouvoir royal. A droite et en tant que catholiques, nous devrions nous en rappeler pour éviter de nouvelles défaites. Vivre d’aveuglement mystique à travers un saint Louis, un Napoléon ou toute autre marotte terrestre, donne et donnera toujours les mêmes résultats.


J'y t'envoie une lettrinfo par saison
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