Ce livre a été très mal accueilli par le cénacle de gauche et pour cause. Cet auteur en est arrivé à des conclusions antiféministes frappantes. Sur la forme, voilà un livre clair au niveau du style, bien présenté et illustré de cartes signifiantes. Sur le fond, il découvre la banquise. Comme il le reconnaît lui-même, Emmanuel Todd a étudié toute sa vie les systèmes familiaux, tout en passant à côté de la problématique sexuée dans nos sociétés, et en particulier du rôle qu’avaient joué les femmes dans notre évolution civilisationnelle. Du coup, s’il pose des questions fondamentales et y apporte des réponses intéressantes, il n’a pas pu aller jusqu’au bout de raisonnements qui auraient entièrement mis à mal ses croyances. Il n’en reste pas moins que, comme Sylvain Durain ou même Patrick Guillot (lui aussi à son corps défendant), son travail donne du grain à moudre aux positions antiféministes les plus extrêmes comme la mienne.
Pourquoi son livre devait être mal accueilli
Dans une démarche que j’ai aussi suivie, il cherche à prendre le féminisme au sérieux, comme mouvement social, mais il en ignore les auteurs. Comment faire autrement, pour ne citer qu’un exemple, quand un livre comme celui de Simone de Beauvoir, « Le 2ème sexe », sur lequel toutes les féministes modernes s’appuient, accumule les bourdes historiques dès le début ? Il cite tout de même celui de Judith Butler « trouble dans le genre », mais pour constater son aspect ésotérique (il voit en elle une pythie). Pour lui, en auteur marxisant, matérialiste pour le dire autrement, les conditions environnementales auraient déterminé la structure des sociétés, plus que les discours. Leurs différences entre elles seraient issues d’une complexité obscure, alimentée notamment par l’altérité sexuelle et au pire par les croyances religieuses. Nous suivrions une sorte de progrès humain issu de la concurrence entre modèles familiaux et économiques plus ou moins performants/adaptés/forts.
S’il ne définit pas clairement son moteur de l’histoire, Emmanuel Todd n’en pose pas moins des constats matériels difficiles à contester. Et c’est là que le bât blesse pour ses coreligionnaires gauchistes. Son étude en arrive à la conclusion que nous serions arriérés en occident, du strict point de vue anthropologique, du fait de la persistance d’un système matridominant duquel nous aurions été incapables de sortir, et qui nous submergerait. Le progrès, dans l’histoire humaine, c’est l’homme. Difficile à concevoir pour nos sociétés féminisés qui se targuent de promouvoir « la » femme et y voient là l’alpha et l’oméga de leur avenir.
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Comme je le soutiens depuis des années, le premier des archaïsmes, c’est la position totalitaire des femmes dans une société donnée. L’arriération de certaines sociétés masculines intervient dans un second temps, quand elles stoppent d’elles-mêmes les progrès qu’elles avaient enclenchés. Et de nos jours, il est difficile de ne pas constater combien les femmes dominent la nôtre, de plus en plus. Lui-même s’appuie sur les taux d’activité féminins ou encore le niveau d’instruction entre les sexes pour montrer combien cette évolution est profonde et ancienne. De nos jours, notre classe moyenne est dominée par des femmes qui choisissent des maris moins instruits qu’eux (hypogamie) avec qui elles restent toute la vie. Cette classe conteste la persistance d’un pouvoir masculin très minoritaire tout en haut de l’échelle sociale. En bas, les pauvres ont vu leurs structures familiales imploser à cause d’attentes hypergames féminines.
Ici, il ne résout pas la contradiction entre le vécu hypogame des femmes de la classe moyenne et les attentes hypergames du prolétariat. Et pour cause, notre marxiste ne veut pas renverser son raisonnement et comprendre combien des choix familiaux délétères sont générateurs de pauvreté. Les femmes de la classe moyenne appartiennent à la classe moyenne surtout parce qu’elles sont capables de supporter la présence d’un homme à leurs côtés, même moins instruit, de génération en génération. A l’inverse, les mœurs instables et le tout sexuel des pauvres, les a conduit minutieusement à l’auto-destruction, une auto-destruction promue par la pseudo « libération sexuelle » de ces mêmes classes moyennes qui ont fini par abandonner leurs grandes idées et se réfugier dans le mariage.
Autre blasphème d’Emmanuel Todd, il constate que ce pouvoir féminin s’accompagne d’une désindustrialisation des sociétés concernées. Il le regrette, mais il ne va pas jusqu’au bout de son raisonnement. Certes, il observe que la fonctionnarisation de la société est majoritairement féminine, mais il oublie de faire le parallèle avec nos résultats économiques. Peu ou prou, cette tertiarisation en faveur des femmes, coïncide avec une augmentation de l’endettement public chez nous. Nous ne produisons plus que du vent, et nous vivons d’un racket politique et monétaire sur les pays en voie de développement. Ce racket est en train de prendre fin sous nos yeux suite à l’affaire ukrainienne. Emmanuel Todd le pressent quand il termine son livre en évoquant les dangers d’un monde féminisé où nous consommerions tandis que nous serions dépendants de nations productrices à dominante masculine. Or ce constat aurait dû l’amener beaucoup plus loin. Nous sommes incapables de résister économiquement aux sociétés masculinisés, mais nous sommes aussi incapables en interne, de nous perpétuer. Emmanuel Todd souligne bien que les taux de fécondité des pays féminisés baissent pour rejoindre ceux des pays masculinisés et productifs. Mais il n’envisage pas notre remplacement par des populations patridominantes au moyen d’une immigration voulue par les femmes. En somme, il ne veut pas affirmer que le féminisme nous détruit en interne et en externe, que le féminisme est un générateur intrinsèque de déséquilibre et de chaos. Il ne comprend pas non plus comment le féminisme de 1ère et de 2ème génération devait nous amener à celui de 3ème génération qu’il abhorre tant.
De même, s’il relie assez bien le manque d’esprit collectif actuel au tout féminin, il ne le corrèle pas bien à l’augmentation du poids de l’état. Certes, il constate qu’un effondrement de l’autorité masculine appelle à une augmentation de la représentation publique, sans toutefois en décrire les mécanismes comme je le fais dans mes articles car il omet de faire cette distinction cruciale entre personnel et général. Contrairement à ce qu’il avance, les femmes ont bien le sens du collectif, mais à un niveau personnel, ce que j’appelle l’effet ruche. Quand Emmanuel Todd termine son ouvrage en en appelant aux femmes pour qu’elles se mettent au service du collectif, il ne comprend pas que pour elles, c’est déjà le cas, et que leur conception du collectif est tout simplement différente de celle des hommes, raison pour laquelle la majorité d’entre elles restera inapte à gérer les affaires publiques. Le mythe de la femme politique qui serait une bonne gestionnaire parce que détentrice des cordons de la bourse familiale, est et restera un mythe (voir Angela Merkel). Les femmes ont plus l’habitude de dépenser que de produire, surtout dans leurs boulots de fonctionnaires.
Autre point négatif du livre, la tentative d’Emmanuel Todd de relier systèmes familiaux et politique, avec le rôle des femmes dans la famille, reste inaboutie. Il perçoit désormais le contrôle féminin sur l’enfant. Il ne voit pas en quoi il est à la source de toutes les tyrannies, sous-estimant cette question intime qui est nouvelle pour lui. Le trait commun de tous les communismes, reste cette volonté contrôlante typiquement maternelle, cette aversion au risque, cette demande de sécurité, cette indifférenciation égalitaire qui aurait fait horreur à tout chasseur. L’homme ancien partage effectivement les fruits de la chasse. Il n’en est pas moins une individualité forte, qui sait reconnaître la valeur de ses pairs et les différences qu’il y a entre eux. L’exercice du pouvoir par des hommes communistes, et leurs capacités techniques, ne dit rien sur les valeurs qui animent ces hommes, piètres chasseurs (chez nous, encore de nos jours, tous les chasseurs sont à droite, très éloignés de toute forme de communisme ou même de social démocratie).
Cherchant ici à lire dans le marre de café statistique, Emmanuel Todd ne perçoit pas combien les femmes sont omniprésentes dans les sociétés tentées par le communisme ou la social démocratie, sociétés qu’il définit parfois de type patriarcal et de niveau 1, comme pour le Japon, l’Allemagne ou la Russie. Très en dessous de la vérité, il ne voit même pas que le socialiste nazi Hitler a été élu par une majorité de femmes, plus que d’hommes. Ni comment l’alcoolisme russe est lié à un rôle prédominant des mères dans la société (tout comme l’alcoolisme/abstinence bretonne).
Notre auteur en termine par la question identitaire. Ici, je dois avouer qu’à l’identique du progrès social qui se fait par les hommes, il a mis des mots sur ce qui était encore flou pour moi. L’occident est traversé par une crise identitaire au sens premier du terme. Nous refusons de nous concevoir en tant que croyant, en tant qu’homme ou en tant que femme, en tant que citoyen d’un pays particulier. Ce nihilisme n’est pas de bon augure. Emmanuel Todd pense que la dysphorie du genre est un phénomène anecdotique et grossi par le féminisme. Au contraire, au vu de l’attitude de la nouvelle génération que je croise dans la rue, je pense qu’il a soulevé là un autre lièvre d’importance.
De plusieurs manières, le livre d’Emmanuel Todd a le mérite de mettre les pieds dans le plat. Appartenant au sérail, la portée de son nouveau positionnement n’en est que plus forte. Même si ce sérail avance bien doucement, le progrès est ici notable. Puisse cet auteur nous offrir de nombreuses années de recherche et nous donner autant de munitions afin de faire évoluer notre société vers un plus grand respect de la gente masculine, ce dont elle a urgemment besoin. Le pouvoir de l’intime a de grave conséquences quand il investit le pouvoir social. Cette perméabilité est actuellement notre principal problème.
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