La distinction usuelle dans notre société s’opère entre « être » et « avoir » comme le titre éponyme du célèbre documentaire. Il faudrait « être », tandis qu’il serait fâcheux « d’avoir » ou plutôt de se concentrer sur ses avoirs. Il y aurait bien à dire sur cette dichotomie, l’histoire dudit documentaire le prouvant suffisamment : l’instituteur désintéressé filmé dans l’exercice de sa profession ayant demandé à recevoir une bonne part du gâteau devant le tribunal suite au succès du film dans les salles.
Si cette dynamique entre « être » et « avoir » reste intéressante intellectuellement parlant, je pense que nous sommes passés à une autre opposition dans notre société post-catholique. Plus généralement, l’occident se pose la question « d’être » ou de « penser ». Le droit à « être » s’impose jusqu’à vouloir tuer toute pensée.
Voilà ce qui motive nombre de mouvements de notre époque, à gauche comme à droite d’ailleurs. A gauche, nous avons tous ces mouvements LGBTs qui cherchent à faire accepter les pratiques sexuelles comme autant de signes identitaires de l’individu, au nom du respect de la personne. Qu’importe que certaines pratiques relèvent de la maladie mentale et/ou tendent vers la mutilation des sexes, elles s’affichent, elles doivent s’afficher, et les jeunes enfants sont tenus de les accepter, si ce n’est de s’en imprégner. Lecture de contes par des transexuels, relativisation de la masturbation et tolérance à l’égard de l’homosexualité, les programmes ou les manuels scolaires autorisent chacune de ces pratiques inclusives qui doit être intégrée dans le spectre des possibles au nom du respect dû à la personne. L’autre doit nous devenir proche dans sa pratique étrange.
Nous avons aussi la « cancel culture », qui poursuit les auteurs passés et cherche à les rayer de l’histoire, ou à modifier leurs œuvres, parce que blessant la sensibilité de certains de nos contemporains. Qui a demandé que « dix petits nègres » d’Agatha Christie soit rebaptisé ? Quelques personnes offusquées dans leur sensibilité, principalement blanches. Cela a suffi.
A droite, les identitaires se placent dans le débat comme autant de personnes qui exigent le respect parce qu’elles sont blanches, nationalistes ou de telle culture. Elles aussi voudraient être respectées dans leur être.
Ainsi la gauche ne pense plus l’exploitation des humains de manière matérialiste, mais elle la dénonce à travers un personnalisme, un ensemble de ressentis individuels, qui n’ont plus rien à voir avec le pensé. Quant à la droite, elle a renoncé à penser les lois, et elle écarte la question religieuse, pour mieux défendre une sorte de génétique qui ne s’assume pas toujours. Si le nègre est possiblement offusqué, le babtou a aussi le droit de l’être.
Plus largement lorsque vous vous adressez à un tribunal, qu’une élection a lieu, ou que vos enfants sont instruits, l’être prend toute la place, contre le savoir, contre la politique, ou contre la justice.
Devant un tribunal, la souffrance des uns et des autres prend toute la place, jusque dans le rendu. Certains procès sont d’ailleurs explicitement organisés pour soigner la souffrance des victimes, comme celui du bataclan. Le seul terroriste rescapé de cette époque a eu beau répété qu’il s’agissait des suites de la guerre entretenue par la france en syrie, personne n’a voulu l’écouter. La presse l’a accusé de s’enfermer dans une sorte de mutisme, parce qu’il ne voulait pas exprimer sa haine de l’humanité, ou son repentir. En somme, le dernier qui essayait d’introduire un peu de pensée dans ce procès, c’était le terroriste lui-même !
Menée par son émotion, la population française a refusé d’envisager que les assassinats commandés en territoire étranger par son gouvernement pourraient se retourner contre elle. Et l’administration était d’autant plus outrée que les dits terroristes avaient osé remettre en question la sainte autorité de l’état français. Comme si nos ennemis dussent glorifier nos actes de guerre.
Si le Français est de nos jours, incapable de se remettre en question, il le doit à la place qu’il accorde à l’être. Puisque l’être est tout, celui qui porte atteinte à un être est un monstre. Qu’importe dès lors, les morts qu’il ne connaît pas. Pire, la mort des uns ne peut justifier la mort des autres. Les autres, ils n’ont pas le droit de se défendre, car justement, nous, nous défendons la personne, nous défendons l’humanité. Et au nom de cette quête, tout est permis. Ici, rien de neuf depuis la révolution française.
Lors des élections, c’est encore plus caricatural. Le personnel politique n’est surtout plus élu sur des idées, mais parce que la personne est plaisante.
Lorsqu’il n’est pas élu, c’est parce qu’il est soupçonné de vouloir opprimer les sentiments des uns et des autres. L’immigration n’est plus pensée. L’immigré si. Celui qui s’oppose à l’immigration, est accusé de facto de s’opposer aux immigrés. C’est un facho. Exit la prise de décision politique au nom du respect des personnes. Plus encore, pour gagner les élections chez nous, il ne faut surtout plus faire campagne. Afficher ses idées, ça pourrait être clivant. L’idée fait peur car elle suppose le débat d’idées, donc la confrontation d’idées, donc la défiance entre personnes, et que l’unité est recherchée pour elle-même. L’unité, c’est l’être, l’individu incapable de se dissocier de l’idée énoncée, la sienne ou celle des autres parce qu’il appartient à une génération d’enfants mal sevrés, et qu’il se confond encore avec ce qu’il pense. Il confond être et pensée, et peu sûr de lui dans son être, il refuse de penser. Pour cette même raison, il veut aussi se confondre avec la société, ne faire qu’un avec elle. L’être redevient la tribu, toujours par souci d’unité, et de sécurité. Il regagne ainsi une identité tout en perdant sa civilité, tout en perdant en civilisation.
L’école publique occidentale n’a plus comme priorité d’apprendre à lire-compter-écrire. Elle voudrait d’abord transmettre des « savoirs être », préalable à toute instruction pour elle. Cette instruction est donc délaissée au profit d’une formation morale qu’elle juge plus valorisante, basée sur le respect de l’être. Si tout le monde se respectait dans cette société, apprenait à « vivre ensemble », il n’y aurait plus de crime, et de famines. Nous nous entendrions tous, nous apprendrions facilement, et ce serait le bonheur sur terre, parce que nous nous respecterions les uns les autres, dans notre être.
Tout autour de vous, observez, vous ne verrez plus que l’annihilation de la pensée sous prétexte d’être. Le masque inutile et dégoûtant, le vaccin meurtrier, le confinement débilitant, n’ont pu s’imposer autrement. Il fallait sauver l’être car la pensée ne servait plus à rien dans ce cas. Elle était même jugée comme d’une menace pour l’unité nationale, « guerre contre le virus » oblige. Dans ce genre de période maudite, les êtres faibles peuvent enfin assouvir leur penchant pour l’inconscience, au nom de la défense d’un peuple, soit d’une multitude d’êtres. Et les politiques savent jouer de ce sentiment. Ils aiment à le favoriser pour le bien ou le mal : « tous vaccinés, tous protégés » affirme-t-on d’une simple injection magique, de surcroît expérimentale. Comme juste avant 1914 en france. Il aurait mieux valu réfléchir un peu plus en 1870.
Le tout « être » dans notre société, c’est l’écrasement par le féminin. Le féminin qui engendre la vie, ne supporte pas que des proches soient blessés, même dans leur être. Ce genre de blessures dans la famille, signifie la fin de la famille. Et quand le féminin impose sa loi dans l’espace public, il plaque sa vision de l’intime sur les débats, et ne tolère plus le non-respect de l’être, jusqu’à l’absurdité. Alors le pensé masculin n’a plus de valeur. Et les campagnes électorales, les débats devant les assemblées ou la guerre même, ne doivent plus avoir d’odeur. Reste les petites phrases et le totalitarisme pacificateur. Rassurez vous. Les gens sont toujours tués, les peuples exterminés, mais au nom de la sauvegarde de l’être, loin, pour défendre des valeurs sur lesquelles nous ne nous interrogeons plus et qui donc deviennent toujours plus médiocres. Le tout-être n’a pas signé la fin de la guerre, mais l’hyperinflation de son hypocrisie.
L’abus d’être n’empêche pas les femmes de se combattre entre elles. Car pour les anciennes, l’être repose encore sur une base biologique. Quand JK Rowling affirme qu’une femme possède un utérus, elle est vertement mise au pas, aussi célèbre soit-elle. Les rétrogrades dans son genre sont accusées d’être essentialistes et de réduire la femme à son aspect biologique. Or pour les nouvelles défenderesses de l’être, tout est construction sociale. pas question d’inclure des considérations génétiques dans la définition de l’être féminin. Le corps n’est pas un donné, mais le fruit d’une exploitation patriarcale dont il faudra se délivrer.
Cette logique de l’être qui s’oppose au féminin est bien celle des femmes, mais poussée jusqu’à son aboutissement. Celles qui ne s’y retrouvent plus actuellement sentent que l’être devient danger pour leur être. Ainsi les sports féminins sont investis par des hommes déguisés en femmes, et les protestations se multiplient. Il est très étonnant de constater combien la venue de ces travestis n’a soulevé aucune indignation à l’époque, beaucoup de femmes étant persuadées qu’il n’y avait pas de différences physiques entre elles et les hommes, nostalgie du pénis oblige. Le résultat prend parfois les aspects d’une correction donnée par papa assez jouissive :
L’être, cela inclut « émotionnel », ingérable dans l’espace public, fin de la pensée, car quand hommes et femmes se confondent, qu’il n’y a plus de différences entre espace social et intime, il reste la mère pour rassurer. Alors la personne n’accède plus au statut d’individu. Elle est être intime et être social à la fois. Elle se veut femme et rate en tout, parce qu’elle se gargarise d’être tout. Etre homme ça se conquiert. Etre femme c’est renoncer.
L’être a tué la pensée car cette dichotomie s’est imposée dans l’espace social, alors que l’être aurait dû en rester à l’intime, et la pensée en rester au social. L’hubris féminin accomplit en ce moment même ses ravages. Au nom du respect de l’immigré, nous rétablissons l’esclavage des travailleurs pauvres. Au nom d’anomalies génétiques sexuelles rares, nous troublons tous nos enfants. Au nom des sensibilités de chacun, notre administration généralise la censure. Chacun d’entre nous peut se sentir agressé par la parole d’un autre, aussi bénigne soit-elle. Dès lors, la censure n’a plus de bornes, ou plutôt, la parole est autorisée si elle conforte les institutions en place. Au nom du respect des races, les races n’existent plus. En même temps c’est une gloire d’être nègre (mouvement black lives matter et compagnie), en même temps, il vous est interdit de parler de négritude en tant que blanc, sauf peut-être, dans ses aspects positifs, et encore. L’accusation de néo colonialiste n’est jamais loin. Or la pensée, ne se défie-t-elle pas de toutes ces catégories, ou plutôt, ne les traverse-t-elle pas toutes ? Ne se construit-elle pas aussi par essais erreurs ?
Parler de différence, c’est risquer de choquer les personnes. Or la pensée vit de différences, d’oppositions et d’erreurs dépassées. Voilà pourquoi depuis que le culte de l’être s’impose dans notre société, la pensée se disloque. Comme il existe des lois physiques à petite et à grande échelle, il existe des lois différentes dans les rapports intimes ou sociaux. Vouloir imposer les unes dans l’espace des autres provoque le trouble. Trouble dans le genre, trouble dans l’identité, trouble dans la société.
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