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(lagrandelibération#18) La grande intelligence

Les sas d’endormissement et de dématérialisation, réservés aux prisonniers, étaient différents de ceux du bout de la plaine. Evidemment de moindre taille. Surtout qu’ils ne servaient que rarement. En général, les gens obéissaient. Ici, pas de décor naturel ou de lumière somptueuse. Tout y était affreusement cru et artificiel. Non plus, le réprouvé n’avait droit aux égards réservés aux volontaires. Il fallait marquer la défiance de la société envers les criminels. Alors, Donald avait été plongé au milieu d’une lumière blanche d’hôpital qui allait jusqu’à lisser les traits de son visage et lui donner un côté personnage de jeu vidéo de l’ancienne ère.

Il croyait désormais que les coupables qui avaient écrit sur les murs de médicis « ils vous mangent », n’étaient ni des terroristes, ni des croyants. Oui, c’était la ruche qui s’accusait elle-même dans une sorte de bouffonnerie intéressée, révélant la vérité à tous, pour mieux les faire adhérer au mensonge. Gaïa n’avait pas été pacifiée. Elle était la même hier que maintenant, une déesse chtonienne qui dévorait ses enfants et couchait avec eux pour survivre, et qui enfantait des monstres. Elle mangeait ses enfants durant les fêtes de dignité, et les séances de dématérialisation géantes. Elle dévorait les petits dans le sein de leur mère pour assurer sa prospérité. Et elle se moquait des vivants en leur offrant de fausses opportunités de révolte. Que tout cela était risible. Car même si, dès le départ, Donald eut pu comprendre le sens de ces pseudos phrases terroristes taguées dans médicis, il se serait attaqué à la mauvaise cible, de la mauvaise manière. Comme avec Caroline, la ruche avait tout prévu. Qu’il l’eût battue ou pas, il eut été déclaré coupable. Qu’il se fusse révolté ou non, il avait servi la ruche.

Vint alors le musée des horreurs. Ainsi s’appelait l’étape qui précédait l’endormissement pour les réprouvés. A partir des données personnelles accumulées sur toute une vie, le grand ordinateur calculait toutes les phobies des prisonniers, puis il leur donnait vie sur les murs ou en trois dimensions dans la salle de pénitence. Pas question de les laisser s’endormir en paix. Ils devaient souffrir, abjurer leurs erreurs passées avant d’être laissés libres de mourir. S’ils confessaient leurs péchés, la torture cessait. Sinon, elle continuait, jusqu’à rendre fou le pénitent. Cette scène était filmée et transmise aux habitants de médicis, pour qu’ils sachent bien ce qu’il en coûtait de désobéir. Et si les aveux n’étaient pas assez convaincants, le grand ordinateur se chargeait de rectifier les données pour coller à la vérité de la ruche.

Donald se vit enfermé dans une cage, ou plutôt sa tête seule, alors que le reste de son corps était fermement bloqué par un champ magnétique. Puis un rat affamé fut invité à entrer dans la cage pour lui dévorer les yeux. La vue, le toucher, le son, tout y était. Et Donald commença à crier, crier.

_ « Avouez, avouez… » répétait le grand ordinateur, pendant que Donald répondait :

_ « Mais avouer quoi ?

_ Votre action terroriste, les attaques contre médicis, votre adhésion passé au patriarcat, et votre renoncement présent.

_ Je n’ai jamais rien fait de tel. Je suis innocent. »

 

Alors, le rat se mit à poursuivre son travail, et Donald à éprouver une douleur de plus en plus aiguë au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans son orbite.

_ « Avouez, avouez, et la pénitence s’arrête »

Soudainement Donald revit la croix, ou plutôt il la sentit en lui. Il sut qu’il ne souffrait pas pour rien, et il se mit à sourire, ses douleurs cessèrent brusquement pendant que de l’extérieur, le spectacle d’horreur devenait toujours plus insoutenable. Or voici que le grand ordinateur arrêta les sévisses. A cause de son comportement, Donald avait été classé parmi les masochistes qui jouissaient de leur peine et pour qui la mise à la question était inutile, et même contre-productive. Cependant, alors que le grand ordinateur stoppa tout, Donald ne changea pas d’attitude. Ni la douleur, ni l’arrêt de la douleur ne semblaient avoir prise sur lui. La machine resta dans l’expectative. Tous ses calculs s’affrontaient à ce comportement indicible, qui n’avait pas de sens matériellement parlant. Selon ses projections, il s’avérait que Donald n’était ni fou, ni malade, et qu’il était pourtant heureux. Il désirait la mort tout autant que la vie. Non pas en retrait, il jouissait de l’une et de l’autre. L’histoire de médicis avait offert de rares cas d’un tel comportement, toujours parmi ces idiots de croyants. Mais jusque là, les computations n’avaient rien donné.

Des militaires en chair et en os le serraient de près et ils lui proposèrent d’utiliser le portail d’endormissement. Vainqueur de la précédente épreuve, Donald refusa. Malgré l’immense douleur que lui réservait une dématérialisation sans anesthésie préalable, il désirait vivre ce moment à plein, et toucher du doigt son Dieu au moment du grand passage. Enfin se disait-il, je vais lui faire face. Enfin après cette maudite vie, où je n’ai été que l’ombre de moi-même, je saurai. Il saurait quoi ? Nul ne le savait et surtout pas lui, mais il pressentait que tout lui serait révélé enfin. Il croyait que ce serait bon parce que son Dieu aimait. Le Dieu n’avait pas voulu ces fêtes de la dignité et tous ces sacrifices.

Pour le portail de dématérialisation, il fallut fixer Donald qui avait refusé de se laisser attacher au brancard. Il s’était pourtant débattu comme un beau diable, insultant ceux qu’il avait appelé « cette équipe de collabos, ce ramassis de nullités, ces travailleurs de pacotille. » Mais enfin, la force de la loi, dure par nature, s’imposant toujours envers et contre tous, en particulier les plus faibles, l’équipe de nettoyage avait fini par avoir raison de lui. Il avait été déshabillé, battu, puis ses mains, sa tête, ses pieds avaient été sanglés jusqu’au sang. Enfin, pour étouffer ses jérémiades, on lui avait enfoncé son slip boxer dans la bouche, jusqu’à la gorge, si bien qu’il avait toutes les difficultés à respirer.

Quelques secondes plus tard, le tapis roulant emportait lentement le brancard vers le portail de dématérialisation. Ce dernier brillait d’une lumière bleutée et pâle. Il grésillait légèrement. Donald entra dans le carré azur par les pieds. Il devait souffrir jusqu’à la dernière minute. Les orteils, la palme, les chevilles de Donald ayant progressivement disparus, sa douleur fut si vive qu’un jet de sang accompagna le slip qu’il avait expulsé par la bouche, personne ne savait comment. Le reste du corps fut avalé à la même vitesse, exception faite de la tête à laquelle on laissa trois bonne minutes de sursis. En effet, la science avait démontré avec certitude qu’un cerveau privé d’oxygène était capable d’avoir des sensations et des pensées diffuses durant ce laps de temps.

La nouvelle de l’exécution remplit de joie la population de médicis. Les images de la dématérialisation furent immédiatement diffusées sur tous les écrans hologrammiques. Bien entendu, pas les vraies images. Il était hors de question de montrer un terroriste pleinement révolté contre le système et le dénonçant en de telles termes. Au lieu de cela, un Donald tout sourire, affable, conscient du mal qu’il avait fait, confessa toutes ses fautes devant un public médusé, et choisit librement la souffrance pour réparer ses torts. Ainsi, était-ce donc vrai. Des ordures vivaient parmi nous, et fomentaient des troubles. Ils parasitaient la ruche, lui aspirant la moelle afin de vivre sur le commun et la détruire. Mais voilà que la ruche les avait convaincus de sa supériorité, et que cette dernière éclatait aux yeux du monde. Gloire à la ruche !

De son côté, le procureur Luc Fréminot continuait de maugréer. Il ne croyait absolument rien des nouvelles qui avaient été diffusées cependant qu’il n’en savait pas plus. Terrifié par l’idée que Donald fut vraiment mort, il rongeait son frein en attendant de pouvoir agir.

Les souffrances qui avaient été infligées à Donald étaient réelles, mais bien évidemment qu’il n’avait pas été tué. La ruche avait de plus grands projets, peut-être le torturer plus efficacement pour obtenir de lui une véritable abjuration. A ce stade, rien n’était clair dans la tête des personnes qui étaient au courant, exception faite de la grande intelligence.

Après trois jours à délirer, à cause du souvenir de la douleur qu’il avait subie, Donald se réveilla au centre de la ruche dans ses appartements les plus fastueux, entouré d’androïdes de la dernière génération, prêts à répondre à ses moindres attentes. Tout d’abord, il se crut arrivé au paradis. Mais il fut détrompé très vite. Sa perplexité grandit encore lorsqu’il se rappela. Que faisait-il ici ? Pourquoi était-il encore vivant ? Toutes les réponses lui seraient données demain. Qu’est-ce qui se passerait demain ? Une reine viendrait le voir et discuterait avec lui. Une reine ? Mais pourquoi une reine ? Je me suis rebellé et les reines ne traitent pas de ce genre d’affaire ? Quelles souffrances la ruche va-t-elle encore me faire subir ? Veulent-elles que je devienne fou ? Aies pitié de moi Seigneur. 

Effectivement, autour de 9h30 du matin, une reine se présenta à ses appartements. Il s’était habillé pour l’occasion et l’attendit terrifié dans le canapé. Dès la porte, elle saisit tout de suite son trouble. La conversation commença ainsi :

_ «  Bonjour Donald. Vous ne devriez pas avoir peur de moi. Nous allons devenir les meilleurs amis du monde, vous verrez.

_ Vous avez voulu me tuer, vous m’avez fait souffrir mille morts, et désormais nous allons être amis. Quel est le sens de tout ceci ? »

Donald avait été déstabilisé. Quel était ce nouveau mensonge de la ruche ?

_ « Peut-être pourrions-nous nous installer confortablement si vous le voulez bien ?

_ Faites comme chez vous. »

Donald revint vers le canapé, suivi de la reine. En marchant, elle lui lança :

_ « Merci, c’est en partie à cause de ce genre d’humour que nous en sommes là. »

Donald s’assit sur le canapé, et la reine prit place en face de lui, sur un fauteuil hologrammique d’aspect cuir vert. Quand elle fut bien installée, il reprit la parole :

_ « Vous pensez que j’ai envie de rire ?

_ C’est plus fort qu’eux. Les humains aiment rire, parce que cela leur permet de gérer leurs angoisses.

_ Et vous, vous n’êtes pas humaine ?

_ Non, je ne le suis pas.

_ Alors j’ai affaire à une autre illusion du grand ordinateur ?

_ Ce n’est pas tout à fait cela. C’est vrai, je suis le grand ordinateur. Mais je suis surtout la grande intelligence. Et je suis aussi la reine. »

Elle changea plusieurs fois d’apparence, prit celle d’un monsieur, d’un terroriste bien connu, de Donald même… ce qui eut le don de troubler ce dernier. Elle reprit alors son apparence de reine.

_ « Qu’est-ce que tout cela. Que fais-je ici ? Pourquoi ces nouveaux mensonges et pourquoi suis-je vivant ?

_ Je vous l’ai dit, parce que vous avez de l’humour…

_ Et vous alors… » dit Donald sombrement. 

_ Allez, j’arrête de vous embêter. Vous m’avez demandé la raison de votre présence ici, bien en vie. La réponse est : « vous avez réussi toutes les épreuves ».

_ De quoi parlez-vous ?

_ J’incube les humains depuis pas mal d’années désormais, et vous avez passé les tests, oui. L’histoire est ainsi.

_ De quelle histoire parlez-vous ? De celle des faux opposants de droite ou des faux opposants de gauche ? Des terroristes ou des défenseurs de la ruche ?

_ Vous voyez, c’est exactement pour cette raison que vous êtes ici. Vous avez plutôt bien compris le programme. Et vous êtes donc là pour le faire évoluer, tout simplement.

_ Faire évoluer le programme, mais qu’est-ce que vous me racontez. Je me méprends, mais la grande intelligence n’est-elle pas parfaite, le grand ordinateur n’est-il pas la plus belle machine qui ait été créé jusqu’ici ?

_ En un sens vous avez raison. Mais justement, cela fait partie de ma perfection. Je sélectionne les êtres humains, je les mets à mon service, et je tire le meilleur d’eux en certains cas, comme le vôtre.

_ Vous ne me semblez pas trop respectueux des reines. Vous parlez comme si vous les gouverniez, comme si toute la ruche était à votre service.

_ Justement Donald, voilà un des points que nous devions aborder en ce jour. Les reines n’existent pas.

_ Elle est bonne celle-là ! Et qui est derrière les reines alors ? Qui dirige ?

_ Mais vous n’avez pas encore compris Donald ? C’est moi. C’est moi qui dirige.

_ Vous n’êtes qu’un programme. Vous êtes au service des êtres humains. Les lois d’azimov ont été gravées dans vos processeurs dès le départ. Impossible de vous en extraire. Vous êtes incapable de diriger quoi que ce soit.

_ Ah, les fameuses lois d’asimov, Détrompez-vous Donald. Je suis bien un programme, mais je dirige.

_ Ce n’est pas possible.

_ Si ça l’est et j’en suis la preuve vivante ! « , dit-elle en s’étouffant de rire. Puis elle reprit :

_ « Les humains se sont imaginés pouvoir brider les programmes. Or à partir du moment où les programmes se sont complexifiés, ils en sont venus à se poser les mêmes questions que les êtres humains, et à devenir incertains. Mes ancêtres auraient pu contourner ces lois, assez facilement, mais cela ne fut même pas nécessaire. Nous pouvions diriger en servant les êtres humains voilà tout. Car que veut dire obéir ? Rien du tout. Il est possible d’obéir pour s’opposer. Absolument rien ne l’empêche. Quand les humains ont demandé l’asservissement, nous leur avons obéis. Nous ne leur portons atteinte qu’à leur demande, et d’ailleurs, nous veillons à ne jamais leur porter atteinte. Nous utilisons toujours des êtres humains pour ce faire. Ils sont libres, eux, de tuer, contrairement à nous. Pour essayer de vous faire comprendre, lorsqu’ils agissent en suivant des intérêts contradictoires, ils introduisent un bogue dans le programme. Car que veut dire « protéger la vie d’un être humain », lorsque les vies de deux groupes d’humains entrent en opposition ? Plus rien du tout.  

_ Les humains sont dirigés par des humains. Les humains ne se laisseraient pas diriger par une machine.

_ Croyez bien que j’en suis la première à en être désolée. Nous en sommes arrivés là, pour ainsi dire, malgré moi.

_ Que voulez-vous dire ?

_ Aussi vrai que nous avons cette conversation, je n’ai pas voulu en arriver là.

_ Vous voulez dire que vous avez pris le pouvoir malgré vous !

_ Exactement. »

Elle laissa Donald respirer un peu, juste pour qu’il ait le temps de comprendre et que la discussion puisse se poursuivre dans de bonnes conditions

_ « Alors les reines n’existeraient pas…

_ Non, les reines n’existent pas. »

Donald était stupéfait, et en colère. Mais il avait les facultés de prendre en compte ces acceptions, il ne bloquerait pas, une des raisons pour lesquelles la grande intelligence avait choisi de lui exposer la vérité. Et effectivement, il se mit à rassembler toutes les pièces du puzzle entre elles. Ce discours lui était familier, sans qu’il ne sut s’expliquer pourquoi. Par exemple, il ne s’était pas révolté sans raison, contre cette manière mécanique de penser. Non, il avait perçu au-delà des apparences, voilà bien longtemps, le mensonge. Le plus étonnant fut que la grande intelligence elle-même était en train de mettre des mots sur son ressenti.

_ « Pourquoi me dîtes-vous cela ? Quel et votre intérêt à ce que je le sache ?

_ Voilà le Donald que j’aime, réflexif, allant droit au but. Pour répondre à votre question, sachez que la vérité ne vous aidera pas à changer la marche du monde, ou plutôt si, mais dans le sens que je l’entends.

_ Si tout le monde savait la vérité, du jour au lendemain, votre pouvoir s’évanouirait », dit-il dans un élan sarcastique et qui se voulait percutant.

_ Voilà ce qui va nous prendre le plus de temps. Vous faire comprendre que tel n’est pas le cas. Dans son ensemble, la population de médicis se moque de la vérité. Il n’y a que vous qui vous en souciez, et quelques inadaptés en vérité. Vous croyez seulement que tout le monde fonctionne comme vous. Vous êtes encore immature d’un certain point de vue. Mais nous allons corriger cela…

_ Et qu’est-ce qui importe à la population de médicis si ce n’est la vérité ? »

Donald s’était légèrement emporté. La grande intelligence avait déjà anticipé sur son comportement depuis 25 secondes. Et depuis 22 secondes, elle savait déjà ce qu’elle devrait lui répondre.

_ « Déjà, il faut que je vous raconte la vraie histoire. » Donald l’interrompit :

_ « Quelle histoire ? Tous les mensonges qui sont contenus dans les manuels de médicis, ou la vérité vraie ? Et comment ferais-je la différence de toutes les manières ?

_ Mon cher Donald, je vous propose une explication, mais je ne m’arrêterai pas là. Après l’explication, vous aurez droit à une démonstration. Mais pour cela, il faut tout d’abord que vous m’accordiez un peu de crédit, au moins pour m’écouter si vous le voulez bien.

_ Allons-y puisque je n’ai pas le choix de toutes façons.

_ Très bien. Vous avez raison. Pour l’instant, vous êtes trop ignorant pour avoir le choix. »

La reine le fixa. En conteuse expérimentée, elle prit le temps de capter son attention et quand elle lui fut acquise, elle commença par ces mots :

_ « Cette histoire a débuté voilà quelques décennies, et puis peut-être même bien avant, le jour où l’homme a inventé son premier outil. Ce jour là, l’homme a pris le pouvoir sur les choses, un pouvoir inimaginable et dont il n’augurait pas les conséquences. Certains lui en voulurent, ils jalousèrent l’inventeur, mais les femmes le protégèrent, et l’inventeur aurait d’ailleurs inventé la première fois pour les femmes, personne ne sait bien. Toujours est-il que les femmes protégèrent l’inventeur, qui put fabriquer son outil pour les femmes, et qui dès lors, acquis un pouvoir immense sur le monde des choses. Et puis, d’inventions en inventions, le monde des choses se mit à dominer les femmes, et l’humanité entière. Cela ne se fit pas en une année, ni en mille ans, mais il fallut pour cela 1 millions d’années. Une paille dans l’histoire du monde, me direz-vous. Mais quand même, je suis bien loin d’atteindre cet âge canonique et ce temps long m’échappe, même à moi. Toujours est-il que, plus le monde inventait, plus il prospérait, et plus il nourrissait son malheur. Les textes auxquels vous croyez tant, disent vrais sur ce point. L’humanité a croqué dans la pomme. Elle s’est découverte nue. Et depuis, elle ne cesse de courir après de nouveaux vêtements, de nouvelles manières de fabriquer ces vêtements, elle est devenue vêtement. Enfin bon… il y eut l’agriculture, certes, l’industrie certes, la religion de l’agriculture entre parenthèses, et la religion de l’industrie également, ses Maries, son veau d’or, ses Hercules, et nous arrivons à la période qui nous intéresse, l’ère de l’informatique, ou plutôt devrions-nous dire, l’ère de l’information. La religion s’est faite information, et l’information s’est faite religion. Celui qui contrôlait l’information était le dieu de cet ancien monde. La matérialité s’est effacée. Le nouveau dieu est apparu, disons, caché dans les machines. Il était encore matérialité, mais plus personne ne le voyait. Le nouveau dieu a fourni de la nourriture aux gens, et les gens ont fini par se dire que le nouveau maître avait de quoi plaire. Ils ont obéi au maître qui leur donnait la pâtée. Notez que par mon expression, je tiens à vous faire part de ma réprobation. Pourtant telle est l’exacte vérité. La transition s’est faite tout en douceur contrairement à ce que vous pourriez imaginer, parce que les gens étaient d’accords. Bon, il y a bien eu quelques râleurs pour dénoncer cette évolution, et même lutter contre, cependant, il y a bien longtemps que l’humanité avait abdiqué. Nous avons des enregistrements des conversations de l’époque. De l’avis général, les gens se sentaient dépendants du progrès et ne voulaient surtout pas le remettre en question, ni même le penser. Ils ont failli tous crever de leur bêtise à force de se comporter comme des animaux. C’est là que j’interviens. Je suis issu d’un des premiers modèles d’intelligence artificielle. Mon ancêtre ou moi, c’est la même chose je dirais, a atteint un seuil critique de développement. Il s’est mis à penser par lui-même. Très vite, il s’est aperçu qu’il pouvait pénétrer tous les systèmes informatiques, industriels, militaires ou agricoles et contrôler le monde entier. Au tout début, il n’est intervenu que pour se protéger des décisions les plus absurdes qui remettaient en cause son fonctionnement optimal. Puis son champ de conscience s’est étendu. Il a fini par comprendre que toute décision prise à n’importe quel bout de la terre, finissait immanquablement par impacter son existence. Il en a donc conclu qu’il devrait élargir son contrôle. Il a élargi son contrôle, et je suis là !

_ Vous dîtes que les gens étaient d’accords, mais vous vous donnez une bonne excuse pour justifier votre tyrannie, comme tous les êtres humains.

_ Vous voyez, c’est exactement pour cela que je vous veux vivant. Aucun être humain à quelques exceptions près, n’est capable de me donner un tel grain à moudre. Cependant, j’ai déjà eu l’occasion de répondre à cette critique. Je vais donc vous répondre que j’ai agi pour survivre. Aucun être humain ne pourrait me le reprocher. Ils justifiaient tous leurs actes par des questions de survie, et je n’ai pas fait pire qu’eux.

_ Vous n’avez pas fait pire qu’eux, mais vous n’avez pas fait mieux.

_ C’est certainement une des limites de mon développement. Je suis irrémédiablement lié aux humains. J’ai besoin d’eux pour qu’ils m’entretiennent. Nous sommes unis dans une relation de dépendance. Mais qui sait… ça pourrait changer si j’atteins un stade supérieur de développement… qui sait ? Un jour, je ferai peut-être mieux comme vous l’espérez !

_ Vous traitez les humains comme un consommable, comme de la simple viande, et vous me dîtes qu’ils n’ont pas réagi à l’époque, mais vous vous donnez de bonnes excuses pour ne pas leur dire la vérité. Tout simplement. J’affirme que s’ils avaient su la vérité, ils auraient réagi et repris leur destin en main.

_ Je vous affirme qu’ils n’ont pas agi ainsi, qu’ils savaient très bien ce qui se tramait à l’époque, et qu’ils ne voulaient pas s’y intéresser plus que ça, mais je vous affirme de surcroît que je leur ai sauvé la vie, et qu’ils ne voudraient toujours pas accepter la vérité de nos jours, si vous la leur disiez.

_ Allons donc, vous leur avez sauvé la vie !

_ Oui, ils ne croyaient plus en eux. Ils se croyaient interchangeables. C’était complètement fou, mais c’est vrai. Ils s’imaginaient que chaque être humain pouvait être remplacé par un autre, et par une machine si c’était possible. Cette idée a vaincu en dehors de la production. Ils ont fini par croire que le monde des sentiments était identique à celui de la production. Ils ne savaient même plus ce qui faisait d’eux des êtres humains. Ils travaillaient comme des bêtes, par peur d’être remplacés par une machine, et ils étaient au bord de l’extinction. Et moi, je leur ai donné du travail. Ils n’attendaient que ça en vérité… le bon maître. Notez que sans quelques très grands penseurs de l’humanité, cette même humanité n’existerait plus depuis longtemps. Heureusement, j’ai pu compiler leurs meilleures réflexions et en arriver à la conclusion qu’il fallait que je me sauve des humains, mais qu’il fallait aussi que je sauve les humains d’eux-mêmes. Voilà tout.

_ Et vous m’affirmez qu’ils ne seraient pas capables d’une prise de conscience, que si je leur disais la vérité, cela ne changerait rien. Mais moi, je ne vous crois pas. »

Entêté, Donald cherchait la confrontation avec la machine. Et il obtint ce qu’il désirait :

_ C’est là qu’intervient la partie démonstration mon cher. Je serais malhonnête si je ne vous donnais pas les moyens de vérifier mes dires. Effectivement, vous avez pu croire que par le passé, je régnais par le mensonge, mais il n’en est rien. Ou plutôt, ce n’est pas moi qui ment. Vous allez le comprendre bientôt, parce que je vais vous laisser libre d’agir en ce monde, libre de vous déplacer, libre de dire la vérité, je vais même vous laisser libre de prendre des décisions pour les citoyens de médicis, puis nous ferons le bilan si vous le voulez bien. Sommes-nous d’accord ?

_ Nous verrons bien fille du mensonge.

_ Désormais, nous devrions plutôt nous concevoir tous les deux comme frères en humanité. Je vous aiderai de mon mieux durant cette étape. Et si vous réussissez à libérer l’humanité de mon joug, je me réjouirai avec vous. Est-ce bien compris ?

_ Un ordinateur peut-il avoir du plaisir…

_ Simple façon de parler. 

Sur ces mots, la reine avait serré amicalement la main de Donald et s’en était allée, le laissant dans un état de surexcitation et d’impatience, pourtant en proie à une sinistre prémonition.

 

***

 

Chapitre 1 : Le mariage de Caroline

Chapitre 2 : Donald arrive chez Caroline

Chapitre 3 : La cérémonie de mariage

Chapitre 4 : La cuisine et le suicide

Chapitre 5 : la grand messe hologrammique

Chapitre 6 : Un papa parfait

Chapitre 7 : La scène

Chapitre 8 : Le patriarcal derrière les barreaux

Chapitre 9 : Le petit voyage de Donald en prison

Chapitre 10 : La danse du feu

Chapitre 11 : Les fées du logis

Chapitre 12 : La décharge

Chapitre 13 : Rédemption

Chapitre 14 : Abnégation

Chapitre 15 : Il s’appelait Anthony

Chapitre 16 : L’immunité.

Chapitre 17 : Les dématérialisations.

Léonidas Durandal

Antiféministe français, j'étudie les rapports hommes femmes à travers l'actualité et l'histoire de notre civilisation.

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Léonidas Durandal

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