Durant les années 70, le mouvement hippie a tenté de mettre en place une société alternative. Cette idéologie reprochait aux sociétés occidentales leur consumérisme et même je dirais, leur rationalisme, auquel ses adeptes opposaient une vision poétique et affective de la vie. Un monde de bisounours dirions nous de nos jours, fait de paix et d’amour.
L’expérience n’a pas forcément échoué. Cependant, elle ne s’est pas développée non plus. Et ses fruits restent maigres. Des communautés survivent en France autour du plateau des mille vaches par exemple, des individus y croient encore mais ils déploient une énergie démentielle pour maintenir en vie cet idéal. La société alternative n’a pas vaincu, pourtant perdure-t-elle et est-elle même en train de se transformer.
Pour différentes raisons, des personnes en marge de la société la fréquentent et la nourrissent de nouvelles espérances qui évoluent au gré des changements sociaux. Car ces sociétés ne sont que le miroir de la nôtre. Qu’elles puissent avoir raison ou tort, n’est pas vraiment mon propos ici. Dans cet article, je vais surtout m’intéresser à ces nouvelles formes d’organisation issues du mouvement hippie, nous donnent à voir de nous, braves intégrés (pour combien de temps ?). Je vais m’appuyer sur l’histoire du groupe « One Nation » qui a défrayé la chronique dernièrement en désirant racheter des terres abandonnées, mais qui en a été empêché par les autorités publiques.
Le premier élément qui m’apparaît saillant concernant ces communautés émergentes, c’est leur radicalisation par rapport aux années 70. Avant, pleins d’espérances, leurs adeptes reprenaient des fermes abandonnées et si le voisinage était méfiant à leur arrivée, ils réussirent à faire leur trou tant bien que mal. De nos jours, la confrontation sociale entre marginaux et intégrés, est totale. Les nouveaux groupes ne sont pas indifférents à la société des intégrés, ils y sont franchement hostile. Et les institutions des intégrés le leur rendent bien.
Dans « One nation », il est de bon ton de brûler tous ses papiers d’identité, et d’enlever sa plaque d’immatriculation, mais surtout de renoncer à toute identification sociale. Alice Martin Pascual, une des principales représentantes de cette organisation, se fait désormais appeler Alice Pazalmar. Pour la reconnaître et l’identifier, toute la société, journaux compris, a été obligée de lui donner ce nom qu’elle s’était inventée. Alice a bien compris que l’esclavage ne durait tant qu’il était accepté. Et pour elle, cette société numérote ses membres pour mieux les oppresser. Ainsi nous montre-t-elle à voir le contrôle dont nous faisons l’objet en tant qu’individu, contrôle qu’elle juge totalitaire et qui prouverait donc son illégitimité.
Comme je l’ai déjà écrit, je ne veux pas me pencher sur qui a raison ou qui aurait tort dans cette affaire. Cependant force est de constater que le système républicain a joué les gros bras, avec des moyens disproportionnés, pour empêcher une toute petite initiative privée de voir le jour, foulant aux pieds le droit de propriété qu’il défend si âprement en d’autres circonstances. Les élus locaux et nationaux se sont alliés pour repousser l’implantation de “One nation”, en caricaturant cette communauté.
Nous sommes un des pays dits démocratiques les plus restrictifs en matière de liberté religieuse. Si la dérive sectaire de « One nation » avait été avérée, cette organisation aurait été condamnée devant les tribunaux. Tel n’a pourtant pas été le cas. Il faut croire qu’elle respecte la loi, mais que nos institutions ont eu la prétention d’aller au-delà d’un périmètre légal pourtant déjà large. Ainsi, la réaction des dites institutions a validé l’hypothèse de départ de « One Nation ». Nous vivrions effectivement dans une société républicaine qui interviendrait de manière abusive concernant les choix des individus.
Je veux ici souligner le phénomène mimétique qui se produit. « One nation » rejette un état républicain jugé illégitime (et pas seulement un état profond comme aux USA avec Qanon). L’état républicain outrepasse ses prérogatives pour imposer ses vues, et donne à penser aux membres de « One nation » qu’ils ont raison, ce qui renforce leur conviction et radicalise leur pratique, ce qui augmente à son tour la réaction de l’état.
« One nation » met donc l’état républicain français face à ses contradictions dont la principale de celle-ci : l’état républicain serait garant de nos libertés. A l’évidence, « One nation » réussit à prouver le contraire et sape les fondements de nos institutions bien plus qu’elles ne se l’imaginent.
Les mouvements comme « One nation » sont une sorte de mérule. Comme la mérule s’attaque aux bois des maisons humides, ces mouvements prospèrent sur la corruption de nos institutions. Si la corruption est généralisée, la maison devient impraticable, voire risque de s’écrouler. Une réaction saine serait de traiter les causes de l’humidité. A l’inverse, si dans une maison humide, vous remplacez les bois, mais que vous laissez l’eau s’écouler sur les murs, inutile de dire que vous devrez bientôt reprendre à zéro votre travail et ceci indéfiniment. Ainsi pour « One nation », l’état devrait se demander pourquoi des individus en sont arrivés à rejeter de toutes leurs forces un état providence qui assiste pourtant ses membres avec insistance. Au lieu de cela, il semble que l’état républicain français ait plutôt choisi de remplacer les bois attaqués sans remettre en cause son système d’aération.
En effet, comment comprendre que des individus en soient arrivés à ce point de détester une simple numérotation sociale ? Pourquoi se sentent-ils victimes de tout un système privatif, selon eux, de liberté, au point de faire sécession et de risquer la prison ? Les socialistes répondront qu’ils sont fous, que c’est l’estrême droate, que ce sont des illuminés sectaires, qu’ils sont minoritaires. Je trouve la réponse un peu simpliste.
Tout d’abord et contrairement à ce qu’affirme nos gauchistes, la filiation de ces mouvements relève évidemment de la gauche, de type hippie. Leur discours sur les grandes puissances libérales qui auraient corrompu l’état, est exactement celui d’un bon socialiste. Ces gens là sont nés en pays socialiste, ils ont été à l’école socialiste, ils ont baigné dans l’idéologie socialiste en allumant la télévision, et donc, comment auraient-ils pu s’en extraire aussi facilement ? Les intellectuels comme moi sont censurés, et toute initiative provenant d’une droite réelle, aussi petite soit-elle, est combattue et rejetée avec force (dissolution de l’Alvarium ou de génération identitaire ou du bastion social etc…). Dans ce cadre ces personnes n’ont pas pu structurer complètement un discours d’opposition droitard et elles se sont établies dans une sorte de ressenti.
Comme les matriciens sont les enfants monstrueux du féminisme, les adeptes de « One nation » sont ceux du gauchisme le plus évident. Nourris aux récits types « mystérieuses cités d’or », dessin animé dans lequel les enfants négros, blancs, les mâles et les femelles font alliance contre le méchant état patriarcal blanc espagnol, et où une société autochtone en Amérique du sud (les Olmecs) bénéficie d’avancées technologiques considérables par rapport à l’Europe, où donc le savoir réel avait été caché au monde, comment par la suite reprocher à ceux-là d’y avoir trop cru ? (concernant les pyramides par exemple). La vision du monde de « One nation » découle exactement de ce genre de propagande où le père a disparu et a été remplacé par un chef de tribu étranger paré de toutes les qualités morales et matérielles (voir qui est le père d’Esteban dans le dessin animé). Le père européen est mort, mais son manque alimente le fantasme de le retrouver ailleurs, encore vivant et puissant, véritable contre-poids à une mère devenue ici omnipotente.
Les gauchistes qui reprochent à ces enfants de “One nation” d’avoir suivi leurs leçons sont sacrément culottés, eux qui préparent en ce moment même les futurs névrosés de demain. Pour reprendre l’exemple des mystérieuses cités d’or, la petite fille indienne de 1980 étant jugé trop stéréotypée (trop féminine) par nos gauchistes actuels, a été transformée en 2012 dans la nouvelle mouture, en mâle guerrière donneuse de leçons. Si vous rajoutez à cela l’immense production gauchiste netflix qui occupe presque tout l’espace, qu’est-ce que cela donnera dans 30 ans, je n’en ai aucune idée, mais je subodore le pire.
Si « One nation » reprend tous les codes gauchistes, il est vrai que la vache socialiste a bien du mal à reconnaître son petit veau tant il est rebelle à l’état. Le discours est de gauche, sur l’écologie, sur les frontières, sur l’argent, mais il aboutit à la destruction de l’état qui est à la base du contrôle socialiste. Et là, le gauchiste fait la moue. Il sait que l’état sert surtout de relais à ses idées, l’état républicain français moderne allant jusqu’à préférer assurer son contrôle social plutôt que d’assurer ses missions régaliennes. Alors s’attaquer à l’état sous prétexte de gauchisme lui semble un peu fort de café. Il se récrimine, il veut garder son pouvoir, et accuse « One nation » d’être des vilains d’estrême droate survivalistes, discours auquel “One nation” s’est rendu imperméable.
« One nation » tape effectivement là où ça fait mal, sur la souveraineté individuelle, notamment. Si l’état républicain était si respectueux des individus, pourquoi ne les laisserait-il pas vivre en dehors de l’état républicain ? Si l’état républicain français fonctionnait si bien, pourquoi aurait-il peur de la concurrence ? Si l’état républicain français était si respectueux d’écologie pourquoi ne laisserait-il pas vivre des personnes dont l’emprunte carbone est positive ? Si l’état républicain français était si respectueux des croyances privées de chacun, pourquoi chercherait le contrôle des consciences ? Etc etc.. Mais l’état républicain français n’est qu’une construction idéologique sans réel rapport avec le bonheur des individus qui sont sous le joug de ses lois. Et mis face à ses contradictions, plutôt que de les résoudre, l’état républicain français en appelle à la force de la loi pour défendre ses conceptions de la société, lois devenant dès lors, antisociales.
Pour nous civilisés, “One nation” et l’état républicain nous posent un problème qui n’a pas de solution. Soit nous choisissons la réaction tribale de “One nation” et nous renonçons à la civilisation, à ses institutions, à notre héritage. Soit nous défendons une république dont les institutions sont antisociales et qui sont donc, comme le précise “One nation”, illégitimes. Une personne saine est prisonnière d’une telle alternative.
Si « One nation » a une expression sentimentale du monde, les membres de cette organisation ont une idée assez exacte de son fonctionnement. Et il se sont donc adaptés aux penchants tyranniques de l’état républicain français. Pas question pour eux de parler clairement, de faire de la politique, ou de miser sur la rationalité. Ils ont intégré que ces domaines étaient piégés. Pour rester libres, ils ont donc adopté une attitude en conséquence et un discours qui va avec, sur lequel les gauchistes ont peu de prise, une sorte de mystique de la contestation. A la décharge de notre état, il est vrai que la contestation d’organisations comme « One nation » va finalement beaucoup plus loin que tout ce que les organisations dites d’extrême droite ont essayé de créer jusque là. Leur idéologie est beaucoup plus corrosive, ce genre de mouvement organique ne pouvant être dissout (à l’image de la religion mohamétane).
Mais quelle est réellement cette idéologie, derrière les faux semblants ?
Revenons aux individus qui dirigent “One nation” et voyons ce qu’ils disent d’eux-mêmes et la première de celles-là, Alice. Alice, au pays des merveilles. Alice qui semble avoir une vision enfantine du monde, avec une reine de coeur, mère, en arrière plan dont elle refuse le contrôle. Pourtant cette fille-mère ne lui a pas totalement échappé puisque qu’elle est fille-mère. Personne ne parle du père de ses deux filles. Le grand absent qui nous parle fort par son absence. Vous le reconnaissez ?
Et le nom de famille d’origine d’Alice ? Encore un de ces horribles double prénom qui tue toute filiation réelle. Alice a réglé le problème en se donnant un nom à caractère unitaire. Plus de double nom donc, mais un message contenu dans celui-ci et qui redouble la portée de ses choix idéologiques : Pazalmar. Soit littéralement du côté des langues d’oc, “pas de la mer”, qu’il faut comprendre comme “pas de la mère”. Acte de déclaration d’amour à son père s’il en est, et volonté de se situer dans la filiation de celui-là, et ceci jusque dans sa manière de se comporter : l’une des participantes à un de ses séminaires l’a bien vite compris en l’accusant de vouloir se comporter en “gourou” :
Je ne sais pas si elle se comporte en gourou, mais je suis certain qu’elle fait vivre le père/ le Père à travers elle.
Maintenant penchons-nous donc sur ce père. Normalement, celui-ci nous introduit à la société, et nous permet de nous y adapter. Ici, la dissonance est complète. Alice rejette la société au nom du père, parce qu’un père n’a pas le droit d’être illégitime et que cette société se comporte de manière illégitime, selon elle. Ecorchée vive, elle rejette toute forme d’injustice qu’elle vit de manière aiguë comme d’une attaque personnelle qui lui serait faite. Ainsi dans son imaginaire, le permis de conduire est-il vécu comme une atteinte à la liberté de se mouvoir, ce qui n’est pas faux a priori. Elle n’en perçoit plus le côté nécessaire et qui est celui d’avoir des règles communes dans l’espace public pour pouvoir se comprendre, se parler, comme d’un langage. La circulation est un langage, et il est préférable que nous ayons le même pour ne pas attraper d’accidents.
Seulement voilà, dans notre société, la multiplication des règles abusives et le racket fiscal obéré par l’administration, ont effectivement délégitimé le permis de conduire. Des personnes se retrouvent en prison pour avoir “mis en danger” la vie d’autres conducteurs, ce qui a priori, ne veut rien dire (dès que nous prenons le volant, nous mettons en danger la vie d’autres conducteurs, dont la nôtre). Le système étatiste s’est effectivement servi du permis de conduire pour étendre son contrôle sur les populations, et ceci à grand renfort de campagnes culpabilisantes et infantilisantes. Alice qui a la formation et le vécu d’une infirmière psychiatrique, l’a bien intégré et en réponse, propose le “pas d’état du tout” plutôt qu’un état de servage.
La question se discute. Vaut-il mieux vivre esclave ou en anarchie ? L’attitude esclavagiste de l’état fait donc écho à une réponse violemment libertaire de personnes comme Alice. Je n’entrerai pas dans ce débat, mais je note que si nous devons accepter les contraintes de vie en société, sans aucune protection de nos libertés individuelles, à quoi donc sert-il de vivre en société ? Autant revenir à l’état de tribu, et voilà justement le choix qui a été fait par Alice.
Personne complexe s’il en est, elle allie donc un côté entièrement tribal et une défense acharnée de la représentation patriarcale à travers son statut de fille, ce qui a priori, est complètement opposé. Elle est mère certes, mère omnipotente, et pourtant la fille parle en elle fort, et demande que le père soit le chef. A noter que pour l’appuyer sur ce chemin, elle s’est choisie un compagnon qui a opté pour le patronyme “Outlow”, ce qui phonétiquement pourrait se comprendre sans accent comme “en dehors des lois” mais qui se traduit par “peuplement”, soit le côté primitif, tribal et reproducteur de l’homme.
La vision tribale et civilisationnelle cohabitent donc dans “One nation”, le but étant de refaire table rase du passé et de refonder civilisation à partir d’une base saine, tribale. Comme toutes ces organisations qui croient réinventer l’eau chaude, “One nation” a la prétention de dépasser l’héritage humain actuel, jugé comme d’un échec, pour établir une société plus harmonieuse sur terre. Ce faisant, ses recrues ne bénéficient pas des expériences que nous avons menées, mais jugent devoir revenir à une sagesse ancienne plus saine et qui aurait été corrompue par notre monde moderne. Et au lieu de travailler à l’édification de notre société, ont-elles donc décidé de la laisser en chemin voire de s’y opposer puisqu’elle les empêche de vivre comme elles l’entendent.
Il est vrai que nous connaissons une crise spirituelle très profonde qui menace les bases mêmes de notre société. Nous nous sommes perdus en chemin, et des organisations comme “One nation” entendent bien reconstruire le “monde d’après” (expression d’ailleurs adoptée par nos dirigeants, qui eux-mêmes ne croient plus au monde présent, ni au monde d’avant).
Le fond de ces organisations est-il signifiant ?
Le discours idéologique d’organisations comme “One nation” ne doit pas spécialement être pris au sérieux. Il navigue entre conscience floue d’un complot ourdi par une oligarchie, et explications délirantes de phénomènes sociaux complexes (notamment pédomaltraitantes). Par contre, sa démarche adaptative, face au contrôle social dont nous faisons l’objet, me semble particulièrement intelligente. Elle permet de contourner le discours politiquement correct qui sert à perpétuer un contrôle social à tendance totalitaire. En cela “One nation” est libre de l’emprise des infox institutionnelles, ce qui permet à ses adeptes de gagner en autonomie de vie et de pensée. Certes, tout comme nos institutions, ils sacrifient la vérité à leur existence, ici en introduisant de l’affectif là où il devrait y avoir de la science, mais cette attitude leur permet de survivre psychiquement, d’espérer encore. Et bien de nos contemporains seront contraints de suivre un tel chemin si nos institutions gauchistes insistent en termes de décadence familiale.
Le père n’est pas que le père. Il est aussi relais et nourriture des institutions. Disparu, il ne peut être rétabli d’autorité par les individus ou le gouvernement. “One nation” tente maladroitement de recréer une forme de légitimité, d’autorité paternelle, avec presque uniquement des bases matriarcales. Difficile d’imaginer que cette recherche puisse aboutir. Cependant, notre état ne fait pas mieux. Son attitude déconstructiviste, volontairement anti-père, anti-patriarcale pour le dire avec ses propres mots, loin de commencer à s’attaquer à nos problèmes existentiels, les favorise. Voilà pourquoi “One nation” suscite la mansuétude de bien des hommes rationnels soucieux de politique. Eux qui devraient être les premiers à dénoncer la démarche, l’observent avec curiosité, voire commisération. “One nation” n’est que le symptôme d’une société qui va très mal, qui s’évertue à détruire toutes les frontières, puis qui reproche à des personnes de vivre en conséquence. Puissions-nous sortir de cette incohérence sans sombrer dans le chaos.
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