Le nouveau DSM5 (1), classement des maladies psychiatriques, m’a alerté une première fois. La notion de maladie psychiatrique y a quasiment disparu. Elle y a été remplacée progressivement par la perception que la personne avait de sa propre situation. En somme, le désir individuel y a pris le dessus sur les attentes sociales ou sur les limites personnelles. Je trouve proprement incroyable que des fantasmes personnels aient pu arriver à se retranscrire dans une grille d’analyse médicale.
Par quel procédé intellectuel en sommes-nous arrivés là ?
J’entends beaucoup de gens autour de moi, dire que nous allons vivre dans les années qui viennent, un « retour au réel ». J’ai de plus en plus peur que ce ne soit pas le cas. Au contraire, plus notre société se déconnecte du sens, plus elle se déconnecte de Dieu, plus je la vois s’enfoncer dans un délire mystique. Ce délire mystique prend des formes diverses et variées. Chez les psychiatres américains, l’homosexualité n’est plus un trouble de l’identité sexuelle, entre autre. Je vois également des personnes prendre très au sérieux leur horoscope. Ou bien d’autres qui réfléchissent, des personnes placées dans notre élite, abandonner toute logique au profit de mots creux, comme « égalité » ou « sens de l’histoire », comme si ces mots pouvaient contenir leur propre justification, comme s’ils ne nous dédouanaient pas d’une réflexion collective sur le chemin que nous désirerions prendre, tous ensemble. Non, ces gens qui se croient si libres individuellement, sont persuadés que, collectivement, notre sort est plié, qu’il est écrit dans les astres, que l’évolution est en marche et qu’au pire, si cette dernière est négative, elle est forcément inéluctable. Le petit nombre de personnes qui attendent un « retour au réel » n’est pas suffisant pour faire poids face à tous ceux qui se laissent aller, tous ceux qui vivent de ce système et qui ne veulent pas le changer, et surtout tous ceux qui sont partis dans un délire pour justifier leur fainéantise, leur absence de convictions, ou leurs intérêts immédiats. Riches, nous nous sommes déconnectés des conséquences de nos actes. Alors nous avons abandonné toute mesure face à Dieu, puis nous avons marché allègrement sur la création.
Il fut une époque où beaucoup de gens faisaient le mal, en se persuadant qu’ils faisaient le bien. Les Jésuites essayèrent de protéger les Indiens des marchands, mais les marchands exterminèrent les Indiens en toute bonne conscience. Puis, les marchands prirent définitivement le pouvoir. Leur société a vécu sur le dos des braves gens qui croyaient encore en Jésus. Ils ont eu le pétrole, et ils n’eurent plus aucune mesure, même le peuple abandonna sa religion, pour se donner à la religion du spectacle. Aujourd’hui, ceux qui sont crus aveuglément, malgré toutes les erreurs qu’ils accumulent, sont ces gens de spectacle qu’on appelle hommes politiques, accompagnés d’une troupe de saltimbanques subventionnés et d’artistes journalistes. Cette société du spectacle est en train d’être dépassée. Le spectacle ne suffit plus. Le spectacle est terminé. Plus personne ne peut croire objectivement à tous les bains de sang que les marchands ont provoqué. Mais le simple citoyen, perdu sans religion, veut continuer à croire. Il n’a plus rien d’autre. Il redevient immanent car si on lui enlevait ses objets d’idolâtrie, il serait perdu. Les gens de Jésus ne se sont pas assez mobilisés contre le mal et aujourd’hui, ils l’ont laissé prendre toute la place. Pour que le spectacle puisse continuer, une partie de la population est en train de basculer. Celle-là est en train de nous entraîner dans la société du fantasme. Ecoutez Freddy Mercury, chanter « show must go on » avant de mourir du Sida :
Mon âme est peinte comme les ailes des papillons
Les contes d’hier grandiront mais ne mourront jamais
Je peux voler – mes amis
Face à la réalité qui se brise, il n’y a que deux solutions : nous abandonner à Dieu, ou nous envoler. Cette chanson est du côté de l’obstination. Elle montre très bien la psyché d’un être pour qui la vie a perdu tout son sens, mais qui persiste dans un orgueil pathétique, romantique diraient certains. Ce cri est beau parce qu’il nous rappelle la révolte qui tient chacun d’entre nous au moment même de la mort. Nous cherchons tous une issue et un sens à cette vie, parfois avec violence. Mais les histoires que nous nous sommes fabriquées, les « contes d’hier » comme dit le chanteur, sont bien insuffisantes. Tous ces gens qui prennent la religion comme une belle histoire, oublient qu’ils s’en racontent de plus invraisemblables pour tenir. Allons donc, cet élan de vie contenu en nous n’aurait pas de sens, il ne proviendrait pas d’une entité qui nous serait supérieure, le sacrifice de Jésus et de tous les Saints qui l’ont suivi n’aurait pas de sens… ça, ce sont de vraies histoires que des enfants se racontent en eux mêmes pour se dire qu’ils sont grands. En tant que croyants, nous ne pouvons plus alimenter ces contes modernes qui se révèlent tous plus faux les uns que les autres. Ce fantasme est en train de nous emporter. Les sans Dieu sont en train de construire un monde parfaitement irréel, parfaitement délirant, un monde onirique, issu du spectacle, qui reprend les sentiments immortels en les laissant sans guide, au fil de leurs projections, dramatisées de toute pièce. Et pour cela, ils se donnent l’apparence de la science, car il ne leur reste que cela, la logique. Pourtant le délire finit par prendre le dessus, et la logique ne suffit plus. Le fantasme entretient le fantasme, maquille les chiffres, et le retour au réel s’éloigne d’autant plus que le réel est haï. Le délire est à la limite de devenir imprévisible.
Les femmes, objet privilégié de délires et de fantasmes.
L’un de ces délires est celui concernant les femmes, un délire qui est le plus ancien qui soit, mais qui se donne toutes les apparences du neuf et qui a atteint le stade terminal d’un cancer déclaré dans tout le corps social. La femme, l’être accueillant par nature, accueille toutes les psychés troublées, tous les fantasmes, depuis la nuit des temps. Les Hébreux ne priaient-ils pas la reine du ciel alors que cela leur était interdit ? Les premiers cultes n’étaient-ils pas rendus aux femmes ? Beaucoup d’anciens ont repéré cette difficulté et ont tenté d’établir des règles de fonctionnement social pour éviter à toute une société de basculer dans le délire de la déesse mère.
Aujourd’hui, ce culte a du mal à être proscrit. Il s’étend au fur et à mesure que la société du fantasme progresse, peut-être l’a-t-il engendré, malgré tout le mal objectif qu’il a déjà provoqué par le passé. Et il se renouvelle sans cesse. Nous semblons découvrir la protection des femmes, comme si, pour les anciens les femmes n’avaient eu que peu d’importance. En fait, cette idée de la protection des femmes et du viol a traumatisé toutes les civilisations à toutes les époques. Il est plutôt étonnant de vivre dans une société qui puisse imagine que les pères d’hier n’aient pas aimé leurs filles parce qu’ils ne les traitaient pas comme nous les traitons. Il y aurait bien à dire de notre société qui laisse tout faire à ses filles en croyant les rendre heureuses, la nôtre, et qui dénigre l’exemple passé, du temps où nos pères donnaient une éducation à leurs filles qui leur permettait d’avoir beaucoup plus de chance de réussir dans la vie en comparaison de notre société d’aujourd’hui qui voit le nombre des divorces, la prise d’antidépresseurs et les désintégrations sociales ne cesser de croître. Le fantasme c’est aussi ça : penser à l’inverse de ce que nous vivons. Il semble que nous ne voulions plus prendre en compte les évolutions objectives de notre société, que nous nous trouvions tout un tas d’excuses, comme l’absence de statistiques à l’âge préhistorique, pour éviter d’avoir à observer l’évolution brutale que nos vies ont connues, ne serait-ce qu’en 20 ans.
Le grand enfermement.
Dernièrement, j’ai beaucoup discuté avec des personnes favorables à la dénaturation du mariage. Dans leurs arguments, il revient régulièrement que le monde n’a pas connu de révolution depuis le vote de la loi. Elles ne s’aperçoivent même pas de l’énormité de ce qu’elles sont en train d’avancer. Aveuglées par je ne sais quel sort, elles n’arrivent même pas à faire le constat des nombreuses séparations autour d’elles, d’une société freudienne qui ne voit qu’en termes de pulsions sexuelles, des dégâts provoqués sur les enfants, de la baisse du niveau scolaire, de la montée de l’individualisme, de la précarisation des individus, tous ces travers sociaux dont tout le monde se plaint depuis quelques années mais que personne ne semble pouvoir relier logiquement aux choix de société que nous avons faits à travers nos lois depuis 40 ans et plus. J’ai l’impression que ces personnes, parfois très intelligentes, sont complètement enfermées dans leur psyché, qu’elles ont perdu toute forme de sensibilité. Individualistes, elles semblent vivre de manière autonome de leur fantasme, quoi qu’il puisse arriver autour d’elles. Se croyant indépendantes, elles peinent maintenant à observer le monde qui les entoure. Elles reçoivent leurs informations de l’extérieur, et valident ces informations sans les confronter à leurs observations personnelles. Il semble qu’elles soient directement connectées à une matrice de pouvoir avec laquelle leurs idées se confondent, leurs impressions, leurs modes de vie aussi, mais qu’en même temps elles soient persuadées de leur propre autonomie en ce monde. Elles fonctionneraient sur deux niveaux de fantasme : à leur propre niveau, et à celui de la matrice. A leur niveau, elles se sentiraient libres et indépendantes, sûr d’effectuer des choix personnels. Au niveau de la matrice, elles s’assimileraient à une entité supérieure avec laquelle elles se confondraient, entité supérieure qui seule leur permettrait d’avoir le sentiment d’être libres et indépendantes.
Ne pensant que par elles, elles obligent constamment leur interlocuteur à prendre en compte leurs idées et semblent ainsi discuter. En fait, leur mode de discussion onaniste empêche tout échange argumenté et toute évolution des points de vue, même s’il donne l’impression de l’inverse. Le locuteur dans son fantasme se conçoit dans une forteresse assiégée et cherche surtout à améliorer ses défenses. Il a l’impression que son château ne doit pas être pris. Il n’imagine pas qu’il puisse embellir son château des idées des autres. Il est matérialiste, ne réfléchit qu’en fonction des intérêts de chacun. Il sanctionne tous ceux qui pensent en dehors de ce cadre défini par la matrice, et sachant la matrice jalouse, il sait bien qu’il aura de nombreux appuis autour de lui. A son niveau, il se justifie ainsi :
« Le sens de l’histoire de la matrice étant indéfectible, il n’y a plus de raisons de s’interroger, de toutes les manières, nous progresserons quoi qu’il arrive en suivant les idées que la matrice nous donne à penser comme étant des évolutions. La matrice est puissante, elle est forte, rien ne peut la détruire, car elle est impitoyable avec ceux qui pensent de manière différente. La matrice est capable de créer l’illusion, et la richesse pour entretenir l’illusion : qui pourrait l’abattre ? »
« Un individu sain est un inadapté dans une société malade ».
Ainsi, pour ces gens, la réalité, la culture, les grands penseurs, les parents, tout cela n’a plus aucun sens. La société du spectacle n’a pas repris une forme de culture pour la pousser plus loin ou sur d’autres chemins, elle a accouché d’une société qui est la négation même de toute culture, de tout passé, et qui renouvelle sans cesse ses moyens pour empêcher toute forme de culture traditionnelle de survivre. La société du spectacle imagine qu’elle pourra coucher avec tout le monde dans un melting pot fructueux. La société du fantasme refuse de voir l’échec de la société du spectacle et préfère continuer à se détruire pour une coucherie d’un soir. Inutile de dire que dans cette société du fantasme, un individu sain a toutes les difficultés à faire comprendre à une compagne quelconque son désir de stabilité, à son entreprise sa conscience professionnelle, à ses hommes politiques son désir d’entendre la vérité. Pour s’intégrer dans cette société du fantasme, il faut accepter la désintégration. Il faut accepter la perte de tout bon sens. Il faut accepter de connaître des relations volages qui n’aboutiront jamais sur des histoires réellement sérieuses, sauf à vivre comme deux autistes les uns à côté des autres. Il faut accepter d’avoir à faire à des entreprises bureaucratiques qui vous demandent de jouer un rôle : le bon contribuable, l’employé modèle et matérialiste, détaché de son poste, tout cela ne convenant pas à ce troupeau d’intégrés qui ne pensent qu’à eux, mais qui ne sait pas bien comment il pourrait en être autrement avec ce qu’ils sont devenus. Les organisations privées ou publiques sont riches aujourd’hui, sans avoir à se poser de questions sur l’humain. De même pour les employés. Tous, ne voient plus que par les moyens qu’ils ont obtenus et ne veulent surtout plus se poser de questions sur les fins qui pourraient remettre en question leur petit confort personnel, ni la conversion intérieure qu’ils auraient à mener s’ils voulaient vivre. La corde de l’incompétence semble pouvoir être tirée éternellement sans casser dans notre société riche. Le citoyen matérialiste, persuadé que le matérialisme est la fin et le moyen, ne veut surtout pas casser la machine en se posant de vraies questions ou en travaillant à l’humanisation de la machine, quand il en a encore la force. Les organisations dans les milieux « installés » qui composent la majorité des structures, ne s’aperçoivent pas à quel point elles ont engendré des cultures complètement déconnectées de la réalité parce que notre société dans son ensemble, a accumulé un capital colossal qui lui a permis de faire perdurer toutes les erreurs possibles et imaginables sans jamais en être sanctionnées, ou rarement. Accumulant du capital, elles ont fini par vouloir en accumuler encore plus, sans que cela n’ait jamais de fin, ni de but en soi. Les établissements publics ont voulu dépenser toujours plus pour faire le bonheur des gens sans s’apercevoir qu’en misant sur la matérialité, ils passaient complètement à côté de l’humain. Et comble du délire, nous avons fait voter des lois, pour détruire définitivement la structure qui avait résisté à toutes les attaques de la matrice depuis le début : la famille. Notre société s’est déconnectée à ce point de la réalité qu’elle s’est prise à imaginer que les structures familiales étaient contre productives, qu’elles ne permettaient pas à l’individu de s’émanciper, de consommer assez, d’être libres, que les parents étaient pathogènes, que les enfants pouvaient naître « hors sol ». Nous avons abandonné nos enfants. Engendrant la destruction des familles, nous avons affirmé que les enfants pouvaient très bien se passer de ce genre de familles détruites. Les viols et les violences familiales ont alors augmenté et nous en sommes arrivés au point que la société du fantasme doive mettre en place de nouvelles illusions pour faire croire qu’elle n’est pas à l’origine de ces désordres. Elle l’a fait pour le viol et les violences conjugales comme elle l’a fait dans bien d’autres domaines, pour se soustraire à ses responsabilités, pour qu’individuellement, nous puissions échapper à notre responsabilité d’humain. Inutile de dire combien nous avons participé à ce mensonge et combien nous y participons chaque jour.
Rien n’a changé.
Pour la société du fantasme, il faut surtout réussir à démontrer que rien n’a changé, alors même que certaines informations imprévues peuvent survenir et s’opposer à l’architecture fantasmagorique qui a été construite. Il en a été ainsi des viols. Concernant ceux-là, elle n’a pas simplement masqué les augmentations de viols, elle a inventé le concept d’une société où le nombre de viols aurait toujours été le même, et élevé. Car la société du fantasme a créé et entretient le concept de « la fin de l’histoire » : nous progressons quoi qu’il puisse arriver, nous évoluons grâce aux mesures progressistes dont nous bénéficierions quoi qu’il arrive dans un futur qui ne peut pas être meilleur étant donné les conditions matérielles que nous remplissons. Nous sommes ici en plein délire. Le monde évolue, il a toujours évolué, même si ce ne fut pas toujours pour le meilleur. Notre évolution à nous, a été de vouloir figer le monde dans une posture rassurante et d’avoir complètement échoué.
Introduction à l’exemple pratique sur les viols et les violences conjugales.
Pour ajuster ce fantasme d’immobilité à une réalité mouvante, la société du fantasme est obligée d’utiliser des outils manipulatoires en forme d’arguments ajustables et invérifiables. Concernant les viols, il s’agira de la prise de conscience des femmes dans les dénonciations, de l’effet de campagnes publicitaires pour inciter les femmes à porter plainte, de l’absence de statistiques fiables dans le passé, et tout un arsenal statistique monté de toute pièce. Ces manipulations particulières vont être étudiées dans un deuxième article. Transposables à tout autre phénomène (violences routières, immigration clandestine, niveau scolaire, égalité des chances, croissance…), je veux seulement ici donner un exemple concret du genre de mirage collectif auquel la société du fantasme nous demande de croire, pour qu’un lecteur consciencieux et responsable puisse se persuader que je n’entretiens pas une autre forme de mirage.
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