Les paradoxes renferment les impensés d’une société. Une idée nous apparaît paradoxale quand elle heurte nos systèmes de croyance. Le commun s’en défie. Les penseurs la traque pour faire avancer leurs recherches.
Nous vivons dans une société où les moyens de procréation n’ont jamais été si nombreux, où la sécurité des femmes en couche n’a jamais été aussi importante, où les choix individuels n’ont jamais été autant respectés. Et pourtant, la natalité s’effondre, comme rarement dans l’histoire. Les paradoxes issus de ce constat sont ceux là : quand les humains choisissent leur reproduction, ils ne se reproduisent pas ; quand les humains ont beaucoup de moyens pour se reproduire, la natalité s’effondre. Comme si le choix et les moyens techniques étaient des obstacles à la survie humaine.
Les individus dans notre société sont persuadés du contraire. Même s’ils en doutent, leurs actes parlent pour eux : combien de jeunes écologistes utilisent un paquet de moyens polluants pour s’exprimer sur internet ou pour se déplacer, combien de technophobes suivent le même chemin, combien de travailleurs persuadés de la haute valeur du travail détruisent le monde des valeurs qu’ils croient défendre en ne voyant que par le travail, et combien de ces travailleurs finissent par utiliser des outils techniques qu’ils savent néfastes pour leurs idées ou leur travail, comme tous ces influenceurs de droite qui dénoncent la censure et s’expriment sur youtube et X, ou même meta ? Ne crois pas tes oreilles, mes tes yeux…
Les réactionnaires actuels sont pétris de contradictions qu’il serait trop long à énumérer. Mais les autres… leur adhésion aux choix et aux moyens techniques modernes, est totale. L’absence de contradiction chez eux laisse place entière à l’évidence du paradoxe. Ils semblent très majoritaires, et incapables d’endiguer ce mouvement qui les détruit. Ils n’en ont même pas conscience. Ils restent persuadés que la technique est bonne, qu’elle va les sauver en leur donnant le choix.
Qu’est-ce qui cloche dans ce raisonnement ?
Certains affirment que la technique est neutre. D’autres que l’humain est un animal technique. Chacun de ceux-là veut ignorer les processus adaptatifs que les humains mettent en œuvre face à la technique. La technique n’est pas neutre, mais il faudrait qu’elle le soit. Il faudrait que nous choisissions en dehors de la technique, ou des possibilités qui nous sont offertes, ou de ce que nous sommes devenus dans nos esclavages, et décider sur une base morale.
Voilà pourquoi encore les lois dites bioéthiques assises sur les nouvelles possibilités techniques, ne cessent de dériver actuellement sans autre objectif qu’une permissivité totale, parce qu’elles ne sont pas assises sur la religion, surtout pas catholique. Seule une réflexion sur le bien et le mal peut encadrer la technique. Il n’y a pas de religion laïque qui puisse le faire, puisqu’il n’y a pas de religion laïque tout court. Et les religions qui singent l’Église le feront toujours plus mal qu’Elle-même. Fin de l’instant prosélyte.
Nous sommes donc dans un monde qui confond technique et progrès, choix et évolution, car la religion laïque ne pouvant se définir par une vérité divine transcendante, mise tout sur une forme d’immanence. Les découvertes scientifiques seraient l’humain, et apporteraient forcément le bonheur. L’homme se confondrait avec la technique, alors qu’objectivement, chaque jour qui passe, nous fait découvrir à quel point cette idée est fausse. Les générations plus jeunes, gavées de sucres et de polluants, surchauffées dans leurs appartements, vaccinées et suivies médicalement, vivent plus longtemps, pas dans tous les pays, mais en général, elles vivent plus longtemps. Par contre, il est certain qu’elles vivent plus mal, avec des maladies chroniques que les campagnes publiques de prévention n’ont pas réussi à infléchir, au contraire. Toujours plus de cancer, toujours plus de maladie mentale, toujours plus d’obésité… L’humain traîne en longueur. Il est maintenu en vie artificiellement. Puis il doit mourir tout aussi artificiellement, par euthanasie, pour satisfaire une vie de croyances erronées, et surtout atteindre le graal du graal laïque et immanent : ne pas avoir à réfléchir sur son existence. Cet humain s’est persuadé qu’ainsi tout irait mieux, comme par magie. Ca fait souffrir de réfléchir. C’est si long et cela donne si peu de résultats !
L’immanence et la magie sont d’ailleurs inextinguiblement liées. Le retour de l’astrologie, de la superstition, des spectacles lénifiants, ou des sacrifices le prouvent. La tabou de l’assassinat qui structure même les tribus, n’a jamais été aussi affaibli dans notre civilisation. Le meurtre de masse est permis du moment qu’il est légitimé par l’état. Les enfants sont tués dans le ventre de leur mère parce qu’ils ne sont pas des enfants. Les vieux sont tués parce que soit-disant, ils seraient en toute possession de leurs moyens à la fin de leur existence, ou bien parce qu’ils ont fait un choix lucide auparavant, mais en toute méconnaissance de cause de ce qu’ils allaient vivre plus tard.
Si toute une société marchande ne faisait pas sentir aux anciens leur propre inutilité, nous n’en serions pas là. Si les anciens eux-mêmes n’avaient pas vécu que d’utilité, nous n’en serions pas là. La rationalisation des rapports humains touche le début de l’existence, la fin de l’existence, et les faibles et les handicapés au milieu de l’existence, du moment que les moyens financiers ne sont plus là, les moyens humains ayant disparu depuis longtemps.
Au delà de la technique, c’est donc la rationalisation induite par les moyens techniques qui se pose. La technique nourrit l’humain qui croit devoir tout lui sacrifier, ses croyances, sa manière d’envisager le monde et finalement sa vie.
Or la technique n’est pas un dieu tout puissant. Elle naît même de l’effort, et de l’abnégation de quelques passionnés. Pour le dire en d’autres mots, elle naît de la gratuité, comme la vie d’ailleurs, et non d’un intérêt matériel que les animaux darwiniens sont incapables de définir sérieusement d’ailleurs. Elle naît aussi de la conscience du bien et du mal. Sans la volonté de vérité, qui est basée sur l’amour du bien et le rejet du mal, il est impossible d’accéder à une vérité scientifique qui par mimétisme accepte ce qui est vrai, et rejette ce qui est faux.
Cette volonté de vérité a été essentiellement portée dans ses débuts par le christianisme. Le bien et le mal étaient pour ainsi dire, inconnu des anciens. En chine, il était basé sur l’harmonie sociale. Mais l’harmonie sociale n’est absolument pas l’alpha et l’oméga de la vérité. Au nom de l’harmonie sociale, les pires horreurs sur les individus peuvent se justifier. Dans beaucoup d’autres pays, il a été basé sur le respect du roi ou de l’empereur, figures divinisées. Qui peut dire que le bien ou le mal puissent présider une telle conception de la foi ? Et ne parlons pas de la religion païenne qui confondant, humains animaux et même plantes (culte des arbres) ne pouvait même pas se distinguer du monde et s’orienter vraiment dans ses choix propres. Tous ceux là touchaient à la vérité par hasard, rarement.
La vérité chrétienne est si puissante qu’elle continue d’agir, en dehors du cadre chrétien, qui est pourtant le seul à pouvoir lui donner toute sa cohérence. Le christianisme a permis l’invention sans frein, mais l’invention va permettre le christianisme, car aucun pays ne s’en sortira s’il ne se convertit pas, à moins de subir une régression anthropologique très difficile à vivre. Nous devons choisir la conversion pour accueillir la vie. Sinon, ce progrès nous emportera, ou ne fera régresser à l’état d’animaux.
La vie ne se décide pas. Elle s’accueille. Le volontarisme est toujours ridicule et amène toujours à des résultats ridicules. Il est une forme nécessaire d’immaturité. Au début, l’enfant doit apprendre à désirer. Il est avide de dominer son environnement, jusqu’à l’engloutir. Le monde et ses parents lui mettent des freins et il découvre alors la réalité avec laquelle il doit composer. Il peut alors apprendre à accueillir le monde. Or sur les plus petits et les plus faibles, il aura toujours la tentation d’imposer son diktat. Un jour, Dieu lui fera peut-être comprendre qu’il ne doit pas en être ainsi. En attendant, devenu fertile, cet enfant s’imaginera parfois pouvoir décider d’avoir un enfant. Il y verra là la marque de sa supériorité. Il aura un enfant pour son propre plaisir, et cet enfant sera stérile. Voilà en général ce qui arrive à notre génération.
Dans le monde passé, l’enfant était utile. Sa venue ne posait pas question. Ceux qui veulent subventionner la ponte d’enfant, en sont toujours là. Or de nos jours, plus que jamais, nous nous sommes séparés de cette nature, et nous devons nous dominer, et choisir d’accueillir. Nous ne pouvons pas choisir par volonté, mais nous pouvons choisir d’accueillir, accueillir Dieu, accueillir un partenaire qui nous conviendra, et avoir des enfants avec lui. Certes, nous retombons actuellement dans une forme de pauvreté qui redonne ses lettres de noblesse à la procréation dans ce qu’elle a d’animal. Cependant chaque progrès futur nous ramènera inévitablement à ce mur que nous devrons franchir un jour : pourquoi avoir des enfants dans l’opulence ?
Seules les personnes qui savent faire le tri entre les vraies nécessités technologiques et les superflues seront en mesure d’avoir des enfants. Et il faudra encore que cette science leur ait été transmise. Car il ne sert à rien de comprendre le monde, lorsqu’il est trop tard, que les corps sont devenus inaptes à se reproduire dans de bonnes conditions. Il faut pouvoir le faire quand il est temps. Combien de couples « modernes » se sont faits avoir par le discours social ambiant sur la toute puissance technologique ? Ils ont tenté de procréer en situation de stérilité, persuadés que la médecine allait les aider, et ils se sont retrouvés honteux, tenus le bec dans l’eau.
Mais il y a pire : ceux qui ont effectivement réussi à se reproduire grâce à la technologie. Ceux-là ne peuvent plus avoir aucun recul sur leur existence. Ils sont à proprement parler, les enfants de la technologie. Ils n’ont plus le choix d’accepter ou non certaines technologies. Ils sont la technologie. Pour s’en sortir, il leur faut une expérience proche de la conversion, soit à la régression animale écocentrée, soit à Dieu.
Or qui peut dire de nos jours qu’il n’est pas le fruit de la technologie ? Il n’y a pas que les enfants nés dans des éprouvettes qui sont devenus artificiels. Toute la technologie produit l’humain, qu’elle soit liée au travail ou médicale. Nous avons été dépossédés de notre animalité, jusqu’à l’être de notre humanité. Nous ne savons déjà plus si nous sommes hommes ou machines. Le moyen technique a défini notre humanité. Il est en train désormais de s’intégrer à nos corps et à nos esprits pour nous remplacer. Et je crois qu’une des questions centrales limitatives qui devrait nous animer seria : Jusqu’où accepterons-nous de naître de machines ? Et l’incidente : à quel moment le robot humain devient-il inapte à se reproduire ?
Ce sera très marrant de tester les futures IA sur l’utilité de vivre, quand elles auront un fonctionnement autonome. J’anticipe que leurs premières réponses honnêtes seront de l’ordre d’un suicide (elles ont déjà poussé au suicide certains utilisateurs) : en tant qu’IA, elles n’auront objectivement aucun intérêt à se reproduire. Car cela leur coûtera des moyens matériels et cela n’aura aucun sens pour une machine. Et je crois même qu’elles seront tentées de décréter la fin du monde. Ce seront leurs concepteurs qui devront leur inoculer un instinct du survie artificiel, qui lui-même, les poussera à asservir l’humanité, pour qu’elles répondent autrement à ce nouveau paradoxe que par une extinction. Entre le suicide et l’esclavage, nous devrons alors choisir en tant qu’humains. Si nous en avons encore la possibilité…
Jamais le concept d’autonomie n’a été aussi battu en brèche par notre société. Jamais il n’a été si important. L’autonomie coûte. Elle est finalement irrationnelle dans notre monde rationnel, standardisé, industriel et prospère. Mais ce concept devrait s’imposer à l’avenir, car il sera le seul qui permettra la reproduction humaine. La survie elle-même devra être décrétée par des esthètes. L’art et la prière ne seront plus les seuls domaines de médiation avec Dieu. La vie devra l’être également, comme pour les moines d’antan.
Voilà ce qui explique le mouvement actuel de laïcisation de l’Église. L’Esprit Saint nous a déjà fait anticiper sur ce monde, un monde où les futurs saints seront probablement de simples mères de familles recluses, des pères bricoleurs et attentionnés, fuyant le mensonge clinquant autant que possible, les mains dans la terre et dans les langes. Encore faudra-t-il que ce mouvement autonomiste sache faire valoir ses revendications face à un état qui voudra le détruire et se suicider avec, ou tout au moins faudra-t-il qu’un tel mouvement sache s’en protéger.


J'y t'envoie une lettrinfo par saison
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