Il serait facile de prendre l’exemple d’une féministe incohérente ou/et caricaturale pour juger du négatif de l’idéologie qu’elle défend. Mais cela ne prouverait rien. Pour bien montrer qu’il n’y a pas de bonnes et de mauvaises féministes, mais qu’elle sont toutes mauvaises, il faudra se pencher sur le cas d’une femme sceptique face au mouvement féministe, intelligente, cultivée, ancrée dans sa modernité, pourquoi pas jeune et jolie. Si cette femme là ne réussit pas à sauver le féminisme, alors qui le pourra ?
J’ai longtemps hésité à voir en Marion Maréchal l’une de celles-là. Cependant, je considère aujourd’hui qu’elle ne peut plus être définie comme strictement féministe puisqu’en pleine gloire, elle vient de quitter la politique pour s’occuper d’abord de sa famille. Ainsi, il m’est apparu que cette femme assumait sa lutte intérieure contre le mal. Et en venant de remporter une victoire contre lui, nous montrait qu’elle pouvait incarner, au moins pour partie, une forme d’antiféminisme.
Cependant, je n’ai pas abandonné mes recherches et j’ai trouvé l’oiseau rare en la personne d’Eugénie Bastié, nouvelle égérie de droite, journaliste, femme ouverte, mesurée, active sur les réseaux sociaux et suivie, acceptée par les milieux de gauche pour mieux être combattue, qui a la prétention de s’intéresser à la quintessence du débat idéologique, celui de la pensée et de la culture. Celle-là, défend même une forme de masculinité à travers son engagement dans la revue « Limite » dont le concept idéologique intrinsèque est à lier à l’autorité du pater familias, celui qui dit « non ».
Dernièrement, elle est venue apporter la contradiction à ses détracteurs dans un média institutionnel subventionné, donc de gauche, qui est France Inter. Ainsi, n’étant pas en terrain favorable, elle a dû développer sa dialectique avec clarté et persévérance et aller au fond de sa pensée. A partir de là, il m’a été possible d’en saisir les nuances et de vous brosser le portrait d’une féministe critique mais dont le combat, malgré sa pertinence, échouera.
Le féminisme est-il réformable ?
Tout d’abord, comme nombre de femmes actuellement sceptiques quant au féminisme, elle pense que le combat a été détourné de ses bonnes intentions, et qu’il ne reste plus en lui que contradictions qu’elle se ferait honneur de tenter de résoudre. Or c’est nier que les idéologies progressent selon des processus ontologiques et philologiques qui devaient les mener là où elles en sont.
Son raisonnement, trop féminin, exclue toute logique interne au féminisme pour ne conserver que des explications partielles qui en vérité n’ont pour objectif que de défendre la croyance en une lutte légitime pour le droit des femmes. Le droit des femmes ? Celui-là n’est qu’un sous produit des droits de l’homme, cet humanisme qui tourne en rond sur lui-même, incapable de se donner un objectif fixe parce que centré sur des humains aux désirs changeants. Voilà d’ailleurs la raison pour laquelle le rapport de force féministe possède une logique si peu identifiable en surface. Eugénie Bastié le reconnaît. Le féminisme aujourd’hui est tout aussi bien libéral, que puritain, que communiste. Cependant, elle n’identifie pas la mécanique interne qui le conduit, et qui elle est d’une cohérence implacable, celle du mal.
La frontière du mal pour Eugénie Bastié passe en chacun de nous. Elle reprend en cela la théologie catholique. Cependant, elle commet un abus. Si l’Église pousse chacun à s’interroger sur le mal qu’il commet, Elle définit aussi des structures de péchés et des cultures de mort. Ainsi, des idéologies sont considérées comme intrinsèquement mauvaises par notre Eglise. Le féminisme n’en fait pas encore partie, mais je ne désespère pas qu’il le soit bientôt. Cependant, cela n’empêche. Qu’il puisse l’être, suffit à devoir l’envisager comme possiblement corrompu. Si des personnes féministes, ne sont pas entièrement corrompues, s’il reste toujours en elles un appel à la conversion, le féminisme par contre peut représenter chez celles-là une aspiration totale et définitive au mal avec lequel la discussion serait inutile.
Là encore, le raisonnement d’Eugénie Bastié n’est pas celui d’une femme soumise au logos, mais qui désire au contraire ménager les personnes en ménageant les implications de leurs choix idéologiques. Elle rejette ainsi « la vision binaire du monde », le « bien le mal » selon ses propres expressions, parce que « la frontière du mal passerait à l’intérieur de tous ». Elle veut « construire des ponts », chercher à rester dans le débat pour progresser dans la vérité. Ici, elle assimile l’existence du bien et du mal à une forme de simplisme qui n’aurait pas cours dans une pensée nuancée. Cette incarnation de la vérité chez un locuteur ou dans une idéologie serait pour le moins suspect en ce qui la concerne.
Or il est des pensées nuancées qui peuvent atteindre la simplicité claire d’une eau de roche, et distinguer le bien du mal. L’objectif d’un croyant n’est-il pas d’obtenir cette grâce ? De l’incarner ? Ainsi, chez Eugénie Bastié, au-dessus de Dieu qui donne la grâce, il y a un homme, bien faillible, qui mène son esprit. Comme beaucoup de femmes en matière idéologique, elle décroche quand les conceptions de cet homme ne sont pas à la hauteur du débat. Dans cette fidélité qui la tient à cette personne, le mal passe effectivement par elle, et lui fait dire qu’il pourrait y avoir un bon féminisme, une bonne attitude bourgeoise qui la préserverait des excès de l’histoire, que la mesure serait en elle une valeur indéboulonnable pour se rapprocher d’une quelconque vérité.
Que ce christianisme ressemble à celui qui nous a conduit à la misère actuelle. Que ses fruits doucereux sont sclérosants.
Comme toutes ces femmes intelligentes, Eugénie Bastié a peur de sombrer dans l’hystérie qui lui ferait quitter les amarres masculines pour sombrer dans la folie. Ces terres qu’elle ne peut explorer sans risquer de se perdre, elle les identifie au mal. A quai, elle est sûre de ses positions, de la logique qui lui a été transmise, de ne pas devenir comme toutes ces folles dont objectivement un spectateur impartial peut s’inquiéter de l’état psychologique. Mais elle ne sera jamais dans l’ordre de la pensée.
Or, toute cette intelligence féminine sous-tendue par une logique paternelle très supérieure à la moyenne mais étriquée, fonctionne à plein. Loin de servir la cause de l’antiféminisme, elle mène le débat féministe, fabrique le réseau, met en lien les gens, développe, donnant une caution morale à cette idéologie de mort en la personne de quelqu’un de jeune, d’intelligent, de rassurant etc… Elle lui donne des perspectives tandis qu’elle a failli en tout. Comme un bon prêtre, elle voudrait conduire son troupeau progressivement vers des terres plus justes et plus fertiles, là où féminisme et antiféminisme n’ont peut-être plus de sens.
L’infanticide par avortement, ce n’est pas bien. Mais la solution ne serait pas de l’interdire. Il faudrait faire appel à la liberté de conscience des femmes, car des lois seraient forcément brutales et incomprises. En cela, nous pouvons voir à quel point les valeurs féminines dominent notre monde, combien le féminisme a vaincu, car ce discours cherchant à prendre en compte les personnes avant une recherche collective de vérité, montre que nous sommes prêts à tout céder aux injonctions libérales de respect des désirs individuels. La liberté est masculine. Le libéralisme est féminin. Là où la liberté s’arrête au moins à la liberté des autres, de ne pas tuer un enfant, le libéralisme cède tout aux désirs de femmes matérialistes pour se nourrir de notre égocentrisme avide, cette influence maternelle sans père, tyrannie de l’aveuglement. Ainsi, la limite est prêchée comme une notion abstraite qui ne s’incarnerait pas dans le monde, par peur de l’autoritarisme. Or cette précaution est plutôt une continuation de notre mode libérale d’où l’autorité a été exclue, qui ne serait qu’un accessoire de la pensée pour des femmes persuadées d’avoir raison en tout, mères de notre patrie.
La pensée est extrémiste, l’autorité est extrémiste. L’une se définit par sa liberté totale dans l’ordre de la logique, l’autre s’autorise un « non » légitime qui stoppe toute discussion. Eugénie Bastié se nourrit de penseurs tout en se défiant de cet extrémisme qui lui fait peur et la met en insécurité. Elle est un peu comme dans la chanson « Léa », de Louise Attack, entre plusieurs eaux, aux confluents de ce qui s’est dit pour qu’une force immanente la guide, et comment pourrait-il en être autrement ? Car tel est le destin des femmes, se nourrir de l’énergie, en être le catalyseur, lui donner vie, mais jamais en être à la source créatrice. Elle est ainsi observée par la gauche comme d’un ovni, car d’habitude cette vocation s’exerce pour l’énergie des femmes elle-même. Cependant, si vous lui rajoutez l’intelligence d’un père, dès lors, vous obtenez un drôle de mélange, une force de conviction mêlée à une démarche toute féminine, du jamais vu en France depuis longtemps.
Quand bien même une pensée aboutirait, je reste persuadé qu’une démarche en dit plus long que tous les raisonnements du monde, chez elle aussi. Les enfants le savent. Tous les discours « d’adultes », ne pourront leur faire croire en une incohérence qu’ils constateront en vous. La pensée d’Eugénie Bastié est celle d’une femme qui redonnerait aux hommes et aux femmes une place quant à leur sexe. Mais une démarche toute féminine qui légitime déjà le diktat des femmes sur notre monde, ce totalitarisme maternel qui ne veut pas de la guerre, pas l’affrontement, qui veut défendre sans avoir à faire saigner quiconque, prêt à tout pour éviter les effusions. Eugénie Bastié, c’est l’histoire du prolongement du pouvoir féminin en pleine débâcle, dans l’intelligence, au moment où les femmes accèdent à tous les statuts, ce qui aurait dû relever le monde selon nos apôtres de l’immanence, tandis que celui-ci ne cesse de s’affaisser. Elle n’est pas la conséquence d’un trop plein féminin mais sa cause. Elle est l’image brillante d’une femme qui peut répondre à tout, montrer sa culture sans paraître imbue, s’insérer professionnellement en défendant sa féminité et la place de chaque sexe en ce monde, presque une utopie à elle seule. Tandis que le monde féministe s’effondre et nous avec, nous pourrions encore croire en l’avenir féministe grâce à elle. Mais il n’est que ruines, il signe notre ruine.
Alors même qu’une femme peut avoir pleinement raison, le monde a besoin d’hommes. Voilà à quoi Eugénie Bastié ne pourra jamais satisfaire. Elle pourra toujours vouloir défendre une civilisation qui ne versera pas dans l’indifférenciation, sa féminité participera de l’absolutisme au féminin tel que nous le vivons aujourd’hui. Son destin est tragique parce qu’il est celui d’une lucidité dont nous aurions besoin mais qui accélère notre chute. Il rejoint celui de toutes ces femmes sceptiques face au féminisme, qui savent avoir besoin des hommes pour s’enrichir, mais dont l’action restera vaine en ce qu’elles ne pourront jamais incarner l’altérité dont notre monde a besoin. Cette pièce de théâtre est superbe. Son personnage principal brille de mille feux. Sa contradiction interne tragique, et donc parlante, ne nous amènera pas la rédemption.
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